« Independence ». C’est le nom du terminal flottant lituanien de gaz naturel liquéfié (GNL) dont la première arrivée au port de Klaipeda fut inaugurée fin octobre dernier. Un nom à la symbolique forte, qui illustre parfaitement l’objectif du pays balte à travers ce navire : se libérer du « joug » moscovite. En effet, à travers ce navire dont la particularité est de pouvoir re-gazéifier le GNL pendant son acheminement, le gouvernement lituanien cherche à se défaire petit à petit de l’emprise énergétique qu’a sur lui le géant russe Gazprom dont, faut-il le rappeler, l’actionnaire principal est l’état russe… Ce geste fort de la part du petit pays balte est-il donc une première et importante étape dans son processus d’émancipation de l’influence russe ? Quels enjeux se cachent véritablement derrière cette usine flottante ?
Une ambition politique et économique portée par le navire
Un des principaux enjeux de ce navire est avant tout de garantir la sécurité énergétique du pays totalement dépendant de Gazprom et donc du gaz russe acheminé aujourd’hui par voie terrestre. En effet, c’est par la diversification de ses sources et de ses canaux de livraisons qu’un état réduit sa dépendance vis-à-vis de ses fournisseurs et s’assure une certaine « tranquillité » énergétique. Cet enjeu est d’ailleurs le premier point mis en avant par la Présidente lituanienne lors de son discours d’inauguration qui déclarait « nous sommes désormais un état sûr d’un point de vue énergétique ».
Le second enjeu, politique, est double. Ainsi, au niveau de la politique extérieure, l’acquisition de ce terminal flottant permet au gouvernement lituanien d’être moins exposé aux mouvements et autres jeux politiques dont l’état moscovite peut parfois (ab)user. Outre la crise ukrainienne, un des derniers exemples en date est l’oléoduc de Droujba en 2006. D’autre part, la fin de l’influence russe doit se traduire par une lutte au niveau nationale de la corruption par le groupe russe d’une partie non négligeable de l’administration et de la classe politique lituanienne.
Politique et économie étant très souvent liés lorsqu’il s’agit d’hydrocarbures, l’impact économique d’ »Independence » n’est pas à négliger. La construction de ce navire fut une excellente alternative à la construction d’un terminal gazier nécessitant beaucoup plus de temps et un investissement plus conséquent. Ce navire va, par ailleurs, permettre à la Lituanie d’améliorer le rapport de force qu’il peut exister avec la Russie lors des négociations autour du prix du gaz. Un investissement d’autant plus rentable que le prix du GNL risque de baisser dans les prochaines années selon Jonathan Stern, de l’ « Oxford Institute for Energy Studies ».
Une première action vers l’autonomie ?
Bien qu’exemplaire pour les autres « petits » pays de l’ancien bloc de l’est, cette démarche lituanienne d’émancipation comporte aujourd’hui des limites. Malgré l’acquisition de ce navire, la Lituanie reste effectivement encore trop dépendante de Moscou et ce à plusieurs niveaux :
- En termes de prix : si Moscou décide demain de faire baisser de manière conséquente le prix de vente du gaz à la Lituanie, la structure que représente « Independence » ne serait plus compétitive par rapport au gaz russe. La volonté d’indépendance résisterait-t-elle donc à l’enjeu financier ?
- En termes de quantité : le contrat qui vient d’être signé entre la Lituanie et le norvégien Statoil prévoit la livraison durant les 5 prochaines années de 540 millions de mètres cubes par an. Cette quantité ne représente qu’un cinquième de la consommation annuelle du pays balte. Le reste continuera donc d’être fourni par Gazprom.
D’autre part, au vu de la situation économique actuelle de la Russie (chute du rouble et de la rente pétrolière), Moscou a tout intérêt à continuer de préserver et de protéger l’un de ses derniers piliers économiques que constitue le gaz. Il semble donc difficile à croire que le gouvernement de Poutine renonce sans opposition aux marchés si fructueux que sont les anciens pays du bloc soviétique et notamment les pays baltes dont 100% des hydrocarbures proviennent du sol russe.
Un effort à soutenir au niveau européen
L’acquisition d’ »Independence » est certes une étape importante dans cette démarche d’émancipation de l’influence russe mais reste une première étape. Elle doit donc pour vraiment aboutir, être suivie d’autres actions et efforts qui vont dans le même sens. Seulement, la Lituanie, comme les autres pays qui voient en elle un espoir, ne peut y parvenir toute seule. En les intégrant, l’union européenne s’est engagée à soutenir et aider ces pays à se développer. Les accompagner dans cette transition semble être le moment opportun pour concrétiser cet engagement. La question est donc désormais de savoir si l’UE, autrement dit les grands pays européens, en ont les moyens mais surtout la volonté ?