La transition énergétique vers une société moins dépendante des énergies fissiles et fossiles passe par un développement des énergies renouvelables, dont une des caractéristiques est d’être décentralisées. Après notre série de fiches Energystream sur les différentes formes énergétiques de la production décentralisée, cet article propose de mieux comprendre les facteurs qui poussent à une décentralisation de l’architecture de notre système énergétique.
L’histoire des systèmes énergétiques est marquée par une évolution fondamentale : l’éloignement des lieux de production et de transformation de l’énergie des zones de consommation, à mesure que les grandes filières énergétiques se structuraient et se spécialisaient autour d’une forme d’énergie. Cette tendance historique a abouti à l’émergence d’une architecture énergétique centralisée, c’est-à-dire au sein de laquelle les flux d’énergie sont dirigés d’un « centre » de production vers des « périphéries » de consommation. Certes une part marginale de production décentralisée demeure dans tout système électrique, notamment pour approvisionner en électricité les régions isolées ou les sites stratégiques, mais globalement, une vingtaine de sites de production alimente quotidiennement en électricité l’ensemble de la population française.
Pourtant, aujourd’hui, la frontière entre « offre » et « demande » s’estompe, la démarcation entre les acteurs devient plus floue. L’ensemble de l’architecture du système énergétique est en voie d’évolution. On peut relever quatre facteurs principaux à l’origine de ce glissement, structurel et inéluctable, vers un modèle décentralisé.
L’ouverture des marchés de l’électricité a établi les conditions pour le développement de la production décentralisée
La séparation entre les activités de production, transport, distribution et fourniture et leur ouverture à la concurrence remodèlent un système énergétique plus ouvert et plus dynamique. La loi du 10 février 2000 met un terme au monopole de production et autorise les personnes morales (au départ uniquement les autorités concédantes) comme les particuliers à produire de l’énergie. Aujourd’hui, un nombre croissant de consommateurs deviennent producteurs grâce à des panneaux solaires ou des sondes géothermiques, et la démocratisation prochaine des technologies smart grid doit permettre de les rendre maîtres de leur approvisionnement.
La lutte contre le changement climatique permet la maturation technologique des énergies renouvelables
Elle conduit les États à lancer une stratégie de décarbonation du mix électrique. D’ici 2050, l’ensemble de la génération électrique européenne doit être neutre en carbone. Dans cette perspective, les États ont créé un régime de soutien financier généreux dans l’espoir d’accélérer la diffusion de nouvelles technologies de production « vertes » afin de les accompagner vers la rentabilité économique. Ces mesures sont régulièrement remises en cause pour leurs effets d’aubaine et évoluent progressivement vers des leviers en lien avec les marchés, notamment à travers les primes de marché proposées dans le projet de loi, mais les objectifs Roadmap 2050 demeurent.
Les coûts croissants des moyens de production historiques révèlent les limites du système énergétique centralisé
Tout d’abord, la théorie des économies d’échelle, qui veut que la construction de centrales toujours plus grandes fasse baisser les coûts de production de chaque kilowatt-heure, est battue en brèche par la réalité. Le cas du nucléaire est particulièrement représentatif : alors que les capacités ont augmenté de 900 MW au début des années 1990 à presque 1,6 GW pour le futur EPR, les coûts d’investissement ont suivi la même tendance[1]. Les raisons sont multiples :
- les coûts de construction augmentent avec la complexité des technologies
- les coûts de construction des lignes de transport à très haute tension pour disperser l’électricité générée sont croissants à mesure que leur acceptabilité sociale diminue
- les coûts de sécurité explosent pour parer aux risques humains et environnementaux
Par conséquent, les courbes d’apprentissage et les économies d’échelle attendues ne se sont pas concrétisées, au contraire, chaque centrale est plus chère que la précédente. Désormais, de nouvelles technologies mettent en évidence les gains que l’on peut tirer non plus de l’effet de taille, mais de l’effet de série : les cycles combinés, la cogénération, les technologies renouvelables suivent des courbes d’apprentissage accélérées. Leur rendement croît, leur fabrication en série diminue les coûts de production, et leurs faibles capacités leur évitent des surinvestissements en matière de transport et de sécurité.
De plus, le système centralisé souffre d’importantes déperditions d’énergie tout au long de sa chaîne pyramidale de production et distribution d’énergie[3] : en bout de chaîne, l’efficacité énergétique d’une lampe atteint pour ces raisons à peine 2%. A cause de ces pertes, les coûts de la transmission et distribution d’électricité représentent en moyenne 30% de la facture des consommateurs. La production décentralisée permet de réduire ces pertes, par valorisation locale de la chaleur résiduelle issue de la production thermique, restriction des pertes de transport et limitation des pertes provoquées par les pannes de réseau.
En outre, les énergies conventionnelles présentent des coûts cachés environnementaux. Le système énergétique basé sur les ressources fossiles est le principal facteur de la crise climatique et représente d’ores et déjà un coût considérable pour le système économique. Les émissions de gaz à effet de serre constituent une externalité[2], qui est évaluée 80€ par tonne de CO2 émise. A court terme, cela correspond à un coût supplémentaire de 9 cts€/kWh pour l’électricité générée par les centrales à charbon et 5 cts€/kWh pour l’électricité issue de centrales au gaz. L’internalisation de ces coûts externes rendraient les énergies renouvelables plus attractives que l’électricité « conventionnelle ».
Rapprocher la production d’énergie du consommateur favorise la maîtrise de la demande d’énergie
La centralisation des lieux de production d’énergie les éloigne des consommateurs, qui ne disposent d’aucune information sur la répartition de leurs volumes de consommation, la provenance de leur courant ou l’état du réseau. Au-delà, les tarifs réglementés de vente n’incitent pas les consommateurs à tenir compte des variations des coûts de production et de distribution de l’énergie. La relocalisation des moyens de production dans les territoires, au plus près des citoyens, crée des liens directs entre production et usage de l’énergie. Elle conduit à une responsabilisation du consommateur, qui prend conscience des bénéfices tirés d’une meilleure maîtrise de sa consommation.
Pour ces raisons, les moyens de production centralisés, s’ils ne disparaîtront pas, sont amenés à occuper une place moins importante dans le système énergétique de demain. Nous verrons dans un second article dans quelle mesure les énergies renouvelables décentralisées peuvent prétendre les remplacer.
[1] Le rapport de la Cour des Comptes sur les coûts du nucléaire prévoit une hausse de 20% du coût de production dans les trois prochaines années, tandis que le rapport de l’enquête parlementaire sur le nucléaire craint une explosion des coûts liée au programme d’investissement d’EDF pour prolonger la durée de vie des réacteurs au-delà de 40 ans.
[2] Le coût externe, ou externalité, est le coût qui n’est pas supporté par les acteurs économiques privés mais par la société.
[3] Pertes de conversion énergétique au niveau de la centrale, pertes de transport et de distribution, pertes dues au stockage, pertes liées aux pannes.
Je confirme votre point de vue. Tant qu’on rapproche la production d’énergie du consommateur cela va favoriser la maîtrise de la demande d’énergie. Merci bien pour cet article.