2016 sera probablement une année de grand changement pour les énergies renouvelables. Le complément de rémunération, dont le décret devrait faire l’objet d’une notification à la Commission Européenne d’ici fin février, pourrait bien bouleverser le paysage réglementaire actuel. La plupart des infrastructures d’EnR bénéficieront d’un système à « guichet ouvert », tandis que les centrales photovoltaïques de plus de 100 kW seront cantonnées à des appels d’offres. L’intégration progressive des énergies renouvelables au marché aura sans doute des répercussions financières ; pour cette raison, des solutions de financement innovantes pourraient tout à fait avoir le vent en poupe.
Les sociétés-projets : une structure prédominante pour les énergies renouvelables
Afin de soutenir le développement des énergies renouvelables en France, et dans le cadre des objectifs de transition énergétique, la loi « relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité » [1] prévoit de rémunérer l’électricité d’origine renouvelable grâce à des tarifs préférentiels et un rachat systématique de la production par l’opérateur historique : EDF. Ce mécanisme, appelé mécanisme de Feed-In Tariffs (FiT), place les énergies renouvelables en dehors du marché de l’électricité, et garantit aux producteurs des tarifs stables sur la majeure partie de la durée de vie de leurs infrastructures.
Moyennant un calcul des ressources disponibles, il est donc possible d’anticiper les flux de trésorerie d’un projet d’énergie renouvelable (ainsi que le degré d’incertitude y étant associé), sur des durées relativement longues (e.g. 20 ans dans le secteur du photovoltaïque, et 15 ans pour l’éolien terrestre). De cette manière, les sponsors sont capables d’estimer le Taux de rentabilité interne (TRI) des capitaux propres qu’ils investissent dans un projet.
Ainsi, les tarifs d’achat garantis de l’électricité renouvelable ont donné naissance à des solutions de financement spécifiques, souvent retrouvées dans le secteur des infrastructures, et dénommées project finance. Ces solutions reposent sur des sociétés-projets ad hoc, qui mettent en jeu des financements sans recours : en d’autres termes, les capitaux propres et la dette bancaire injectés dans un projet ne sont rémunérés que par les cash flows générés par l’infrastructure en elle-même. Dans cette configuration, les porteurs de la dette ne sont pas en mesure de se retourner contre la société mère en cas de défaut [2].
Aujourd’hui, les énergies renouvelables relativement matures, telles que le photovoltaïque ou l’éolien terrestre, sont généralement financées à partir de 20% de fonds propres et 80% de dette bancaire. Avec les tarifs d’achat garantis des dernières années, ceci permettait d’atteindre des TRI avoisinant 7% à 8%.
Néanmoins, le paysage réglementaire des EnR est actuellement en pleine mutation. Les Feed-in Tariffs, vivement critiqués au cours des dernières années pour leur inadaptation aux enjeux des réseaux et aux réalités du marché, seront progressivement abandonnés au cours de l’année 2016 pour certaines filières. Pour cette raison, les solutions de financement classiques pourraient perdre de la vitesse au cours des mois à venir, au profit de financements plus innovants.
Des mécanismes de soutien en transition…
Depuis la publication du projet de décret relatif au complément de rémunération et à l’obligation d’achat en septembre 2015, les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables sont sur le devant de la scène.
En effet, la rémunération de l’électricité renouvelable par des Feed-in Tariffs a progressivement été remise en question, car ils déconnectent les producteurs des signaux du marché, où est échangée l’électricité provenant de sources conventionnelles. L’électricité renouvelable étant rachetée à prix constant, ceci a conduit les producteurs d’EnR à injecter leur électricité sur le réseau sans tenir compte de la demande. Quelles conséquences ? Une chute des prix sur le marché spot, voire des prix négatifs en cas de crise [3]. En Europe, le marché a fait face à des distorsions de taille à plusieurs reprises : pour les détenteurs des centrales thermiques, il était alors moins coûteux de continuer à produire plutôt que de stopper les infrastructures pendant quelques heures afin de permettre au réseau d’absorber le surplus d’énergie renouvelable. Dans une telle configuration, les pays transfrontaliers (potentiellement possesseurs de barrages hydroélectriques ou de STEP) ont donc été sollicités pour évacuer l’électricité ne pouvant être consommée dans l’immédiat.
Le complément de rémunération a été pensé pour répondre à cette défaillance. Ce nouveau mécanisme, déjà expérimenté par d’autres pays européens, a pour objectif de rendre les producteurs d’énergies renouvelables sensibles aux signaux du marché, tout en leur permettant de recouvrer leurs coûts fixes. Ces derniers vendront dans un premier temps leur électricité au prix de marché, et percevront une prime à l’énergie déterminée ex-post. Des installations (telles que les infrastructures de production d’hydroélectricité, de traitement thermique des déchets, les gîtes géothermiques et certaines infrastructures de méthanisation et de cogénération) bénéficieront d’un système « à guichet ouvert », tandis que d’autres (telles que les centrales photovoltaïques de plus de 100 kW) devront passer par des appels d’offres. Le secteur de l’éolien, quant à lui, n’est pas concerné pour le moment.
Le décret d’application du complément de rémunération devait entrer en vigueur à partir du 1er janvier 2016. Toutefois, il fait encore l’objet de discussions. Ses modalités d’application restent relativement floues, et la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a remis en question certains de ses aspects au cours de la délibération datant du 9 décembre 2015. En conséquence, l’ancien dispositif s’applique jusqu’à l’entrée en vigueur du décret. Malgré les incertitudes actuelles, le complément de rémunération risque néanmoins de bouleverser les pratiques du secteur. Les producteurs seront davantage exposés aux aléas du marché. En ce sens, de nouveaux acteurs vont progressivement apparaître : les agrégateurs ayant l’expérience du marché, qui tireront parti du foisonnement des énergies renouvelables. Avec ce système, ces derniers chercheront à maximiser les prix capturés en fonction de la demande pour garantir aux producteurs un prix de vente le plus stable possible. Une première évolution du secteur sera donc contractuelle.
