Dans un contexte institutionnel évolutif , après avoir offert une première grille de lecture des programmes politiques des candidats aux présidentielles 2017, nous vous proposons une série d’entretiens d’hommes politiques et d’énergéticiens afin de croiser leurs regards sur les évolutions à venir sur le secteur de l’énergie.
Laurence Confort, en charge du pôle affaires publiques France (Lobbying législatif et réglementaire), à la délégation stratégie GRDF a accepté de se prêter à l’exercice.
Après nous avoir expliqué sa vision sur le mix énergétique à horizon 2050 et les leviers à actionner pour atteindre cet idéal, Laurence Confort explique la politique locale de GRDF, la place du numérique dans le domaine de l’énergie et aborde la thématique de la mobilité gaz.
Selon vous, quelle serait la mesure éliminatoire ou celle qui empêcherait la France d’atteindre l’objectif que vous vous fixez ?
Le gaz a sa place et il doit faire partie du champ de réflexion des décideurs. Les décisions ciblées sur une seule énergie ne nous paraissent pas être une bonne chose.
Prenons l’exemple de la mobilité. Les constructeurs automobiles français misent sur la mobilité électrique du fait de l’historique de la France avec le nucléaire, mais aussi car la mobilité électrique est parée d’une vertu environnementale. Il nous parait important que la mobilité gaz ait sa place car elle est pleinement pertinente économiquement et écologiquement idéale pour le transport routier de marchandises. C’est la solution la moins polluante et la plus efficiente. L’offre existe et est pleinement développée par les constructeurs européens qui produisent en France les camions au gaz Naturel pour Véhicules (GNV), comme à Vénissieux ou Annonay, et exportent largement leurs ventes dans les pays européens. Le GNV est pertinent sur différents segments – flottes captives, transport scolaire – et répond aux réglementations environnementales. Les véhicules GNV sont pertinents sur une distance moyenne par jour de 600 km et pour le dernier kilomètre. Au-delà de 600 km, le diesel reste bien présent.
Le segment du dernier kilomètre est partagé entre l’électrique et le GNV. De nombreuses enseignes de distribution ont déjà fait le choix du GNV ainsi que des chargeurs. Sur la chaîne de distribution du GNV, il y a quelques semaines, durant la semaine internationale du transport et de la logistique, des annonces d’équipement en station significatives délivrant du GNV dans les années à venir ont été faites. De même, les collectivités locales, à l’instar du syndicat de l’énergie de l’Île-de-France-SIGEIF, se tournent vers la mobilité gaz pour valoriser leur réseau. Ainsi le SIGEIF via une SEM dédiée cofinance l’installation de stations-services, comme celle de Bonneuil sur Marne délivrant du GNV et du bioGNV. Les acteurs, élus locaux, autorités concédantes, transporteurs se mobilisent et trouvent un intérêt à la mobilité au gaz. Le GNV et le bioGNV ont été choisis par un nombre substantiel de grandes villes pour leurs flottes captives (flottes de bus, camions benne, le transport scolaire, …).
Quant au transport routier grand régional, il existe des initiatives très intéressantes. La vallée de l’Arve, dont la qualité de l’air est très médiocre, est un exemple très éclairant. Des entrepreneurs de transport ont décidé de réagir, se sont rassemblés, et ont fait le pari du camion GNV, leur écosystème local ayant la taille critique pour qu’une station de ravitaillement soit installée. Les premiers retours d’expérience sont positifs : l’acquisition de camions GNV favorisée par un dispositif fiscal facilitant est tout à fait supportable, les camions consomment moins, émettent surtout moins de particules (jusqu’à 95 % avec le bioGNV) et de surcroît, le gaz est moins cher. De plus, le confort de conduite est salué par les chauffeurs eux-mêmes. Nous avons ici l’exemple d’acteurs économiques qui ont décidé de briser la spirale infernale de la mauvaise qualité de l’air de la vallée où ils travaillent mais surtout où ils vivent avec leur famille. Et c’est ce message que nous portons auprès des décideurs publics, au travers des prises de paroles de nos décideurs : « la mobilité au gaz a vraiment du sens pour répondre aux exigences environnementales, la technologie est prête, performante et a déjà fait ses preuves ! »
Enfin, plus généralement, l’acquisition de poids lourds GNV est favorisée par la fiscalité puisqu’il existe un sur-amortissement aménagé par les lois de finance. Cela permet de compenser le surcoût d’achat de camions GNV (120 000 euros pour le GNV versus 80 000 euros pour le diesel).
