La Blockchain existe depuis moins de 10 ans et est connue du grand public grâce au Bitcoin, la crypto-monnaie de référence. Alors que certaines de ses applications sont déjà connues et reconnues, notamment dans le secteur financier, ses très nombreuses possibilités continuent de susciter de forts intérêts dans différents domaines. L’énergie est un des secteurs qui serait le plus impacté par l’évolution de la blockchain, et les initiatives à ce sujet se font de plus en plus nombreuses. Si ces initiatives aboutissent, qu’est-ce qui changera dans le monde de l’énergie ?
Les propriétés et le fonctionnement de la blockchain
La technologie Blockchain, littéralement la « chaîne de blocs » est une base de données qui permet d’historiser des transactions qui y sont enregistrées de manière immuable. Cette chaîne publique est accessible à tous, et l’intégrité des données y est garantie par le principe de consensus réparti, ce principe constitue l’innovation majeure apportée par la Blockchain parce qu’il établit un ensemble de règles d’échange de données qui rendent impossible toute tentative d’alteration. L’ensemble des participants du réseau détient l’intégralité des données. La blockchain est mise à jour par les participants, ce qui permet de disposer d’une information fiable à tout moment.
Lorsqu’une nouvelle transaction est émise sur une blockchain publique, elle est mise à disposition de l’ensemble du réseau. Elle est soumise à une phase de validation dénommée le « minage », réalisée par un « mineur ». Il s’agit dans un premier temps de vérifier l’authenticité de la transaction à travers la résolution d’une équation, ensuite la transaction est inscrite dans un bloc scellé lié au reste de la chaîne et distribué à l’ensemble du réseau. Le premier mineur qui réussit à effectuer ces étapes est rémunéré.
La résolution de l’équation demande une très grande puissance de calcul et des techniques cryptographiques avancées permettant ainsi de sécuriser la blockchain et d’en éviter la modification (modifier n’importe quel élément d’un bloc briserait son lien avec les autres blocs). Ce modèle, fondé sur la théorie des jeux, incite les participants à se comporter de manière vertueuse.
Les grandes initiatives blockchain dans l’énergie
On peut identifier 4 grandes familles pour la blockchain :
- Record Keeping : il s’agit de certifier, authentifier des documents. La blockchain a pour vocation de garder et prouver cette authentification.
- Digital Currency : la notion de transaction intervient à ce niveau-là. Les transactions se font avec des crypto-monnaies, Bitcoin et Ether pour les plus connues.
- Smart Contracts : il s’agit d’un contrat auto-exécutable dès lors qu’un certain nombre de règles sont paramétrées.
- Economy of things : les objets communiquent directement entre eux, sans besoin d’une personne pour intervenir.
Dans le secteur énergétique, de nombreuses initiatives sont nées ces derniers mois, principalement sur les niveaux de crypto-monnaie et smart-contract.
En plus des crypto-monnaies « classiques » telles que le Bitcoin et l’Ether, le SolarCoin est apparu il n’y a pas si longtemps. C’est une monnaie numérique basée sur un élément tangible : l’électricité de source solaire. Chaque propriétaire de panneaux solaires produisant plus d’électricité que ce qu’il n’en consomme, peut vendre son surplus directement via la blockchain, sans la revendre au distributeur national. Le producteur est rétribué en SolarCoins avec pour conversion, à date, 1 solarcoin équivalant à 1 MWh. Il est rétribué tous les 6 mois via la SolarCoin Foundation en fonction de l’électricité produite. Les producteurs peuvent échanger les SolarCoin en dollars ou en euros sur des plateformes de trading. Dès lors que des habitants sont inscrits dans ce réseau, il est possible d’échanger de l’électricité d’origine solaire.
La ville de Brooklyn a bien compris tous les enjeux de ce nouveau modèle et a mis en place la Brooklyn Grid, initiative soutenue par l’Etat de New York. La joint-venture Transactive Grid permet aux habitants de partager de l’énergie renouvelable entre eux via l’achat ou la vente de l’énergie produite par les installations solaires disposées sur les toits des immeubles. Ce partenariat rassemble Lo3 Energy, producteur de réseaux d’énergie solaire et ConsenSys, spécialisée dans le Bitcoin (crypto-monnaie de référence). La Brooklyn Grid utilise l’Ether comme monnaie. Ce projet est actuellement en test, seules 10 maisons sont équipées à date, mais un grand nombre d’habitants ont déjà fait savoir leur intérêt pour ce dispositif. Par exemple, un habitant qui part en weekend peut vendre directement à son voisin l’électricité qu’il aura produite, mais pas consommée.
Les allemands se sont aussi lancés dans l’aventure de la blockchain énergétique. Le conglomérat RWE s’est associé à la start-up Slock.it pour créer le projet Blockcharge. Ce partenariat développe un moyen de gérer et facturer la recharge des voitures électriques, par blockchain, n’importe où. Chaque personne qui souhaite bénéficier de ce service, souscrit à un contrat et rejoint ainsi la communauté. Chaque utilisateur est équipé d’un « smart plug », à brancher sur n’importe quelle prise électrique et permettant d’activer son contrat. Grâce au smart plug et une application smartphone l’utilisateur peut recharger sa voiture partout en ne payant que l’électricité consommée. Grâce à l’utilisation de la blockchain via Ethereum, les conditions et termes du contrat, et donc les transactions, sont exécutés automatiquement. Les contrats ne peuvent ainsi pas être falsifiés, ce qui sécurise l’ensemble des transactions.
Et en France ?
Dans l’hexagone, un seul projet est connu pour l’instant, il s’agit du projet DAISEE qui souhaite rapprocher les producteurs des consommateurs pour créer une dynamique de décentralisation des moyens de production et mieux exploiter les potentiels locaux. Il s’agit de faire en sorte que les consommateurs soient également producteurs, on parle de « prosumer » au sein d’une communauté, pouvant répondre à l’offre et la demande avec une organisation locale et autonome en énergie. Il s’agit finalement du même principe que la microgrid de Brooklyn. Les français n’en sont cependant pas au même point d’avancement.
Les objectifs de la blockchain sont nombreux et dépendent de la finalité d’utilisation de cette dernière. L’objectif principal reste de se passer de l’intermédiaire. Ceci est particulièrement vrai pour le secteur financier, où on peut finalement se passer de la banque pour valider une transaction financière. La bonne nouvelle pour les énergéticiens, c’est que contrairement à une transaction qui peut être émise d’un bout à l’autre du globe, l’échange d’énergie reste dépendant d’un réseau. Avec les exemples développés plus haut (s’ils se concrétisent), la différence sera que le distributeur, en plus du flux classique producteur vers consommateur, devra être en mesure de gérer les flux entre les prosumers et être capable de faire face aux contraintes opérationnelles engendrées par ces nouveaux flux.
Par ailleurs, la blockchain peut se décliner selon les grandes familles abordées plus haut : record keeping, digital transactions, smart contract et IoT ; elle représente ainsi d’autant plus de cas d’usage à imaginer et d’opportunités auxquelles réfléchir. Il semble évident que les producteurs et distributeurs français et européens devraient rapidement intégrer la blockchain dans leur réflexion et explorer le potentiel de cette nouvelle technologie, s’ils ne veulent pas être dépassés. Certains acteurs de l’énergie y réfléchissent déjà !