À l’heure où sonnent la fin des négociations de la COP21, Energystream se penche sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre du premier secteur émetteur en France, le transport (27% des GES) et s’intéresse plus précisément à une solution mise en avant par GRDF : le Gaz Naturel Véhicule (GNV). 280 stations publiques existent déjà sur le territoire. Afin de mieux comprendre cette technologie et ses atouts dans la transition énergétique, nous avons rencontré Didier SAUSSIER, Directeur Clients Territoires GRDF pour la région Rhône-Alpes-Bourgogne.
ENERGYSTREAM : GPL, GNV, GNC, GNL… Les carburants gaz semblent aussi nombreux que leurs appellations. Pouvez-vous nous expliquer brièvement les différences et les atouts du GNV ?
Didier SAUSSIER : Écartons d’emblée le GPL qui est un mélange de butane et de propane et ne peut être injecté dans le réseau de gaz naturel. Le GNV, c’est du gaz naturel utilisé comme carburant. Afin de réduire son volume pour un usage carburant, il est utilisé soit à l’état comprimé, c’est le GNC soit à l’état liquéfié, c’est le GNL. La différence entre le GNC et le GNL concerne essentiellement l’autonomie du véhicule : le gaz comprimé est utilisé pour des trajets de 350 à 500 km, tandis que le gaz liquéfié permet de parcourir jusqu’à 1000 km. Chez GRDF, nous appuyons le développement du GNV dans sa forme comprimée car c’est un carburant qui peut être délivré par des stations-service directement reliées au réseau public de distribution de gaz naturel[1]. Le GNL, pour sa part, est stocké dans des cuves cryogéniques qui sont réapprovisionnées par camions spécifiques.
Enfin, le bioGNV c’est du biométhane, un gaz 100 % naturel produit à partir de nos déchets. Doté des mêmes caractéristiques techniques que le gaz naturel, le biométhane peut être utilisé comme carburant, on l’appelle alors bioGNV. En clair, vous roulez vert et en plus vous recyclez vos trognons de pommes ! C’est l’exemple parfait de l’économie circulaire.
ES : GRDF semble particulièrement actif dans les initiatives de développement du GNV en région Rhône-Alpes, pouvez-vous nous présenter ces actions ?
DS : En Région Rhône Alpes, le projet Équilibre[2] vise à expérimenter des solutions « grandeur nature » de carburant gaz pour éclairer la filière du transport de marchandises sur l’intérêt de cette solution. Notre objectif, c’est de faire éclore un écosystème d’acteurs autour de la mobilité gaz. L’expérimentation a suscité l’intérêt de quelques transporteurs de la vallée de l’Arve, qui ont émis le souhait d’acquérir des véhicules GNV dans le cadre de leurs activités. Cependant, le nombre initial de camions prévus était insuffisant pour permettre à un opérateur de station GNV de financer seul une infrastructure dont le coût est évalué à 1 Million d’€.
Avec l’ADEME, les transporteurs et l’opérateur GNVERT, nous avons réfléchi aux moyens de sortir de cette impasse : « pas de station donc pas de camions, pas assez de camions donc pas de station ! » et nous sommes arrivés à la conclusion que l’achat d’une quinzaine de camions permettrait à l’opérateur d’investir sereinement. Nous avons donc cofinancer avec l’Ademe un fonds de soutien à l’acquisition des 15 premiers camions, à hauteur de 15 000 € par véhicule[3]. Ce niveau d’aide est très raisonnable, comparé à celui accordé aux véhicules électriques particuliers (10.000€ de bonus écologique), notamment quand on considère qu’un camion de 19T à 44T a un impact environnemental 30 à 50 fois supérieur à celui d’un véhicule particulier urbain. En contrepartie, les professionnels se sont engagés à s’approvisionner sur cette nouvelle station.
ES : Quel a été le résultat de cette opération ?
DS : Un vrai succès. A ce jour, plus de 100 transporteurs ont manifesté leur intérêt pour cette opération. La clef du succès, c’est d’avoir créé dès le départ l’équilibre offre-demande, sans avoir eu besoin de subventionner les infrastructures, simplement par la garantie d’une utilisation de la station de recharge par les 15 premiers camions GNV circulant sur cette zone.
