Energystream se propose d’analyser trois smart grid emblématiques de la transition énergétique en cours vers des systèmes énergétiques décentralisés. Au-delà du buzz dans les médias, c’est l’occasion de rentrer en profondeur dans chaque smart grid, enfin d’en comprendre les tenants et les aboutissants. Cette semaine, Energystream vous présente le smart building du Morbihan.
Kergrid : de quoi s’agit-il ?
Le projet Kergrid est une expérimentation grandeur nature de « smart building’’. Il s’inscrit dans la lignée du pacte électrique breton avec, notamment, la maîtrise de la demande en électricité, le déploiement massif des énergies renouvelables et la sécurisation de l’approvisionnement).
Véritable microgrid, il permet de prouver l’intérêt de stocker de l’énergie pour la revendre.
Qui impulse le projet et pourquoi ?
Dans un contexte où la Bretagne ne produit seulement 10% de l’énergie qu’elle consomme, le Syndicat Départemental d’Énergies du Morbihan (SDEM) a choisi d’expérimenter l’installation de son nouveau siège, bâtiment conçu comme un microgrid, afin de pallier la saturation électrique.
Le projet Kergrid a ensuite été rejoint par le syndicat Eau du Morbihan, l’Association des Maires et des Présidents d’établissement public de coopération intercommunale du Morbihan.
L’objectif principal de ce projet est d’éviter le renforcement sur le réseau électrique et se ventile en 3 points : .
– mutualiser, pour les 3 structures (le SDEM, l’Association des Maries et le Syndicat EAU) un bâtiment et, donc, les différentes charges,
– produire localement de l’électricité afin de s’autoconsommer,
– maximiser la gestion des flux énergétiques.
Quelle est la trajectoire du projet ?
Le Syndicat Départemental d’Énergies du Morbihan (SDEM) est à l’initiative du projet Kergrid dès 2009. Il en charge de la mutualisation de l’électricité pour les communes et agit au sein de missions variées réparties en 4 grandes activités :
- Électricité: Organisation et contrôle de la distribution, travaux collaboratifs sur la sécurisation des réseaux, sur les opérations d’effacement et sur les aménagements communaux.
- Energie: Déploiement de smart grids et lancement de projet de mise en service d’infrastructures de recharges pour véhicules électriques.
- Éclairage Public: Travaux de rénovations des installations, gestion de la maintenance, etc.
- Communications électroniques: Travaux de construction d’infrastructures intelligentes.
À son lancement en 2009, le SDEM et Schneider Electric deviennent partenaires pour accompagner et financer le projet Kergrid. Ils participent à la mise en place de groupes de travail avec des acteurs clés tels que EDF, l’Université Bretagne Sud, Enedis et Saft. Ces ateliers d’idéation ont pour objectif d’approfondir leurs connaissances sur le stockage et la gestion de l’énergie, construire une vision stratégique et mettre en place des solutions techniques adaptées au microgrid.
Le projet est divisé en deux phases distinctes : la phase de construction du bâtiment intelligent Kergrid (achevée) puis une phase de recherches et déploiement majeur (en cours).
En 2016, on passe en mode intégrateur avec le pilotage complet du système par Schneider Electric. En plus de fournir la solution technique, l’entreprise a également testé, avec EDF, différents schémas de tarification dynamique pour Kergrid. Le SDEM a aussi fait appel aux chercheurs de l’Université Bretagne Sud afin de discuter des problématiques de stockage et gestion d’énergie. Saft, fabricant français a apporté son expertise dans la conception de batterie permettant d’apporter une flexibilité énergétique au bâtiment (gestion de tous les flux d’électricité et exportation vers le réseau local de façon intelligente). Enfin, Enedis a œuvré à la mise en place du microgrid.
La seconde phase a démarré en septembre 2016 avec un appel à projet de recherches par l’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME). Un autre acteur vient se rattacher à cette phase : Keynergie, société française de conseil en innovation spécialisée dans le secteur de l’énergie qui coordonne cette phase et apporte ses compétences dans le stockage de l’énergie et le déploiement d’infrastructures.
Comment ça marche ?
Les cas d’usages comme point de départ à la mise en place des solutions
Comme le précise Edouard Cereuil, Responsable des énergies au sein du Syndicat d’énergie du Morbihan (SDEM), les solutions expérimentées dans le cadre du projet Kergrid ont pu être déployées grâce à l’étude de différents cas d’usages comme l’autoconsommation, l’effacement et le lissage de la courbe de charge (coupure volontaire et maîtrisée de l’alimentation électrique). De même, l’intérêt du mode îloté (capacité de fonctionner en circuit fermé mais également de pouvoir redistribuer, de manière transparente et lors d’un différentiel demande-offre, une production autonome dans le réseau de distribution électrique nationale dans le but d’assurer la continuité du réseau) a été étudié.