Plus précisément, comment amenez-vous les élus à réfléchir sur le rôle du gaz naturel ?
Nous avons réalisé un certain nombre d’initiatives. Comme l’a expliqué Sophie Galharret lors d’une autre interview, nous avons été amenés à apporter des éclairages aux élus sur la valeur que représente le patrimoine réseau concédé comme outil d’aménagement à leur disposition dans un contexte de compétences accrues des collectivités locales. Il y a trois ans, nous avons travaillé sur la définition du périmètre des éléments de connaissance qu’ils souhaitaient avoir sur leur patrimoine, le réseau de gaz naturel, et sur ce que produit ce réseau, pour leur permettre de faire des choix énergétiques. Ce travail de concertation a été consacré dans la réglementation.
Les équipes de GRDF poursuivent leur travail sur le terrain auprès des élus qui préparent leur Schéma régional du climat de l’Air et de l’Energie (SRCAE) ou leur Schéma Régional d’Aménagement et de Développement Durable du Territoire (SRADDT). Ce travail nous le menons aussi avec les autorités concédantes, et il vise à sceller et renforcer le niveau de confiance pour pouvoir aller plus loin avec eux et voir quelles solutions locales, le réseau de gaz naturel allié à d’autres énergies leur permet de développer. Nous sommes là pour leur dire qu’ils ont différents réseaux, et qu’il est important de mesurer l’intérêt et la valeur du patrimoine des réseaux de gaz et électrique, quand ils mènent leurs projets. Nous leur rappelons aussi qu’avant d’imaginer des nouveaux moyens en réseau, ils peuvent utiliser les réseaux existants que les collectivités possèdent déjà, qui désormais transportent du gaz vert, et ainsi favorise la production locale. Demain, ce réseau de gaz pourra intégrer de l’électricité renouvelable. Porter ce message et mettre le gaz naturel dans le champ de réflexion des élus est le travail quotidien des équipes de GRDF sur le territoire. Il est de notre responsabilité d’apporter aux élus tous les éléments d’éclairage, en leur expliquant les atouts, la pertinence et l’efficacité économique des solutions gaz naturel, qui ne sont pas exclusives d’autres solutions et qui peuvent s’accorder, selon les projets, avec le photovoltaïque, le solaire, l’éolien, la géothermie. Aujourd’hui, un des enjeux d’un élu est de drainer des financements. L’infrastructure de réseau de gaz répond à cet enjeu d’efficacité économique : elle existe et est exploitable sans frais supplémentaires.
La baisse des dotations de l’Etat risque-t-elle d’affecter les choix des élus, comme ce qui a pu être observé dans la gestion de l’eau avec des reprises en régie. Est-ce que ce serait le type de mauvaises décisions prises par les élus ?
A la fin du second conflit armé mondial, le législateur en 1946 a conféré à Gaz de France le monopole notamment sur la distribution de gaz sur une grande partie du territoire pour la distribution de gaz, dont GRDF est l’héritier encore aujourd’hui.
Une récente directive européenne sur les concessions n’a pas entamé les droits de GRDF. L’objectif pour GRDF est de renforcer le dialogue avec les élus.