Avec le Directeur régional de l’ADEME nous avons décidé de dupliquer le principe de l’opération de la vallée de l’Arve sur plusieurs territoires dont, en priorité, le Grand Lyon, où une station publique GNV a vu le jour cette année et une seconde est en projet pour 2016. Dans les zones urbaines, le GNV est tout à fait adapté aux activités de livraison des commerces de centre-ville. 8 autres territoires[4] sont déjà identifiés dans la région pour répliquer le modèle, pour des déploiements en 2016 et 2017. À travers ces « territoires GNV », chacun autonome du point de vue de l’équilibre économique, on commence à dessiner un maillage régional cohérent, qui pourra inciter d’autres usagers à se convertir.
ES : Le calcul économique est-il positif pour les partenaires privés : transporteurs et opérateur de station de recharge ?
Pour le transporteur, le GNV présente de multiples atouts :
- D’abord économique: pour un transporteur, un des rares moyens d’augmenter la marge est de diminuer les dépenses de carburant. Malgré le surcoût à l’investissement, le coût d’exploitation d’un camion GNV est déjà compétitif, car le prix du kg de gaz (soit 1,1 L de diesel) est compris entre 0,75€ et 0,85€.[5] Le surcoût des camions ne peut que diminuer à mesure que la production en série croît.
Un frein subsiste encore lié à l’absence d’un marché de l’occasion pour les camions GNV. Dans une hypothèse conservatrice, leurs valeurs de reprise ont été fixées à zéro, mais depuis notre action en vallée de l’Arve, cela a déjà évolué dans le bon sens.
- Ensuite écologique: certains chargeurs comme IKEA ou Carrefour prennent des positions claires sur le sujet. Ils veulent que leurs produits suivent une logique vertueuse avec un transport propre. De même, les collectivités s’engagent de manière croissante dans des démarches d’amélioration de la qualité de l’air dans les centres villes. Certaines Métropoles, comme Paris, ont déjà institué des restrictions de circulation pour les véhicules polluants. Le GNV présente l’avantage de n’émettre quasiment pas de particules fines et beaucoup moins d’oxydes d’azote que le diesel[6]. Le bioGNV ajoute à cet atout celui d’être un carburant renouvelable et fabriqué en France.
En ce qui concerne l’opérateur de station, il prend un risque acceptable. L’utilisation de son infrastructure par un minimum de 15 camions est juste pour assurer un retour sur investissement à long terme. En revanche, dès lors que l’opérateur parvient à convaincre d’autres transporteurs de convertir leur flotte, il s’assure une rente de monopole. Nous estimons qu’un volume d’environ 30 camions GNV supplémentaires convertis dans les 3 à 4 premières années assurera un retour sur investissement en moins de 10 ans.
ES : Quels obstacles identifiez-vous au développement du GNV ?
DS : Ils sont de deux ordres. Le problème numéro 1, c’est de trouver des clients. D’où notre démarche pragmatique, par étape, en cherchant d’abord des clients transporteurs, avant de lancer l’installation de stations. Pour nous, il s’agit plus d’un enjeu que d’un obstacle, car la solution GNV suscite un vif intérêt de la profession.
Le problème numéro 2, c’est de trouver le foncier pour installer la station, c’est-à-dire de trouver un terrain qui soit à la fois proche des infrastructures routières et des capacités du réseau de gaz, et disponible. Cet obstacle n’est pas non plus insurmontable. Dans une logique de déploiement national, l’idéal serait bien sûr d’intégrer la recherche de terrain très en amont dans l’élaboration des documents de planification des collectivités (PLU et PDU). Ce travail d’anticipation reste à faire.
ES : En France, on parle beaucoup plus de la mobilité électrique que de la mobilité gaz. Ne noyez-vous pas un frein politique au développement du GNV ?
Je ne suis pas si pessimiste, les choses évoluent beaucoup par les initiatives locales. 2/3 des villes françaises de plus de 200.000 habitants ont déjà choisi de passer une part significative de leur flotte de bus au GNV, et s’intéressent désormais à la conversion de leurs bennes à ordures. Paris montre la voie en ce sens. Avec la méthanisation qui se développe en parallèle, cela a encore plus de sens : les déchets que vous ramassez alimentent vos camions en énergie.
