C’est la surprise de l’étude Enerdata [1] publiée le 27 mai : pour la première fois, les énergies renouvelables dominent le mix énergétique en Europe. En 2013, elles ont devancé le charbon et le nucléaire et représentent 28% de la production d’électricité européenne. La transition énergétique semble en marche, mais à quel prix ?
Énergies vertes : l’Europe bonne élève, mais un peu dissipée…
Championne des énergies renouvelables, l’Europe compte pour l’année dernière 200 gigawatts (GW) de capacités installées : 120 dans l’éolien et 80 dans le solaire. Ce développement n’est néanmoins pas spontané. Il résulte de la prise en compte progressive des enjeux climatiques par les populations mais également d’une politique de fond menée par Bruxelles depuis une décennie. De nombreuses mesures pour encourager l’implantation des énergies vertes et réduire la production de gaz à effet de serre ont été mises en place, mesures qui ont aujourd’hui besoin d’être coordonnées. Le Conseil Européen rappelle régulièrement que les énergies renouvelables doivent tenir compte des besoins du marché et des conséquences qu’entraîne leur déploiement rapide. La révolution verte allemande, notamment, a entraîné une hausse des coûts de financement des infrastructures et ensuite une baisse de la subvention aux producteurs d’électricité solaire. La transition énergétique doit veiller à ne pas être victime de son propre succès !
Le soleil brille, fermez les centrales !
Ce boom du renouvelable a en effet mis en difficulté d’autres moyens de production. En coïncidant avec la chute de la demande d’électricité depuis 2008, l’arrivée massive des énergies photovoltaïques et éoliennes a progressivement éclipsé les centrales à gaz. Que ce soit en Angleterre, en Norvège ou en Allemagne, de nombreux sites vont donc être mis « sous cocon » pour motif économique, ce qui signifie que les équipements et les installations vont continuer à être entretenus durant une période d’arrêt, dans l’optique d’une remise en service ultérieure. Si les centrales européennes représentent 125 000 MW d’électricité produite, la majorité d’entre elles ne « couvrent pas leurs coûts d’investissements » selon Fabien Roques, Directeur de IHS Cera, cabinet d’analyses spécialisé dans l’industrie et l’énergie. Cette baisse alarmante de la rentabilité est due notamment à la sous-activité et à la chute des prix. Les centrales d’Europe fonctionnent aujourd’hui environ 2 000 heures par an chacune, au lieu des 5 000 à 6 000 prévues initialement et les marges enregistrées sont négatives. En France, si pour l’instant aucune fermeture n’a été annoncée, Poweo s’est vu forcé de placer son unité de Pont-sur-Sambre (Nord) en plan de sauvegarde et EDF constate que son site de Martigues (Bouches-du-Rhône), inauguré fin 2012, est déjà sous-employé.
Un marché énergétique en fracture
D’un point de vue économique, la chute de production des centrales s’ajoute à un paysage industriel déjà morose et inquiète les salariés des sites concernés. Mais d’un point de vue environnemental, l’envolée des énergies vertes est une victoire pour Bruxelles. Pourtant, la situation dépasse cette distinction manichéenne. Les centrales à gaz sont indispensables au développement sur le long terme des énergies renouvelables. Ces dernières, soumises à des fluctuations telles que l’ensoleillement et le vent, génèrent de l’électricité de manière irrégulière. Une variation qui doit être compensée grâce à la production de gaz, seule capable pour l’instant d’alimenter les réseaux électriques en correspondant aux exigences de flexibilité et de rapidité. Pour sauver les centrales, des mécanismes de préservation, qui permettent de rémunérer ces sites même lorsqu’ils sont en activité réduite, sont mis en place dans toute l’Europe. Subventionner une énergie fossile au moment où les efforts de Bruxelles sont récompensés avec une percée du renouvelable, drôle de paradoxe !
Pour pallier à la fois la surcapacité de la production de gaz et l’intermittence des énergies vertes, l’Europe doit adopter des mesures unifiées. Aujourd’hui, une réponse commune et sur le long-terme est attendue, face à une situation qui pourrait se révéler alarmante : le dispositif de production d’électricité européen serait-il capable de répondre quantitativement à une demande de pointe ? La transition énergétique repose donc sur des priorités environnementales mais également sur des choix d’efficacité économique : l’énergie fossile a un rôle crucial à jouer dans le développement des énergies renouvelables, à l’échelle de l’Europe entière.
[1] Société d’information et de conseil spécialisée dans les marchés énergétiques mondiaux et le marché du carbone
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