Dans ce match en 3 rounds, EnergyStream vous propose de découvrir les énergies clés de la transition énergétique du secteur des transports. Y aura-t-il un vainqueur ? Plusieurs ? Suivez les 3 épisodes sur la mobilité gaz, électrique et hydrogène pour le découvrir et ne manquez pas notre dossier de synthèse !
COOP, la deuxième société coopérative de la grande distribution de Suisse, a inauguré vendredi 4 novembre la première station-service à hydrogène publique de Suisse. C’est un fait marquant pour la filière de l’hydrogène, qui peut compter sur le soutien de certains industriels pour dynamiser localement l’hydrogène-mobilité.
En France, c’est la start-up STEP, appuyée par le groupe industriel Air Liquide spécialiste des gaz industriels, qui avait fait parler d’elle en installant la première station-service à hydrogène parisienne dédiée à sa flotte de taxis électriques à hydrogènes.
Au delà de ces annonces ponctuelles, la mobilité-hydrogène semble connaître un engouement important du côté du marché des véhicules grand public et industriels. La filière connaît notamment un développement important sur les marchés asiatiques dont les constructeurs croient en cette énergie de mobilité. Si ce développement est moins visible sur les marchés outre-atlantique et européens, les constructeurs locaux ayant davantage investi dans les mobilités hybrides pétrole/électrique/GNV, plusieurs initiatives notables laissent espérer un développement de cette filière dans un futur proche.
Potentiellement plus eco-friendly que le gaz naturel, l’hydrogène pourrait-il être le carburant alternatif du futur ?
Retour sur un carburant encore méconnu du grand public qui semble pourtant avoir des arguments solides pour se faire une place de choix sur le marché de la mobilité durable.
La production de l’hydrogène : de nombreux défis
S’il est très répandu à l’état naturel sous une forme combinée (dans l’eau H2O ou les hydrocarbures CH4), l’hydrogène est très rare à l’état pur. Il doit donc être produit. Chaque année, ce sont ainsi près de 60 millions de tonnes qui sont produites, soit seulement 2% du bilan énergétique mondial.
La production de l’hydrogène nécessite une source d’hydrogène et une source d’énergie pour dissocier les éléments. Pour chaque source d’énergie utilisée correspondra donc une empreinte carbone différente. L’hydrogène est produit grâce à 2 procédés majeurs :
- Le reformage du gaz naturel par de la vapeur d’eau. C’est le procédé le plus répandu et le plus économique pour l’instant. Toutefois, cette solution de production rejette une quantité élevée d’émissions de CO2.
- L’électrolyse de l’eau, qui consiste à séparer l’hydrogène de l’oxygène grâce à un courant électrique. En plus de bénéficier d’un rendement énergétique s’élevant jusqu’à 70%, cette solution ne rejette pas directement d’émission de GES ou de polluant. Malgré un recours nécessaire à l’électricité, cette solution reste prometteuse en ouvrant la voie à la production d’un hydrogène « vert » appuyé par le développement de l’électricité issue du solaire ou de l’éolien.
- Un troisième procédé, moins répandu, existe: Il s’agit de la gazéfication et la pyrolyse de la biomasse (obtention d’hydrogène et de monoxyde de carbone en faisant réagir chimiquement le bois face à une température élevée de 1200°C à 1500°C).
Le principal enjeu de la production d’hydrogène est l’utilisation d’énergies renouvelables dans le procédé, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui : actuellement, 95% de l’hydrogène mondial est produit à partir de ressources fossiles (gaz naturel, pétrole, charbon). Toutefois, cette tendance pourra être renversée demain avec un hydrogène « décarboné », produit grâce à un plus grand recours à un processus d’électrolyse de l’eau basé sur de l’électricité d’origine renouvelable, du biogaz et de la biomasse. Cela nécessitera une meilleure compétitivité de ce type de production par rapport aux autres, car l’électrolyse est un procédé qui est près de deux fois plus coûteux que le vaporeformage aujourd’hui.