Tout l’enjeu, c’est le développement concomitant des carburants alternatifs, notamment l’électricité et le gaz, dans une logique d’optimisation du mix énergétique et de complémentarité des solutions. Le véhicule électrique apporte des réponses pertinentes pour les déplacements des particuliers sur les courtes distances. En revanche, je ne crois pas au développement de camions électriques avec une charge utile importante. Le gaz est la seule solution opérationnelle pour rendre le transport routier de marchandises plus vert à court terme : l’autonomie est assurée, les constructeurs proposent déjà dans leur catalogue des modèles, et les besoins en infrastructure de recharge peuvent être limités[7].
ES : Vous avez évoqué à plusieurs reprises le bioGNV au cours de cet entretien. Le bioGNV est-il l’avenir du GNV selon vous ?
DS : Oui, j’en suis persuadé. Le GNV est aussi très intéressant parce qu’il permet à terme de basculer vers une énergie renouvelable sans changer de matériel roulant. La loi de transition énergétique engage la France dans le développement de la méthanisation. Aujourd’hui, 16 sites de méthanisation injectent du biométhane sur le réseau de gaz. Cela représente la consommation de près de 1 000 camions roulant au bioGNV. Pour nous, la valorisation du biométhane dans un usage carburant est une priorité, c’est la promesse d’un carburant propre, renouvelable et produit en France. Au plan national, nous avons pour objectif d’avoir 100 sites de méthanisation raccordés en 2018.
ES : Quel rôle GRDF se confie-t-il et défend-t-il à la COP21 dans cette perspective de transition énergétique ?
DS : Avec la conviction que le gaz est une énergie d’avenir. GRDF engage son action pour la transition énergétique selon 4 axes :
- Verdir le gaz circulant dans nos réseaux, notamment par un soutien actif au développement de la méthanisation, mais aussi en stimulant d’autres technologies : la méthanation[8], ou la gazéification du bois, pour laquelle le démonstrateur GAYA est en cours de construction sur l’agglomération Lyonnaise.
- Accompagner nos clients consommateurs de gaz dans une démarche de réduction des consommations, par la sensibilisation, l’équipement en compteurs communicants, la proposition de solutions gaz performantes. Nous avons en ce sens signé un accord avec la société BoostHEAT qui développe une chaudière révolutionnaire, qui divise par deux les consommations de gaz.
- Moderniser et digitaliser le réseau, pour optimiser les flux de gaz. Des volumes croissant de gaz vert seront injectés en des points variés du réseau de distribution, à nous d’adapter le réseau de distribution pour les accueillir.
- Stimuler et amplifier les usages nouveaux du gaz, en premier lieu le GNV et le bioGNV. Notre vision moyen/long terme, c’est autant de gaz dans les tuyaux, mais une reconfiguration de son usage du chauffage vers la mobilité.
Chez GRDF, nous croyons à la nécessité de la COP21, mais aussi à l’action locale des territoires. À titre personnel, je suis convaincu que le défi du changement climatique se réglera aussi par les initiatives territoriales.
Le Gaz Naturel Véhicule apparait en effet comme une solution de transition énergétique pragmatique, car rapidement disponible, et ambitieuse, et prête à évoluer vers un approvisionnement en énergie renouvelable. Les acteurs de la filière suivent une logique bottom-up, en agissant à l’échelle du territoire par un développement simultané de l’offre et de la demande. Espérons qu’ils pourront profiter de la COP21 pour faire entendre leur voix, de manière à ce que l’État lève les freins économiques et financiers à l’essor du GNV, par des incitations fiscales stables et un soutien à la structuration de la filière méthanisation.
[1] Le réseau de distribution de gaz naturel français appartient aux collectivités locales qui concèdent, pour la plupart, à GRDF sont exploitation.
[2] Équilibre est un consortium constitué de plusieurs transporteurs et d’un opérateur de station GNV, initiative accompagnée par l’ADEME et GRDF.
[3] Cela représente environ la moitié du surcoût d’un camion GNC par rapport à l’équivalent en Diesel.
[4] L’opération est en cours à Saint-Etienne, Montélimar, Annecy et Chambéry, et sera lancée mi-206, à Valence, dans l’Ain, à Grenoble et à Saint-Quentin-Fallavier
[5] Il s’agit du prix de fourniture du carburant (dans lequel le coût du service de compression est compris).
[6] Le GNV émet 93 % d’émissions de particules fines de moins et 30 % de NOx de mois que le diesel. Source : données homologation Iveco, Cursor 8
[7] Une seule station bien située peut suffire pour gérer la recharge d’une flotte.
[8] Production de méthane de synthèse à partir d’hydrogène et de dioxyde de carbone
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