Tel qu’abordé dans un précédent article, l’Union Européenne et les collectivités territoriales se serrent les coudes, en marge de l’Etat, dans la course à la définition des politiques énergétiques de demain. Mais un nouvel acteur est entré dans la course, dépassant le maillage institutionnel classique et se trouvant plus que jamais au cœur des projets énergétiques : le citoyen.
Dans sa vision de la Troisièmes Révolution Industrielle, Jeremy Rifkin affirme que les citoyens finiront par générer leur propre énergie verte, et la partager sur le réseau électrique, comme ils créent, partagent et échangent déjà leurs propres biens, savoirs ou centres d’intérêt sur le réseau Internet. Dans cette nouvelle société, le pouvoir (ici les ressources énergétiques) ne se transmettrait plus de façon verticale mais circulerait de façon latérale.
La théorie semble se vérifier : les projets énergétiques dits «citoyens» se développent dans certains pays pionniers. Mais s’agit-il d’initiatives isolées ou d’un phénomène pouvant bouleverser la conception des politiques énergétiques ? Partons à la découverte de l’émergence d’un tiers pouvoir dans le secteur de l’énergie : le pouvoir citoyen.
Le citoyen : figure montante des politiques énergétiques
La crise économique conjuguée avec la prise de conscience des problématiques environnementales à venir ont bouleversé le comportement du consommateur énergétique moyen.
Les ménages surveillent de plus en plus leurs dépenses énergétiques et mesurent désormais l’impact de leur mode de vie sur l’environnement. Aux transformations sociales favorables à l’émergence d’un consommateur voulant devenir maître de son destin, il faut ajouter les transformations intervenues dans le système électrique, avec notamment, l’introduction des compteurs intelligents sur le marché.
Jusque-là réduit à un élément passif de la chaîne, le consommateur pourra bientôt ajuster sa propre consommation énergétique en temps réel. Le système électrique, historiquement hiérarchique et centralisé, devient progressivement décentralisé avec des unités de gestion de la consommation propres à chaque ménage bientôt interconnectées entre elles. Le citoyen devient le gestionnaire de sa propre consommation énergétique (compteurs intelligents, isolation des bâtiments). Il est également en mesure de produire sa propre ressource énergétique (installation de panneaux solaires et de mini-éoliennes). Il pourra bientôt vendre le surplus de l’énergie produite en la réintroduisant dans le réseau électrique.
Deux statistiques viennent confirmer l’émergence d’une prise de conscience « par le bas ». En 2011, 9 Français sur 10 étaient prêts à faire des efforts pour limiter les problèmes écologiques. Comme souvent, outre-Rhin, on a une longueur d’avance : le citoyen allemand est déjà à l’origine de près d’un tiers de la production des énergies renouvelables dans son pays.
En France, depuis quelques années déjà, de plus en plus de panneaux solaires photovoltaïques sont installés sur les toitures des particuliers et des centrales à biogaz ou des «parcs éoliens citoyens» sont construits à l’aide de financement privés. Autant d’exemples qui témoignent d’un engouement croissant pour des projets énergétiques décidés à l’échelle d’un ménage, d’une co-propriété ou d’un quartier.
Tout comme la commune pionnière de Béganne (Bretagne), les habitants de la Communauté de Communes des Monts du Pilat (Loire) ont décidé de se lancer dans l’aventure des projets énergétiques « citoyens» en prenant des parts dans la société créée pour installer un parc éolien de 20 MW. Les français sont-ils en passe de se réapproprier les questions énergétiques ? Rien n’est moins sûr, ces premières initiatives restant isolées et ne pouvant cacher les problématiques de financement par des ménages frappés de plein fouet par la crise.
Une réalité acceptée et encouragée par les pouvoirs publics
Si des initiatives citoyennes dans le domaine énergétique commencent à germer, elles ne proviennent pas de la seule prise de conscience de la population mais s’alimentent surtout du soutient par les pouvoirs publics.
Prenons l’exemple du Danemark, pays à la plus forte puissance éolienne installée par habitants. Dee nombreux projets d’énergie « participative » y sont financés par les citoyens. Le « pouvoir énergétique citoyen » est bien réel : par exemple, parc éolien de Middelgrunden, au large du port de Copenhague, est détenu par 8500 personnes (lien). Mais comment en sont-ils arrivé là ? La loi danoise y est pour quelque chose en imposant un seuil minimum de 20% des parcs éoliens financés par une participation citoyenne..
Au Danemark mais également en France, la transmission progressive des prérogatives énergétiques s’effectue aussi « par le haut ».
C’est dans ce sens qu’a été créé le comité citoyen de la transition énergétique, un des piliers du grand débat national sur la transition énergétique. Composé de 20 membres représentatifs de la société française, sa mission est de « maintenir une vigilance sur l’accès des citoyens au débat et à donner des clés pour tenir compte de leurs visions ».
Ces 20 membres ne sont pas des spécialistes de l’énergie. Ils ont été sélectionnés à partir de critères liés à leur consommation d’énergie (type d’habitat, structure de foyer, transports utilisés) afin de constituer un panel représentatif de la société française. Une première séance de travail a eu lieu ce Samedi 16 Février. Les initiatives dans ce sens se multiplient sous la tutelle du Ministère de l’Ecologie. En témoigne l’organisation des journées nationales de l’Énergie et territoires ruraux, qui se tenaient du 26 au 28 septembre dernier dans la Drôme.
Mais c’est surtout l’actualité brûlante qui confirme le volontarisme de Delphine Batho en la matière, avec l’organisation des « Journées de l’énergie», qui se sont déroulées partout en France entre le 29 et le 31 mars avec un premier bilan positif, ou de la Semaine du Développement Durable.
Le Ministère de l’Ecologie ne se ménage pas. Mais pourquoi un tel dévouement ? Pour développer une véritable conscience énergétique citoyenne et pour sensibiliser les français à l’enjeu crucial de la sobriété énergétique. N’oublions tout de même pas qu’un citoyen est égal à une voix. Placer le citoyen au cœur d’un projet énergétique, c’est également un moyen de le rendre responsable de son propre avenir énergétique. Et de dédouaner les représentants politiques d’un problème sociétal majeur dans les années à venir comme la hausse de la précarité énergétique.
Le pouvoir énergétique citoyen sera donc réel à condition que les deux dynamiques abordées tout au long de l’article puissent se poursuivre, à savoir le développement d’initiatives « par le bas » et le maintien du soutien « par le haut ».
« Par le bas » d’abord, avec la consolidation d’une conscience énergétique citoyenne, notamment autour des grands enjeux environnementaux. Une tendance qui?devra se concrétiser sur le terrain avec des projets encouragés et financés par les citoyens eux-mêmes. « Par le haut » ensuite, avec un soutien toujours plus marqué des pouvoirs publics, qui ne devront accepter la prise en main nécessaire de ces enjeux par les individus. Ils devraient continuer à y trouver leur compte en se posant en promoteurs d’un système énergétique du futur où le citoyen serait roi.
Reste à voir si ses deux dynamiques resteront compatibles. Plus de pouvoir aux individus c’est moins de pouvoir pour l’État. Et vice versa. Bouleverser l’équilibre actuel n’aurait pas que des conséquences sur les politiques énergétiques ; cela reviendrait à changer notre conception de la société…
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