Surmontant ces freins, de nombreuses initiatives sont d’ores et déjà menées pour faire en sorte de produire de l’hydrogène « propre » à partir de méthane, de biomasse, ou via la fermentation des déchets (les gaz sont récupérables et filtrables pour concentrer le méthane qui servira à produire l’hydrogène). Avec sa démarche “Blue Hydrogen”, le groupe Air Liquide s’est par exemple engagé à produire d’ici 2020 au moins 50% de son énergie hydrogène sans rejet de CO2. L’hydrogène pourrait alors représenter une solution à l’intermittence des énergies renouvelables en permettant de stocker sous cette forme l’électricité excédentaire produite dans les périodes de surproduction et/ou de faible consommation.
En plus de cet enjeu de taille, les avantages de l’hydrogène par rapport aux énergies fossiles, ou par rapport au gaz naturel sont nombreux. Tout d’abord, l’hydrogène a un potentiel énergétique élevé : sa combustion produit 2,5 fois plus d’énergie que le gaz naturel et 3 fois plus que le gazole à un poids constant. De plus, cette combustion n’est pas carbonée, c’est-à-dire qu’elle ne rejette pas de CO2 lorsque l’hydrogène est issu de sources renouvelables, uniquement de la chaleur et de l’eau. A ce jour, l’’hydrogène permet également de bénéficier d’une autonomie équivalente voire supérieure à celle des véhicules électriques. En effet, avec 1 kg d’hydrogène, un véhicule peut parcourir 100 km, et certains modèles de véhicules présentent des autonomies de près de 850 km. En comparaison, les véhicules électriques ont une autonomie de 500 km en moyenne. Les véhicules à hydrogène pourraient ainsi dans le futur être comme plus adaptés aux longs trajets et aux déplacements entre les villes. A cela, il faut ajouter le fait qu’un réservoir hydrogène peut être rempli en quelques minutes seulement (5 minutes environ), ce qui permet au véhicule d’être disponible quasi immédiatement. Enfin, les véhicules utilisant l’énergie hydrogène sont silencieux et n’émettent ainsi aucune nuisance sonore.
Malgré ces atouts, l’énergie hydrogène doit faire face à plusieurs défis de taille : le difficile stockage et transport de cette énergie, un réseau d’infrastructures peu mature et une filière dont la mobilisation est encore éclipsée par celles des autres énergies.
Le stockage et le transport de l’hydrogène : des limites insurmontables à son développement ?
Un des défis majeurs auquel fait face l’hydrogène est avant tout ses modalités de stockage et de transport. En effet, c’est un gaz particulièrement volatile qui nécessite la fabrication de réservoirs vastes, lourds, étanches et capables de résister à la pression élevée imposée par sa compression. En raison de sa faible densité, l’efficacité du transport de l’hydrogène, c’est-à-dire la quantité d’énergie déployée pour transporter une unité de volume, est aujourd’hui moins élevée que pour le gaz ou le pétrole.A titre d’exemple, il faut 11m3, soit l’équivalent du coffre d’un grand utilitaire, pour stocker 1kg d’hydrogène, qui correspond, nous l’avons vu, à la quantité nécessaire pour parcourir 100 km.
Il existe cependant des techniques qui offrent des solutions de stockage plus adaptées à une utilisation intensive et à grande échelle, dont deux sont à ce jours utilisées par certaines industries.
- Le stockage à haute pression sous forme gazeuse : c’est la technique utilisée par les constructeurs qui visent à augmenter la pression jusqu’à 700 bar, permettant ainsi de stocker dans le réservoir d’un véhicule grand public de série l’équivalent pour parcourir environ 500 kilomètres.
- Le stockage à basse température sous forme liquide : L’hydrogène se liquéfie exposé à une température de -250°C et peut alors être stocké à une pression de seulement 1 bar pour stocker 5kg d’hydrogène dans un réservoir de 75 litres. C’est la technique employée par certaines industries de très hautes technologies, notamment pour la propulsion spatiale.