En matière de financement, les retombées du complément de rémunération sont encore incertaines. Selon l’exposition au marché des producteurs, les banques pourraient se montrer plus frileuses qu’auparavant : en fonction des risques encourus, les infrastructures soumises au complément de rémunération pourraient nécessiter un niveau de fonds propres accru, ou faire face à une dette bancaire plus chère. Dans ces conditions, les solutions de financement innovantes sont susceptibles de gagner du terrain.
…faisant émerger de nouvelles solutions de financement
Financement participatif
Avec la simplification des textes encadrant le crowdfunding à la fin de l’année 2014, on observe aujourd’hui la montée en puissance des plateformes de financement participatif. Pour les projets d’énergie renouvelable, cette nouvelle source de financement peut à la fois venir se substituer à la dette ou aux fonds propres. Avec l’essor des projets citoyens, de nouveaux acteurs, tels que Lumo, ou Lendosphère, proposent à des particuliers de devenir acteurs de la transition énergétique. Le financement des énergies évolue, et les grands énergéticiens l’ont bien compris : ENGIE a ainsi lancé sa propre plateforme de financement participatif GreenChannel en septembre 2015, et prévoit de développer un projet similaire à l’échelle européenne.
En sensibilisant les citoyens aux enjeux de la transition énergétique, et en encourageant l’investissement local, de telles plateformes offrent non seulement de nouvelles opportunités de financement pour les projets d’énergie renouvelable mais favorisent aussi leur acceptabilité sociale (notamment dans le secteur de l’éolien). Leur challenge ? Réussir à lever des sommes conséquentes pour des projets à forte intensité de capital. Mais les start-ups Lumo et Lendosphère semblent sur la bonne voie ; par exemple, pour un parc éolien de 20 MW développé par Valorem en Picardie, la plateforme Lendosphère a collecté plus de 110 000 € auprès de prêteurs particuliers [4]. Bien qu’une telle somme soit encore loin de la dette nécessaire pour monter un projet, le financement participatif des énergies renouvelables apparaît prometteur pour se substituer à une partie de l’investissement des projets d’EnR, que ce soit en dette ou en equity.
Dette junior
Certaines filières EnR, telles que l’éolien terrestre et le photovoltaïque, approchent aujourd’hui de la maturité. Avec quelques années de retour d’expérience sur la production, ces infrastructures brownfield permettent désormais aux actionnaires d’envisager des refinancements. Dans le cas des développeurs, il s’agit de récupérer une partie de leurs fonds propres afin d’en disposer pour d’autres projets. Des fonds de dette mezzanine voient donc le jour dans le but de remplacer une part de l’equity des projets d’EnR. Les porteurs de cette dette secondaire, non prioritaire par rapport à la dette bancaire (dite « dette senior » par opposition à la « dette junior »), ont l’avantage d’avoir une visibilité sur les flux de trésorerie des projets au cours des années précédentes. Généralement, la dette junior est associée à des taux de rémunération de 7% à 10% [5] représentant les risques supplémentaires encourus par les prêteurs junior, par rapport à la dette senior initiale.
Plus généralement, le secteur des énergies renouvelables connaît de nos jours une financiarisation progressive, avec une multiplication des financements selon les intérêts des acteurs impliqués. Pour ne citer qu’eux, les green bonds s’affichent comme une solution supplémentaire, désormais envisagée par les collectivités locales pour soutenir le développement des EnR. En gagnant en maturité, les énergies renouvelables doivent peu à peu s’intégrer au marché, ce qui augmente potentiellement les risques pris par les investisseurs et les prêteurs. Les évolutions réglementaires actuelles semblent donc en passe de modifier le jeu des acteurs de la transition énergétique, faisant naître des solutions de financement innovantes, à encourager pour atteindre à terme les objectifs ambitieux fixés à l’échelle européenne.
[1] Article 10 de la loi n°2000-108 du 10 février 2000
[2] Les banques s’assurent donc au préalable de la robustesse des projets à travers d’audits d’acquisition appelés due diligences d’acquisition.
[3] En 2012, l’Allemagne a connu au total 56 heures de prix négatifs sur le marché day-ahead du fait d’une surproduction éolienne dans le nord du pays. Durant ces heures, les opérateurs suisses ont été payés pour remplir leurs Stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) afin d’évacuer l’électricité que le réseau allemand ne pouvait pas supporter.
[4] Source : Actu-Environnement
[5] Source : RGreen
Bonjour,
Je pense que le financement participatif est un bon moyen pour l’Homme de prendre conscience du dommage (externalité) sur son environnement.
En ce sens, la multiplication de plateforme telle que GreenChannel pourrait être perçu comme un signal permettant de mesurer le prix de la « nature »; problématique majeur à laquelle aucun économiste n’est capable de répondre. Le marché du carbone étant seulement un moyen de mesurer la dégradation de la planète, mais en aucun cas, un moyen de fixer un prix à la Nature.
L’article était sympa, merci à vous.
Je suis entièrement d’accord avec vous, mais il faut un investissement et une implantation raisonnée non pas une ruée vers l’or comme aujourd’hui, financée par de la dette. qui peut éventuellement être épongée en cas de déconfiture par le contribuable. Voir le nombre d’échecs de LBO dans les années 90 & 2000!