Le 29 mai dernier paraissait une web-BD « Ma propre énergie ». Son objectif : retracer l’historique de l’énergie et de la perception qu’en ont les Français. Elle souligne également les marges d’actions actuelles à disposition de la société civile dans la production d’énergie, notamment les projets citoyens[1]. Pourtant, le sujet de la réappropriation citoyenne des enjeux énergétiques reste largement méconnu du grand public. En France, la tradition centralisatrice n’y est pas pour rien, mais plus largement à l’échelle européenne, la société civile n’est intégrée dans la production d’énergie que d’une manière marginale, et les récentes réformes politiques (par exemple le recours croissant à des procédures d’appels d’offres) privilégient de nouveau les grands acteurs de la production centralisée au détriment des acteurs du territoire.
Sur la base de ce constat, le Conseil Économique et Social Européen (CESE) a mené en 2014 une étude qui interroge le« rôle de la société civile dans la mise en œuvre de la directive sur les énergies renouvelables »[2] : doit-elle être simple observatrice ? contributrice ? ou principale actrice ?
« Nous ne sommes pas simplement des partisans de la transition énergétique : nous sommes la transition énergétique. L’Energiewende n’a été enclenché ni par des hommes politiques, ni par les grandes entreprises énergétiques : c’est nous qui lui avons donné naissance. Les pressions que nous avons exercées ont créé les conditions générales voulues pour que la transition soit possible ».- Témoignage d’un participant à une table-ronde en Allemagne, publié dans le rapport du CESE. |
L’équipe chargée de l’étude est allée à la rencontre des citoyens de 6 États membres (Allemagne, Pologne, France, Royaume-Uni, Lituanie, Bulgarie) qui témoignent d’une société civile très ouverte et qui, non contente d’être favorable à l’énergie renouvelable, y voit une opportunité pour le développement socio-économique local.
L’énergie renouvelable citoyenne favorise l’adhésion des citoyens aux énergies renouvelables
L’hostilité des particuliers aux parcs éoliens existe dans tous les pays de l’UE, mais le CESE remarque que toute opposition disparaît dès lors que les citoyens et entrepreneurs locaux sont associés aux projets, car ils en apprécient alors les effets positifs locaux et acceptent mieux les éventuelles contraintes, esthétiques ou autres. Ainsi, le déploiement des énergies renouvelables s’effectue à un rythme plus soutenu dans les États membres qui ont donné à leurs habitants la possibilité de lancer leurs propres initiatives énergétiques (par exemple en Allemagne et au Danemark).
L’énergie renouvelable citoyenne dégage les fonds nécessaires pour la transition énergétiques vers les renouvelables
Le déploiement des énergies renouvelables mobilise d’importantes ressources financières, en majeure partie d’origine privée. Le potentiel de l’investissement citoyen dans la transition énergétique n’a été que très peu exploité en France, tandis qu’il constitue un levier de premier plan au Danemark ou en Allemagne. Dans ce pays, les investissements dans l’énergie renouvelable citoyenne ont atteint 5 milliards d’Euros en 2012[3], et plus de 50% des capacités renouvelables appartiennent à des coopératives énergétiques, citoyens et exploitants agricoles. En France, le fonds d’investissement citoyen Energie Partagée dispose de 1000 fois moins de fonds pour investir dans les projets citoyens.
L’énergie renouvelable citoyenne encourage le développement collectif et favorise l’emploi local
Les énergies renouvelables sont par essence des ressources locales. Leur utilisation par les communautés locales permet la génération de revenus, immédiatement disponibles pour des investissements dans des projets de développement durable au bénéfice des habitants : aménagements urbains, soutien aux investissements des ménages… Au delà, la croissance de la part de l’énergie produite localement réduit d’autant l’importation de combustibles fossiles, un poste très important et en forte hausse dans les budgets des collectivités locales[4].
Enfin, le développement de projets locaux d’énergie renouvelable s’accompagne de la création d’emplois locaux tout au long de la chaîne de valeur du projet (études, montage financier et juridique, exploitation et maintenance) et stimule l’innovation collaborative entre les acteurs du territoire.
La réunion de certaines conditions réglementaires permettrait de débrider le potentiel de l’énergie renouvelable citoyenne
Le rapport dresse le constat commun à tous les pays de l’UE qu’il existe une société civile mobilisée en faveur de la transition énergétique et désireuse de récolter les fruits dans la production d’énergie renouvelable. Le principal frein à cet engouement réside dans l’environnement réglementaire : l’équipe en charge de l’étude n’a trouvé dans aucun État membre une quelconque stratégie gouvernementale cohérente ayant pour but explicite de libérer le potentiel collectif. Au contraire, l’instabilité politique et les récentes réformes du cadre réglementaire en matière énergétique ont accru l’incertitude et freiné les investissements autour des énergies renouvelables. Le CESE formule dans son rapport certaines recommandations :
- Instaurer un environnement de concurrence équitable pour les énergies renouvelables, notamment en internalisant les coûts externes des énergies fossiles
- Établir des cadres réglementaires stables en faveur des initiatives citoyennes : simplification des procédures administratives, délai de raccordement au réseau, maintien et évolution lisible de tarifs d’achat pour les projets non-industriels
- Inscrire la production citoyenne d’énergie renouvelable au rang des priorités d’action : objectifs de développement de l’énergie citoyenne, participation de la société civile à l’élaboration des politiques en matière d’énergies renouvelables
En conclusion du rapport, le CESE prend parti en faveur de l’énergie citoyenne, dont il identifie clairement les bénéfices. Il appelle de ses vœux que l’UE et les Etats membres insistent plus vigoureusement sur le lien entre production décentralisée d’énergie renouvelable et le développement local. Il souligne aussi que la mise en œuvre d’une politique cohérente de soutien et d’encouragement de l’énergie citoyenne constituera une opportunité pour atteindre les objectifs européens de développement des ENR d’ici 2020 (20%) et 2030 (27%).
Énergie renouvelable citoyenne, où en est-on en France ? En France aussi, les citoyens et collectivités aspirent à s’approprier les enjeux du développement durable et à devenir acteurs de la transition énergétique. Mais aller à l’encontre de la culture jacobine n’est pas sans difficulté, et le premier projet éolien citoyen, Bégawatts, a mis plus de 10 ans à voir le jour. Depuis, les initiatives et les plateformes de crowdfunding énergétiques se multiplient. Cet écosystème se structure autour du fonds d’investissement citoyen Energie Partagée. Depuis 2011, Energie Partagée sélectionne et accompagne les projets citoyens d’énergie renouvelable sur les phases de conception et de développement des projets. Il propose aux citoyens de souscrire au fonds, qui investit en fonds propres dans les projets, de manière à ce que les porteurs en gardent la maîtrise citoyenne. |
Crédit images : Energie Partagée / Marc Mossalgue – Audrey Collomb
[1] L’expression « énergie citoyenne » désigne le développement et la maîtrise (à au moins 50%) de projets de production décentralisée d’énergie renouvelable par des groupements de particuliers, agriculteurs, collectivités et structures coopératives.
[2] Les résultats furent publiés dans un rapport paru en janvier 2015.
[3] La même année, les grands acteurs traditionnels du secteur n’ont investi qu’ 1,7 milliard d’Euros dans les renouvelables.
[4] Les dépenses énergétiques des collectivités représentent 5 à 10% de leur budget de fonctionnement. Elles ont cru de 35% entre 2005 et 2012 (ADEME). L’électricité représente à la fois la première source d’énergie consommée (45%) et le premier poste de dépense énergétique pour la collectivité (55%).