Le déploiement des compteurs électriques communicants présente un certain nombre d’avantages qui découlent de leurs nouvelles fonctionnalités. La maîtrise de la demande en énergie (MDE) et l’intégration des productions décentralisées sont régulièrement mises en avant pour justifier un tel investissement. Cependant, ces compteurs représentent aussi une arme redoutable dans la lutte contre la fraude. En s’appuyant sur les données de consommations générées par les compteurs, et à l’aide d’algorithmes prédictifs complexes, il est possible de détecter les occurrences de fraude, et notamment de vol d’électricité, sur les réseaux électriques.
Le vol d’électricité : un coût pour les fournisseurs et la société
Le vol d’électricité est un phénomène dont l’impact est généralement sous-estimé. Il peut se présenter sous plusieurs formes : les compteurs peuvent être piratés afin de fausser la lecture lors du relevé, mais les fraudeurs peuvent aussi contourner physiquement leur compteur afin de prélever l’électricité en amont de celui-ci, directement sur le réseau de distribution.
Les volumes d’électricité ainsi détournés varient fortement d’un pays à l’autre. Dans le cas de l’Inde, on estime que c’est un tiers de l’électricité produite qui est détournée, tandis que ce chiffre descend à 2% pour le secteur résidentiel aux États-Unis, pour un coût annuel tout de même estimé à 6 milliards de dollars dans ce même pays.
Cette pratique occasionne plusieurs types de coûts. Les fournisseurs sont impactés en premier lieu, de par leurs pertes évidentes. Par ailleurs, ils engagent des frais importants dans des démarches de détection de la fraude qui sont rarement couronnées de succès. L’ensemble des consommateurs est aussi impacté, car le contournement des compteurs crée des perturbations dans le réseau de distribution et donc des dommages matériels, dont le coût est supporté par tous les utilisateurs. Certains transformateurs peuvent même fondre suite à des pics de charge exceptionnels. En effet, la plupart des auteurs de vol d’électricité exercent une activité fortement énergivore, qu’elle soit légale (laveries, centres de nettoyage de voitures, etc), ou illégale (principalement la culture de cannabis en intérieur).
Les cas de l’Italie et de la Malaisie
L’Italie fait figure de pionnier dans le déploiement des compteurs communicants. Le fournisseur Enel SpA, qui représente 90% du marché italien, a entrepris l’installation de 27 millions de ces appareils dès le début des années 2000, sur une période de 5 ans. La réduction de la fraude était un objectif clé de cette démarche.
Le retour sur investissement a été réalisé en 5 ans, avec des économies de l’ordre de 500 millions d’euros par an. Le taux de succès des équipes chargées de constater les fraudes sur le terrain est passé de 25% à 75%, ce qui explique largement de telles économies. Des algorithmes prédictifs agissant sur des environnements Big Data sous-tendent cette technologie. Des données climatiques, de facturation ou encore de consommation à l’échelle des quartiers sont recoupées afin de détecter des événements anormaux. C’est donc la coïncidence de plusieurs facteurs a priori non corrélés qui tend à caractériser la fraude.
Un autre exemple, à moindre échelle, peut être trouvé en Malaisie. Le fournisseur d’électricité Tenaga Nasional Berhad (TNB) y a développé une solution permettant de détecter les « pertes non techniques » (synonymes de fraude) des clients gros consommateurs, c’est-à-dire industriels. Ce projet résulte du constat suivant : en 2004, TNB évaluait à 229 millions de dollars ses pertes annuelles liées au vol d’électricité et aux erreurs de comptage.
La démarche adoptée a été celle du « load profiling », ou profil de charge. Grâce aux données de consommation collectées pendant un mois, à raison de deux mesures par heure, auprès de ses clients par « Remote Meter Reading » (RMR, ou télérelève), TNB a pu établir des profils-types de consommation. Les industries fonctionnant en continu sont ainsi distinguées de celles présentant des discontinuités quotidiennes de charge.
Par la suite, les écarts à ces profils types sont recensés, puis corrélés avec les événements exceptionnels ayant impacté les compteurs (ouverture du capot, utilisation du disjoncteur, etc). Le volume de ces données est considérable, car les points de relevés sont nombreux et la fréquence des mesures est élevée. Cela implique que la corrélation fait intervenir des méthodes qui diffèrent du traitement de données classique, le contexte est à nouveau celui du Big Data. Dans le cas de TNB, le système de détection de la fraude affiche un taux de succès de 55%.
Un chiffrage délicat
Le modèle économique des compteurs communicants est complexe. En effet, tous les acteurs de la chaîne de valeur de l’énergie, du producteur au consommateur, sont impactés par le système de comptage et ses bénéfices, et les coûts en sont supportés de manière inégale. Il est donc essentiel de dégager des postes d’économies, ainsi que de nouvelles recettes. La lutte contre la fraude constitue un véritable atout dans cette optique. L’exemple d’Enel est en ce sens évocateur.
Les incertitudes demeurent cependant importantes quant au chiffrage des économies réalisées : les volumes d’électricité détournée varient d’une région à l’autre, ainsi que l’efficacité des algorithmes. Enfin, il n’est pas exclu que les fraudeurs trouvent des parades aux systèmes de comptage intelligents, transformant la problématique de manque d’information en une problématique de sécurité et fiabilité de l’information. Un effet rebond nuancerait alors les progrès réalisés.
La détection du vol d’électricité à l’aide d’algorithmes prédictifs agissant sur des données issues des compteurs communicants a fait ses preuves. Cette fonctionnalité doit être perçue comme une opportunité créée par les smart grids. Mais ce gain ne concerne pas seulement les pays dont les infrastructures électriques sont avancées. Au même titre que la réduction des périodes de délestage (ou black-out), la lutte contre la fraude constitue un levier dans le déploiement de projets smart dans les pays en développement. Le retour sur investissement peut y être très rapide.
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