À l’ordre du jour dans tous les secteurs (industrie, bâtiment, transport), l’efficacité énergétique doit répondre à un double enjeu de sécurité énergétique et de lutte contre le réchauffement climatique. A ces grands enjeux politiques et sociétaux, on peut ajouter un ensemble d’enjeux industriels. Il s’agit de pouvoir développer des technologies et des systèmes énergétiques qui soient suffisamment matures et performants pour devenir des leviers de croissance.
L’efficacité énergétique se définit comme une consommation en énergie moindre pour le même service rendu. Elle se décline en plusieurs aspects :
- La capacité à utiliser toute l’énergie produite en gérant les pertes dans les réseaux et dans les appareils ;
- Le pilotage de la consommation par des systèmes intelligents qui s’appuient sur des appareils de mesure et des outils de régulation ;
- La rationalisation des usages par l’éducation des consommateurs et la création de réflexes anti gaspillage.
Elle n’est donc pas synonyme de sobriété énergétique, cette dernière étant sujette à débat dans la mesure où elle implique de limiter l’accès à un certain niveau de confort et de développement.
Dans les faits, la tendance en France est à la maîtrise de la consommation énergétique. Depuis le milieu des années 2000, la consommation énergétique finale stagne voir diminue (158,6 millions de tep en 2004 contre 150 en 2014[1]). Quels risques cette efficacité énergétique fait elle peser sur le modèle économique des énergéticiens ? Quels aspects seront sources de disruption et quelles sont les opportunités à saisir ?
L’ambivalence de l’efficacité énergétique sur les réseaux
Pour les gestionnaires de réseau d’électricité et de gaz (RTE, GRTgaz, ERDF, GRDF), la maîtrise de la demande peut être bénéfique par deux aspects. D’une part, si la demande d’électricité et de gaz se stabilise, certains investissements à réaliser pour développer les réseaux de transport et de distribution seront moindre. D’autre part, la gestion de la demande d’énergie instantanée est très complexe, particulièrement durant les pointes hivernales (la France est le pays le plus thermosensible d’Europe) et les jours fériés, et les écarts de prévision sont problématiques et coûteux. Le pilotage de la consommation a donc un rôle très important à jouer pour aboutir à des modèles de prévision . Par exemple, lorsque le réseau électrique est fortement sollicité, RTE et les acteurs du marché peuvent avoir recours aux effacements de consommation pour équilibrer la production et la consommation d’électricité. Des particuliers volontaires à l’effacement diffus acceptent alors de modifier leurs usages pour consommer moins d’électricité à certaines heures.
En revanche, d’autres évolutions sont sources de difficultés économiques. Parmi celles-ci, l’autoconsommation photovoltaïque, promue par certains acteurs comme un vecteur d’efficacité énergétique, risque de causer des pertes de revenus pour ERDF. Effet, selon la régulation actuelle, ERDF est rémunéré en majeure partie en fonction de l’énergie en kWh que ses clients soutirent au réseau. L’autoconsommation résidentielle conduit à une baisse de l’énergie soutirée et donc cause une perte de recette pour le gestionnaire. Cette baisse des revenus ne sera pas accompagnée d’une diminution des coûts associés car ERDF devra de surcroît investir dans le réseau de distribution pour tenir compte de l’injection d’électricité depuis les installations particulières. Les investissements conséquents qui doivent être réalisés sur tout le territoire pour insérer massivement les ENR sur les réseaux électriques sont un réel enjeu. Les problèmes posés sont à la fois d’ordre technique (intermittence de la production et fonctionnement bidirectionnel des réseaux) et d’ordre économique (nouvelle structure tarifaire pour financer ces investissements).
Des contraintes qui poussent les producteurs et les fournisseurs vers d’autres modèles économiques
Dans la mesure où l’efficacité énergétique aura pour conséquence la baisse de certains revenus, la réponse des producteurs d’électricité pourrait être d’investir moins et de mettre sous cocon des installations, pour résorber les surcapacités. La situation des producteurs dépend alors du type d’installations qu’ils possèdent. La théorie économique veut que les moyens de production d’électricité qui ont le coût marginal de production du kWh le plus bas fonctionnent en priorité. Les centrales nucléaires, les énergies renouvelables et l’hydraulique, qui ont un coût marginal de production bas voire quasi nul, sont les moyens de production « de base » qui sont utilisés en priorité (« merit order »). A contrario, les centrales thermiques qui utilisent du combustible fossile (gaz, charbon voire fioul) ont un coût marginal élevé et sont des moyens de production de pointe. Ce sont ces unités de production qui sont stoppées lorsque la demande d’électricité baisse. Ainsi EDF est aujourd’hui en passe de fermer la moitié de ses centrales thermiques[2].
