La Commission Mixte Paritaire qui s’est réunie le 10 Mars dernier pour tenter de trouver un accord sur le projet de loi pour la transition énergétique et la croissance verte, plus communément appelé « loi Royal », s’est soldée par un échec.
C’est donc un processus de deuxième lecture qui commence entre l’Assemblée Nationale et le Sénat, ce qui repousse l’adoption de ce projet de loi au mieux au mois de Juin prochain. Il existe 3 principaux points d’achoppement entre les deux assemblées :
- la date à laquelle la part du nucléaire dans le mix énergétique français doit atteindre 50%, contre 75% actuellement, initialement prévu pour 2030 et remplacé par un simple « à terme » par les sénateurs ;
- la distance entre les futurs parcs éoliens et les zones d’habitation, qui était de 500m dans le texte initial et qui a été remplacé par 1km dans le texte voté par le Sénat, ce qui limite fortement le développement de la filière éolienne en France ;
- l’objectif intermédiaire de réduction de la consommation énergétique de 20% en 2030, qui a tout simplement été supprimé par les sénateurs.
Certains dénoncent un projet de loi vidé de son sens, d’autres continuent à défendre un projet ambitieux qui fera de la France un pays pionnier de l’efficacité énergétique. Au-delà des objectifs chiffrés et encore débattus inscrits dans ce projet de loi, que va-t-il réellement changer pour les acteurs de la chaîne de production d’énergie ?
Production d’énergie : l’émergence de nouveaux acteurs locaux
L’article 55 du projet de loi prévoit de limiter la capacité totale de production d’électricité d’origine nucléaire de façon à encourager le développement des énergies renouvelables (EnR). Cette limite, initialement fixée à 63,2 gigawatts, avait pour objectif d’obliger la fermeture de deux centrales nucléaires vieillissantes lors de l’ouverture de l’EPR de Flamanville, prévue en 2017. Mais ce seuil a été relevé à 64,85 gigawatts dans le texte voté par le Sénat, permettant ainsi de laisser en activité les 58 réacteurs actuels. Cela pourrait partiellement remettre en question la capacité de la France à développer rapidement les énergies renouvelables, les infrastructures existantes suffisant à couvrir nos besoins énergétiques, qui par ailleurs stagnent depuis 2013. Gageons toutefois sur le fait que ce projet de loi donne un large avantage à la filière électrique (développement des véhicules électriques, appels d’offre pour des installations photovoltaïques, mécanismes de soutien financier aux énergies renouvelables etc.), qui fera augmenter notre consommation finale d’électricité et par la même nos besoins. Besoins qui seront satisfaits grâce aux moyens de production propres qui seront développés.
Aussi, un appel à projet pour la création de « territoires à énergie positive » (TEPOS) a été lancé le 4 Septembre dernier. Ils mobilisent collectivités territoriales, entreprises, associations et citoyens. Un TEPOS est défini comme suit dans le texte : « Un territoire à énergie positive doit favoriser l’efficacité énergétique, la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la diminution de la consommation des énergies fossiles et viser le déploiement d’énergies renouvelables dans son approvisionnement. » 212 projets ont finalement été retenus et bénéficieront d’une enveloppe de 100 millions d’euros annuels sur 3 ans pour développer les initiatives proposées.
Parallèlement, un appel à projet pour le développement de 1500 méthaniseurs répartis dans les territoires ruraux d’ici 3 ans a été lancé. Ils permettront de produire du biogaz à partir des déchets agricoles.
Le développement des EnR est donc l’occasion pour de petites structures au périmètre d’action très localisé de se faire une place sur le marché de la production d’énergie via des investissements dans des parcs éoliens, des centrales photovoltaïques etc. Les garanties de revenus grâce aux tarifs d’achat ainsi que les primes prévues par le projet de loi sur le prix de vente de l’électricité issue d’EnR facilitent également l’accès au crédit et rend le développement de tels projets économiquement possible. La perspective d’indépendance énergétique qui en découle couplée à la prise de conscience des enjeux environnementaux rend l’objectif de 40% d’EnR dans le mix énergétique envisageable. La question qui demeure reste la date à laquelle cet objectif sera atteint.