Il existe donc des procédés de stockage offrant des perspectives d’autonomie presque équivalentes aux modèles essence/diesel actuels, même si la première technique présente des risques non négligeables dans le cadre d’une utilisation routière. On peut imaginer les conséquences de la collision de deux véhicules chargés d’un combustible comprimé à 700 bars, l’équivalent de la pression de 1,4 tonnes sur une pièce de 5 centimes.
Quelle utilisation dans les infrastructures énergétiques actuelles ?
En plus du stockage, le transport est également un enjeu important de la filière d’abord pour les raisons déjà évoquées et liées à la grande volatilité de ce gaz, mais également pour le déficit d’infrastructures que ce soit en zones urbaines ou péri-urbaines.
Une des réponses à cet enjeu pourrait provenir des infrastructures de gaz de villes disposant d’un maillage très important à l’échelle mondiale. En effet aux Pays-Bas, une expérimentation menée entre 2007 et 2011 par GasTerra , entreprise industriel Néerlandaise spécialisée dans le gaz naturel, a montré qu’il était possible d’incorporer jusqu’à 20 % d’hydrogène dans un réseau de gaz naturel sans que cela ne pose de problème technique particulier ou n’entraîne une dégradation de l’efficacité énergétique.
Il serait donc envisageable, selon GasTerra, à l’origine de ce projet, de produire massivement de l’hydrogène à partir d’énergies renouvelables (dans le cas présent, l’énergie éolienne), puis d’intégrer cet hydrogène au réseau de gaz naturel. Ce procédé permettrait notamment d’absorber les pics de production éolienne en permettant de stocker l’excédent et n’obligerait plus à l’arrêt des éoliennes en cas de surproduction.
La mobilité-hydrogène à la traîne ?
Encore à la traîne par rapports aux progrès réalisés à l’étranger, la filière hydrogène française peut encore rattraper son retard. Mobilité Hydrogène France, un consortium d’acteurs privés et publics, affiche ainsi des objectifs ambitieux pour 2030 : 600 stations de recharges créées et plus de 800000 véhicules roulant à l’hydrogène. Autre projection, le plan Nouvelle France Industrielle, lancé en 2013, évalue à une centaine le nombre de création de stations d’ici 2018. Aujourd’hui, nous sommes encore loin de ces chiffres car une quinzaine de stations seulement sont fonctionnelles en France, chiffre qui pourrait s’élever à une quarantaine d’ici la fin de l’année selon l’AFHYPAC, l’association des professionnels de l’hydrogène en France. A titre de comparaison, l’Allemagne, pays européen le plus en avance aujourd’hui sur cette problématique, table sur 450 stations créées à horizon 2025, tandis que le Japon affiche un objectif de 1000 stations pour la même date.
Pour remplir ces objectifs, la filière hydrogène s’appuie à la fois sur un intérêt grandissant des constructeurs et sur plusieurs initiatives locales. Attirés par les promesses de ce carburant alternatif, certains constructeurs étrangers ont en effet décidé de se pencher plus sérieusement sur la question en lançant la production de véhicules particuliers à hydrogène. Leur principe de fonctionnement est simple : une pile à combustion fait réagir l’hydrogène présent dans le réservoir de la voiture avec l’oxygène de l’air. L’électricité produite fait avancer le véhicule, tandis que de la vapeur d’eau est rejetée par le pot d’échappement. Le constructeur Japonais Toyota a ainsi massivement investi dans le développement d’une gamme dédiée à l’hydrogène, dont le porte-étendard est la Mirai, une voiture 100% hydrogène.
En comparaison, les constructeurs français semblent à la traîne : les initiatives concernant les véhicules 100% hydrogène sont rares, voire inexistantes. La tendance est plutôt à une adaptation des véhicules électriques à l’hydrogène. Ainsi, la Kangoo électrique de Renault dispose de réservoirs à hydrogène et d’une pile à combustible dans le but d’augmenter son autonomie et de diminuer son temps de recharge.
