A l’instar des Smart Grids, ces réseaux électriques plus intelligents d’année en année, les Smart Gas Grids commencent réellement à occuper une place d’importance. Réduire les coûts d’exploitation, diminuer les factures des consommateurs, augmenter les interactions inter-réseaux, développer les filières de production de gaz propre : tous les acteurs de la chaîne gazière ont beaucoup à gagner à travailler sur des réseaux plus intelligents.
Dans cette optique, les nouvelles technologies viennent une fois de plus au secours de processus existants. Quels sont les objectifs visés ? Quelles étapes pour guider nos réseaux de gaz vers leurs doubles connectés du futur ?
Différents axes de développement proposés par l’union européenne
En 2011, la « task Force Smart Grids », une institution rattachée à la commission européenne, a défini 4 grandes fonctionnalités que les réseaux de gaz devront développer pour devenir intelligents :
- Accroître la flexibilité du système énergétique en devenant un lieu de stockage de l’électricité fatale
- Renforcer leur capacité à accepter les gaz non conventionnels
- Améliorer l’exploitation, la sécurité et la continuité d’approvisionnement
- Développer les usages du gaz smart
Des réseaux plus flexibles
L’idée exprimée derrière cette notion est de développer les complémentarités possibles entre réseaux électriques et gaziers. Une de ces complémentarités importante réside dans le stockage d’énergie. La source de stockage d’électricité la plus importante en France (et dans le monde) réside en les Stations de Transfert d’Energie par Pompage. Leur capacité en France est de l’ordre de la centaine de GWh (d’après EDF). En revanche, les capacités de stockage des réseaux de gaz souterrains sont de l’ordre de la centaine de TWh (d’après GRDF). Un facteur 1000 serait théoriquement à gagner en utilisant toutes les capacités de stockage des réseaux de gaz.
Outre la question du stockage, la production directe et décentralisée d’électricité à partir de gaz est un atout qui va être de plus en plus utilisé.
Ces capacités sont exploitables via différents biais :
- Sur le réseau de transport : les centrales à cycle combiné gaz et les chaudières à cogénération sont des composantes importantes du mix énergétiques, car disposant d’une efficacité énergétique plus importante et émettant moins de CO2 que le charbon (un rendement jusqu’à deux fois plus élevé pour moins de la moitié des émissions de CO2), mais surtout une grande flexibilité pour pallier l’intermittence des énergies renouvelables électriques. Si les réseaux d’électricité et de gaz communiquaient, le déclenchement d’une centrale à cycle combiné gaz par exemple pourrait être commandé par l’apparition d’un « trou de production » provenant d’un champ éolien voisin.
- Sur le réseau de distribution : l’électricité excédentaire produite par les installations de production d’énergie renouvelable (photovoltaïque, éolien) peut être convertie en hydrogène et injectée sur le réseau de gaz (on parle de « Power to Gas »). Actuellement limitée à 6%, la part d’hydrogène dans le réseau devrait pouvoir atteindre les 20% (faisabilité étudiée via le projet GRHYD porté par Engie et McPhy Energy). Il serait même envisageable de stocker de l’électricité sous forme d’hydrogène dans le réseau de gaz et de le réutiliser pour produire de l’électricité si besoin, selon le même principe que la pile à combustible.
Réseaux de gaz et d’électricité peuvent donc venir au secours l’un de l’autre, voire même être liés à un réseau de chaleur, pour permettre en permanence et à une maille très locale de mettre en correspondance énergie disponible et énergie demandée.
Des gaz non conventionnels plus présents
L’objectif principal actuel est d’améliorer la capacité du réseau à absorber et transporter du biométhane (lire l’interview de Julien Schmit/GRTgaz sur le sujet : Interview : le biométhane dans les réseaux de gaz), produit localement à partir de déchets organiques fermentés. Bien que ce gaz soit traditionnellement utilisé dans la cogénération pour produire de la chaleur, de la décentralisation de ce type de production découle souvent une absence de « débouché chaleur » (ou de flotte de véhicule alimentée au biométhane) proche, ce qui justifie la volonté de faire remonter ce gaz dans le réseau de transport. Il faut pour se faire concevoir et implanter des sous-stations capables d’être bidirectionnelles, télécommandables (voire automatisés), pouvant, en fonction de l’état du réseau, compresser du gaz vers le réseau de transport ou décompresser du gaz vers le réseau de distribution (principe similaire aux transformateurs présents entre réseaux de transport et de distribution d’électricité).