Distribution d’énergie : des changements timides
Le projet de loi pour la transition énergétique et la croissance verte ne propose pas de révolution sur la gestion des réseaux de distribution (transport/stockage et distribution). Les opérateurs historiques que sont ERDF et GRDF devraient rester les seuls gestionnaires.
Cependant, l’article 42 du projet de loi vise à renforcer l’association des collectivités aux investissements dans les réseaux de distribution d’électricité en créant un comité du système de distribution publique d’électricité.
Aujourd’hui, les conférences départementales, réunies sous l’égide du préfet, ont pour mission d’élaborer un programme prévisionnel de tous les investissements mis en œuvre sur le réseau public d’électricité à la maille départementale afin de désamorcer les conflits locaux liés aux décisions d’investissement.
Le comité du système de distribution publique d’électricité complétera ce rôle afin de superviser, à l’échelon national, les décisions d’investissements prises par ERDF et les Autorités Organisatrices de la Distribution d’Électricité. En effet jusqu’ici, ERDF pointait du doigt l’utilisation par les collectivités concédantes d’une partie des contributions destinées à l’investissement sur le réseau pour des travaux d’enfouissement des lignes basse tension, qui n’avaient pas pour finalité l’amélioration du service rendu mais répondait à des problématiques d’esthétisme. A l’inverse, les collectivités reprochaient à ERDF de délaisser certaines régions où les investissements étaient trop peu rémunérateurs. La création de ce comité devrait permettre de mettre fin à ce type d’antagonismes et de mieux faire valoir l’intérêt des collectivités territoriales dans l’attribution des budgets d’investissement.
Rien n’est en revanche prévu dans le projet de loi pour la distribution de gaz.
Commercialisation d’énergie : la question sensible des données de consommation des clients
Ne l’oublions pas, le projet de loi Royal, au-delà du recours à des énergies plus propres, a aussi pour ambition la maîtrise de la demande d’énergie.
Les compteurs intelligents Linky et Gazpar permettent déjà, là où ils ont été expérimentés, de récolter de précieuses données sur la consommation du client final. Données jusqu’ici détenues uniquement par le gestionnaire du réseau, ERDF ou GRDF. Or, afin de mieux maîtriser leurs besoins en énergie, les collectivités territoriales demandent à ce que ces données soient mises à leur disposition. Là encore elles se heurtent à une faiblesse du projet de loi. Celui-ci précise simplement qu’un décret à venir précisera les personnes publiques bénéficiaires des données, la nature des données mises à disposition, la maille territoriale à laquelle les données seront mises à disposition et les modalités de leur mise à disposition.
En revanche, c’est du côté du consommateur final que les choses devraient bouger. L’article 56 du projet de loi mentionne que les gestionnaires des réseaux publics d’énergie doivent mettre gratuitement à disposition des consommateurs « leurs données de comptage, des systèmes d’alerte liés à leur niveau de consommation, ainsi que des éléments de comparaison issus de moyennes statistiques basées sur les données de consommation locales et nationales ». Les gestionnaires de réseau devront également garantir l’accès à ces données aux fournisseurs d’énergie.
Cela devrait permettre de voir émerger sur le marché de nouveaux fournisseurs d’énergie. Cette tendance a déjà été amorcée depuis quelques années et devrait s’intensifier grâce à une meilleure connaissance des comportements de consommation d’énergie des clients finals.
L’utilisation de ces données par les fournisseurs d’énergie permettra de voir apparaître des offres plus diversifiées et plus personnalisées en fonction des profils de consommation des clients finals.
Nous pouvons toutefois nous demander si ces données de consommation, mises à disposition des consommateurs en premier lieu par le distributeur d’énergie, seront facilement valorisables par les fournisseurs. C’est la qualité des services associés aux offres de fourniture d’énergie pour mieux maîtriser sa consommation qui fera alors la différence pour le consommateur final.
C’est en revanche une réelle opportunité qui s’offre aux distributeurs d’énergie de se positionner sur un nouveau créneau de conseil à la maîtrise de la demande d’énergie, à destination des collectivités territoriales ou des consommateurs finals.