Sur quels relais de croissance peuvent alors s’appuyer les énergéticiens ? L’énergie étant une ressource, il est inenvisageable pour les fournisseurs d’inciter à sa consommation, d’autant plus que le cadre légal interdit la promotion des usages de l’énergie. La directive 2012/27/UE sur l’efficacité énergétique et la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique crée une obligation légale pour les énergéticiens d’accompagner l’efficacité énergétique par le biais des Certificats d’Économie d’Énergie (CEE). Ce dispositif consiste à inciter les fournisseurs d’énergie à promouvoir l’efficacité énergétique auprès de leurs clients en leur imposant une obligation de réalisation d’économies d’énergie. Les actions d’incitation peuvent être mises en œuvre, dans tous les secteurs d’activité (résidentiel, tertiaire, industriel, agricole, transport, etc.) et auprès des différents types de clients (ménages, entreprises, collectivités publiques, etc.).
Les industriels sont donc forcés d’inciter leurs clients à moins consommer ; a priori cette logique d’action est contraire à leurs intérêts. Toutefois, ces obligations peuvent constituer des opportunités de diversification des activités. EDF a ainsi racheté en 2014 Dalkia France, entreprise de services énergétiques spécialisés, qui se définit comme un « producteur d’efficacité énergétique ». En parallèle, ENGIE a développé la marque Cofely qui rassemble ses filiales de services énergétiques B to B. Le contexte incite également les énergéticiens à investir dans des startups innovantes qui développent des technologies au service de l’efficacité énergétique. Electronova Capital, le fond d’investissement sponsorisé par EDF, a ainsi investi dans FirstFuel, qui développe des logiciels permettant l’analyse des consommations énergétiques.
Les énergéticiens ayant une activité de fourniture d’énergie proposent d’ores et déjà des outils de contrôle de la consommation à leurs clients. Ainsi Engie et Direct Energie se sont associés avec le fabriquant de thermostats connectés Nest. Ils offrent à leurs clients particuliers d’acquérir un thermostat à prix réduit pour diminuer leur facture d’énergie. Il est vraisemblable toutefois que l’objectif à court terme des fournisseurs d’énergie soit de conforter leur statut d’acteur innovant sur le marché d’énergie et de se différentier en proposant des offres attractives plutôt que de monétiser l’utilisation des thermostats intelligents. Engie et EDF proposent également le thermostat Netatmo, principal concurrent de Nest sur le marché français.
Qu’ils soient producteurs, gestionnaires de réseau ou fournisseurs, l’efficacité énergétique pousse les acteurs du secteur de l’énergie à diversifier leur portefeuille. Les investissements dans la recherche de solutions disruptives ont le vent en poupe : le stockage de l’électricité qui pourrait palier au problème de décorrélation de la production d’électricité d’origine renouvelable et de la demande, les smartgrids pour rationaliser le raccordement des ENR et le big data qui pourrait permettre de passer à la vitesse supérieure dans l’exploitation des données des compteurs intelligents et des energy box.
[1] Source : Service de l’Observation et des Statistiques, bilan de l’énergie 2014, Consommation corrigée des variations climatiques
[2] Les Echos.fr http://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/021708016316-edf-en-passe-de-fermer-la-moitie-de-son-parc-thermique-1201295.php
Bonjour,
Merci pour cet article. Le système schizophrène visant à demander à un dealer de préconiser à ses clients des cures de désintoxication a des limites évidentes à long termes.
L’équation est délicate, les intérêts des énergéticiens sont contradictoires mécaniquement avec les intérêts de la collectivité (vendre plus d’énergie est contradictoire avec réduire notre impact environnemental). Le seul moyen d’aligner de manière pérenne ces deux intérêts, c’est de transformer le modèle économique de ces grandes entreprises, en faisant en sorte que l’énergie ne soit pas un revenu, mais un coût. Je m’explique. Si EDF ne vend pas d’électricité, mais de la lumière, sont intérêt sera de réduire la consommation énergétique de chaque ampoule, tout en facturant un service rendu qui est la lumière. Une plus grande efficacité énergétique sera alors synonyme d’une plus grande marge pour EDF.
L’économie d’usage est une opportunité pour ces grands énergéticiens, je ne sais pas s’ils l’ont perçue. Je crois que non, et que donc leur destin est plutôt funeste.
That’s a nicely made answer to a chngieallng question