Des moyens d’exploitation plus connectés
Le réseau de gaz présente une souplesse qui lui permet de « s’auto-réguler » pour maintenir l’équilibre offre demande (les détendeurs par exemple se règlent en continu en fonction des conditions de pression), à la différence de son cousin électrique qui doit lui être piloté en permanence. Cependant, avec l’augmentation de l’injection de biométhane sur le réseau de distribution, les gestionnaires de réseaux vont devoir gérer cet équilibre offre/demande. Cet équilibre pourra être maintenu à condition de :
- mettre en place des systèmes de télé-relève de nombreux paramètres physiques en temps réel
- déployer des systèmes de télé-pilotage et d’automatisation de nombreuses manœuvres pour éviter toute interruption d’alimentation
- développer des algorithmes capables d’optimiser l’utilisation du biogaz produit localement, pour limiter les coûts de transport jusqu’au consommateur
Des usages plus smart pour le gaz
L’objectif est d’encourager de nouveaux usages plus performants, pour les consommateurs du résidentiel tertiaire notamment. Des solutions, en particulier hybrides, permettent d’augmenter le rendement de certains procédés tout en limitant les émissions de polluants. Figurent parmi ces solutions :
- Les Pompes À Chaleur (PAC) à compression gaz naturel : leur fonctionnement est très similaire à des PAC à compression électrique : le cycle thermique (frigorifique) est identique. En revanche, le compresseur n’est pas entraîné par un moteur électrique mais par un moteur à combustion interne fonctionnant au gaz naturel. L’avantage de ces PAC tient dans la valorisation de l’énergie dégagée par le refroidissement du moteur et des gaz brûlés qui permet une optimisation de son fonctionnement (chaleur réutilisée dans le cycle thermique). Leur rendement est d’en moyenne 30% supérieur à une chaudière individuelle classique.
- les Micro-cogénérations : ce sont des cogénérations de très faible puissance électrique. L’objectif de ces moyens de production d’énergie décentralisés et de satisfaire les besoins de chauffage et d’eau chaude sanitaire d’un seul bâtiment, tout en produisant de l’électricité. Le bâtiment peut alors se passer de tout réseau de chaleur ou autre moyen de production de chaleur. L’électricité produite peut être consommée sur place, ou revendue partiellement ou en totalité sur le réseau de distribution. L’atout majeur de ces dispositifs, outre la production décentralisée de chaleur et d’électricité, est que l’électricité est produite en même temps que la chaleur, souvent en hiver donc et pendant les pics de consommation d’électricité ! Le rendement énergétique global de ce type de dispositif est de l’ordre de 85%.
- Les Chaudières Hybrides: ces chaudières, sur le même principe que les voitures hybrides, possèdent deux énergies distinctes pour produire de la chaleur, indépendamment ou simultanément. Une énergie de type renouvelable (PAC, solaire, biomasse, éolien) et une chaudière à condensation classique (gaz, fioul). Un algorithme commande la chaudière en temps réel, et exploite les avantages de chaque système pour obtenir le mix le plus performant à tout moment de la journée.
Qui est concerné par cette « smartisation » ? Quels sont les bénéfices et les risques ajoutés ?
Le développement des Smart Gas Grids peut se découper en diverses briques fonctionnelles. Elles partent toutes du même postulat : plus de données donnent plus d’informations, qui permettent un meilleur contrôle et plus d’automatisations. Ces briques présentes dans les quatre objectifs décrits ci-dessus, vont devoir être maîtrisées. Elles s’expriment ainsi, par ordre croissant de complexité :
- Supervision : la première étape nécessaire pour exploiter un réseau et développer des automatismes et d’avoir suffisamment de données disponibles (composition du gaz, pression, température, odorisation). Des mesures doivent donc être réalisées, afin d’avoir une image centralisée et en temps réel de l’état du réseau ;
- Maintenance : une fois que des données sont récoltées, il convient de les utiliser pour être en mesure d’être capable de prévoir automatiquement les actes de maintenance à réaliser ;
- Équilibrage : les données centralisées peuvent également servir à gérer et contrôler le réseau en temps réel et à distance, via des actionneurs télécommandés, voire automatiques ;
- Bidirectionnalité et Cross-Grids : il s’agit de la brique accessible à plus long terme. Il s’agit d’une des finalité de la smartisation des réseaux de gaz : pouvoir injecter du gaz / biogaz sur le réseau qui puisse transiter via le réseau de transport, et avoir des réseaux de différents vecteurs énergétiques (gaz, électricité, eau chaude) qui puissent communiquer entre eux et s’auto-réguler.