La plupart des cas d’usages analysés ont été retenus et validés et ont alors permis de prioriser l’ordre de mise en place de ces derniers.
Des solutions intelligentes, fruits d’une co-conception avec un partenaire clé
Schneider Electric, partenaire de SDEM depuis 2009, a participé au déploiement des solutions-produit du bâtiment et se positionne comme un acteur moteur du projet.
En effet, sa solution « Power Management System » (PMS) est le véritable organe central du bâtiment. Il s’agit d’un dispositif chargé de gérer les flux d’énergie en arbitrant entre l’autoconsommation, le stockage ou la redistribution dans le réseau de distribution de l’électricité.
« Elle [la solution PMS] permet de discuter avec l’ensemble des éléments, à savoir les onduleurs, batteries, automatismes et superviseur, pour réguler les flux d’électricité », indique Edouard Cereuil. Ainsi, ce système prend en compte de nombreux paramètres tels que la production locale (850 m² de panneaux photovoltaïques de 126 kWc, et deux micro-éoliennes de 2,5 et 1,8 kWc chacune), les besoins énergétiques du bâtiment, la charge des différentes batteries, celle des véhicules électriques et les contraintes du réseau.
Le système de stockage par batterie Lithium-ion, réalisé par le fabricant Saft, offre une capacité de 56kWh et peut fournir, si besoin, jusqu’à 100kW. Le site est également équipe d’un data center sur lequel est installé un système de récupération de chaleur.
L’écran situé à l’accueil du bâtiment affiche la gestion des différents flux électriques. Il est actualisé en temps réel et présente les performances sous forme de flèches. Chacun est ainsi informé, à tout moment, de l’arbitrage entre effacement, autoconsommation, revente, etc.
Le raccordement électrique se fait via une plateforme d’agrégation « StruxureWare Energy Operation ».
Reliée au PMS, elle assure la gestion de la consommation d’énergie à J+1 et J+2 grâce à la technologie du Machine Learning (système d’intelligence artificielle doté d’un processus d’apprentissage) et croise, à la fois, les données liées à l’historique du bâtiment et des données météorologiques.
Cette plateforme d’agrégation accroit la flexibilité du réseau grâce à l’optimisation de la production et de l’autoconsommation.
D’autres équipements viennent compléter ce dispositif comme le Tableau de Distribution Base Tension (TGBT) et la Gestion Technique Centralisée (GTC) interviennent respectivement dans la gestion des flux d’énergies et dans la maintenance du chauffage et de la ventilation.
Quel retour d’expérience ?
Récompenses :
La mise en place du microgrid Kergrid est bel et bien une réussite qui a été saluée par de nombreuses récompenses :
– Prix Smart Award 2013 dans la catégorie Smart home / building par le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie ;
– Trophée des Hermines 2013 (Prix Architecture de la Ville de Vannes), dans la catégorie Équipements Publics
– Prix AMO 2014 décerné par SMA (équipe d’architecture et AMOA).
Réflexion
Les premiers retours nous révèlent que le bâtiment intelligent Kergrid est une expérimentation prometteuse.
En effet, le principal résultat observé, au bout d’une année seulement, est la compensation de la consommation du bâtiment par sa propre production énergétique.
On remarque également un fort potentiel grâce au déploiement du projet à plus grande échelle (quartiers et communes), ce qui permettrait de créer un réel impact sur le réseau. Aujourd’hui, le bâtiment seul, ne permet pas de générer des impacts énergétiques bénéfiques suffisamment conséquents sur l’ensemble du réseau électrique.
Enfin, en ayant la possibilité de réinjecter une part de son électricité produite dans le réseau de distribution, Kergrid ouvre la réflexion sur la réglementation de la tarification dans son cas particulier avec une énergie partiellement autoconsommée.
Actuellement, grâce à une convention spécifique signée avec Enedis, le SDEM est autorisé à délivrer son électricité produite sur le réseau et, bien que favorisé par la LOI n° 2015-992 du 17 août 2015 sur la transition énergétique, il doit donc interroger l’autorité publique afin de mettre à disposition plus aisément son énergie stockée.
Dès lors nous nous interrogeons sur la rentabilité du microgrid Kergrid : pour pérenniser le projet au-delà de la convention, une réglementation actée devra t-elle être mise en place ?