Parallèlement à cet intérêt -encore frileux- des constructeurs, plusieurs initiatives locales ont vu le jour. A Paris par exemple, les taxis à hydrogène Hype voient leurs effectifs grandir : son objectif est de passer de 5 taxis en 2015 à près de 600 dans 5 ans. Les véhicules de la ville de Paris ne sont pas en reste : 7 véhicules utilisant l’hydrogène (Renault Kangoo et Toyota Mirai) ont fait leur apparition dans la flotte de la ville, et se rechargent dans la nouvelle station d’Ivry-sur-Seine. La Poste, déjà bien dotée en véhicules électriques, expérimente en région des Kangoo H2 dotés de prolongateurs d’énergie (Franche-Comté et Rhône-Alpes), des vélos dont l’assistance électrique est alimentée par des piles à combustible hydrogène (Aquitaine), et un camion de 4,5 tonnes (Jura).
A la différence de ses voisins, comme l’Allemagne par exemple, la filière hydrogène française ne bénéficie pas d’un développement national de réseaux d’infrastructures. Des initiatives locales favorisent un maillage en clusters, appuyé majoritairement par des flottes de véhicules utilitaires et des stations de recharges publiques. Le programme Hyway lancé à Grenoble pour le fret urbain est un bon exemple de ces nouveaux écosystèmes locaux visant à encourager de nouvelles pratiques.
La filière semble au contraire bien lancée à l’échelon européen. En effet l’Union Européenne a inauguré en 2008 un partenariat public/privé “Pile à combustible et hydrogène” visant à développer un portefeuille de technologies piles à combustible et hydrogène propres et efficaces en Europe. Doté d’un budget de 1,4 milliards d’euros, le projet a déjà rassemblé plus de 430 participants autour de 130 projets. Un des projets notoires est PHAEDRUS (High Pressure Hydrogen All Electrochemical Decentralized Refuelling Station) qui a développé et étudié la faisabilité d’une station de réapprovisionnent en hydrogène extensible. A la différence d’une station-service classique, celle-ci produit le carburant sur le lieu d’approvisionnement. Les chercheurs tablent sur une capacité de production de 200 kg par jour, soit une capacité d’approvisionnement théorique de 40 véhicules par jour.
Les conditions du développement de l’hydrogène en Europe sont-elles réunies ?
L’hydrogène bénéficie d’un soutien important de la part des Institutions européennes qui pourraient accélérer son développement en permettant la mise en place des infrastructures nécessaires et aujourd’hui manquantes à la filière. En effet, les stations de recharge publiques sont davantage à l’état de pilote qu’à l’état de déploiement industriel et les difficultés de transport et de stockage sont autant de freins à son développement. Aussi, les projets de recherche sont encore davantage focalisés sur ces enjeux que sur les véhicules eux-mêmes. Il semble en effet que les véhicules ne soient pas un frein mais plutôt un levier au développement de la mobilité hydrogène, certains constructeurs ayant déjà des modèles hybrides-électrique ou 100% hydrogène commercialisés sur les marchés B2B et B2C.
En France, un contexte réglementaire favorise le développement de la filière hydrogène. Ainsi, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV) du 18 août 2015 se montre ainsi ouvertement favorable pour la filière hydrogène, convaincue par son impact positif sur les problématiques de stockage des énergies renouvelables intermittentes et de transports.
Pour conclure, à ce jour la filière ne dispose pas de toutes les conditions pour un déploiement imminent, mais propose néanmoins des garanties à un déploiement futur. L’offre de véhicule devra s’accompagner d’un maillage d’infrastructures de recharge suffisant pour les trajets urbains et péri-urbains. Aussi le développement de la filière pourra être dynamisé par un contexte politique favorable ainsi qu’une offre complète de véhicules. Enfin cette source d’énergie pourra faire valoir sa capacité à atteindre la neutralité carbone en mettant à profit la production par electrolyse de l’eau en utilisant de l’électricité verte, et pourquoi pas un jour devenir l’énergie dominante de l’offre de mobilité durable.
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