De nombreux bénéficiaires
Tous les acteurs de la chaîne gazière trouvent un intérêt à développer un réseau plus smart :
- Les Fournisseurs : une meilleure connaissance de leurs clients peut leur permettre de proposer des offres tarifaires innovantes et plus adaptées, les relevés de compteurs peuvent s’effectuer à distance, ce qui entraîne une réduction des coûts de facturation et de gestion ;
- Les Producteurs : de diversifier les sources de production avec le gaz vert permet de réduire la dépendance existante envers l’extraction de gaz « conventionnel », ils peuvent également avoir une connaissance plus fine de la demande et adapter en conséquence la production ;
- Les Gestionnaires de réseaux : l’automatisation des relevés (lire cet article sur Gazpar, le compteur communiquant de GrDF (Gazpar : le compteur communicant de GrDF) entraîne une réduction des coûts de déplacement, une réduction des risques d’endommagement des infrastructures, ils peuvent intégrer des sources renouvelables (méthanisation) et interagir avec les réseaux d’électricité (méthanation) ;
- Les consommateurs : une meilleure maîtrise de leur consommation leur permet de réduire leur facture d’énergie, ils n’ont pas besoin d’être présents pour les relèves de compteurs, les délais de prestation à distance sont réduits, les offres sont plus personnalisées.
Une sécurité accrue
Les Smart Grids sont un moyen de renforcer la sécurité : le déploiement de solution software et hardware de Smart Gaz Grid permet de réduire un certain nombre de risques technologiques. Il est possible de soulever :
- Une traçabilité avancée des équipements : si chaque équipement possède un historique de ses états et de ses utilisations, une maintenance préventive plus efficace peut être mise en place. Il est par exemple possible, à partir de statistiques, d’estimer qu’il est préférable de changer une pièce mécaniques après 1000 mouvements ouverture / fermeture, et d’effectuer ce changement avant que la pièce ne se détériore et risque d’entraîner un dysfonctionnement sur le réseau ;
- Une sécurisation des données : les données produites par les différents équipements vont être centralisées via de nouveaux réseaux télécoms plus fiables, tel que celui présenté par la start-up toulousaine SigFox, dont le pari est d’utiliser des communications radios à bas débit pour créer un réseau de type neuronal, prévenant piratage, usages frauduleux de données, pertes ou attaques informatiques ;
- Une amélioration de la cartographie du réseau via le géo-référencement des ouvrages : cela est aujourd’hui imposé par la loi, de connaitre l’emplacement exact de tels réseaux. Prévoir des évolutions de structure du réseau est alors plus aisé et la préparation d’interventions facilitée ;
- Une diminution des dommages aux ouvrages : le risque principal de défaillance des réseaux de gaz est lié aux dommages causés aux installations, lors de travaux par exemple (cela est d’autant plus vrai pour le réseau de distribution d’électricité). Une cartographie précise et des moyens de traçage sur site (puces RFID sur les tuyaux par exemple) permettraient une pérennité des équipements, et donc des coûts mieux maîtrisés ;
- Une optimisation et une sécurisation de la maintenance des ouvrages : des interventions prédictives et mieux renseignées rendent les déplacements plus efficaces et assurent une meilleure sécurité des agents.
Simultanément à une sécurité accrue en de nombreux points, des risques résiduels apparaissent : les technologies utilisées offrent de nouvelles passerelles pour les Cyber pirates (même si les canaux de communication sont plus fiables, la question de la sécurité autour des data centers est posée), et leur fiabilité industrielle sur le long terme n’a pas forcément encore été prouvée. De plus, le potentiel d’erreurs humaines va être plus élevé à moyen terme dû aux nouvelles compétences à appréhender, à de la résistance au changement chez certains, ou encore à la qualité des formations qui doit être suffisamment élevée.
Des acteurs dynamiques
Les acteurs intervenant sur les problématiques de réseaux intelligents sont très souvent des start-ups innovantes, ou de grands groupes ouvrant de nouvelles entités plus dynamiques et plus agiles. Les domaines d’intervention étant très larges, de nombreuses nouvelles compétences sont attendues. Ces innovations devront se manifester à travers les matériels (nouveaux types de capteurs et d’actionneurs, puces RFID), les systèmes de communication (SigFox, GridBee), de supervision et d’exploitation (Energiency, Isogeo), voire dans les constructions (cas de méthaniseurs par exemple avec Armorgreen ou Naskeo).
Les réseaux de gaz du futur seront indéniablement plus smart qu’aujourd’hui. Ils profiteront de l’essor de nouveaux moyens de communication et de nouveau réseaux (Internet of Things). Le cadre établi par la communauté européenne devrait mener les différents membres de l’union à travailler dans la même direction pour aboutir à des réseaux communiquant à l’échelle internationale. C’est finalement la capacité des différents acteurs à déployer rapidement des solutions matériels et de traitement des données qui conditionnera la rapidité avec laquelle les consommateurs pourront profiter des avantages de réseaux plus smart.