GRDF offre la même qualité de service dans les grandes villes comme dans les territoires plus ruraux grâce à la péréquation qui est le gage d’une gestion à l’identique quelle que soit la commune desservie et sur la base d’une même tarification de l’acheminement du gaz. Grace à l’effet de taille, de multiples services sont mutualisés au sein de GRDF ce qui se traduit par un tarif pratiqué bien inférieur aux autres distributeurs de gaz naturel en France. GRDF s’attache à éclairer les élus au travers de la présentation des comptes de concessions en leur montrant ce que leur concession reçoit de la péréquation ou bien dans quelle mesure elle y contribue.
La qualité des liens entre les autorités concédantes et GRDF repose sur la capacité de dialogue pour développer la transparence. Au-delà du monopole, GRDF attache une grande importance à renouveler les contrats échus.
La dynamique actuelle consiste à laisser de plus en plus de pouvoir au local et aux territoires, les collectivités ont-elles suffisamment de marge de manœuvre ? Ont-elles les financements suffisants ?
Les collectivités locales disposent de nombreuses clés aujourd’hui, conférées avec diverses lois – LTE, NOTRe, MAPTAM. Certaines régions comme la région des Hauts-de-France, n’attendent pas de lois supplémentaires pour agir et engagent des coopérations transfrontalières. En considérant les régions, les métropoles, certains EPCI, il y a déjà beaucoup d’initiatives.
Pensez-vous que cesser une partie des importations de gaz de l’extérieur est un bon moyen pour accélérer le développement de la production locale et mobiliser les investissements vers les méthaniseurs ?
L’autonomie énergétique se gagnera dans la durée qui doit être accompagnée de façon dynamique. Les réalités économiques doivent d’abord l’inscrire dans le temps.
On a déjà évoqué les compteurs communicants, en quoi le numérique peut appuyer les énergéticiens ?
On peut citer les trois volets suivants :
- Efficacité énergétique : un nouveau compteur augmente l’efficacité énergétique au travers de la maitrise de l’énergie.
- Données : il y a un vrai enjeu aujourd’hui autour de la gestion des données. Quelle est la plus-value des acteurs du marché ? Comment ces données vont-elles modifier les réalités locales pour nourrir des choix énergétiques locaux, des boucles locales ? C’est un chantier auquel nous travaillons.
- Complémentarité énergétique au plan local : le numérique permet de déterminer quel type de moyen de production est plus pertinent à actionner en fonction du signal prix à différents moments de la journée et permet de moins consommer sur d’autres postes énergétiques. Cette problématique est récente, tout reste à écrire et c’est l’un des chantiers principaux de GRDF.
Faudrait-il que les politiques dès maintenant initient des politiques/stratégies communes en incitant à travailler en commun pour aller potentiellement plus vite que d’autres pays sur ces capacités power-to-gas ou autres ?
Les élus locaux ont commencé. Beaucoup de choses en matière énergétique sont issues d’initiatives locales. Les démonstrateurs évoqués plus haut (une quinzaine en France) permettent justement de tester différents types d’échanges permettant cette complémentarité et améliorant l’efficacité énergétique par le couplage des réseaux pour que le fonctionnement soit le plus pertinent en termes environnementaux et économiques.
En revanche, il est important d’accompagner les initiatives locales notamment sur le plan du financement en aidant à mobiliser des financements communautaires, français, participatifs pour faire exister ces démonstrateurs. Ce sont des initiatives extraordinaires : des laboratoires portés par des acteurs locaux qui ont une conviction et qui, pour étayer leur conviction, lancent ces projets. Effectivement, le soutien des pouvoirs publics par une fiscalité incitative et l’accompagnement par les banques sont des choses tout à fait souhaitables.
La France a exporté des savoir-faire sur le nucléaire. Pour le moment, sur les autres énergies nous sommes plus dans l’import que dans l’export, à la fois des énergies et à la fois des savoir-faire dans l’éolien, le PV… Comment redonner un rôle à la France dans l’export soit d’énergie soit de savoir-faire technologique ?
Avec tous les travaux, les recherches, les technologies autour de la complémentarité que ce soit la méthanation ou le power-to-gas de manière générale, procure un vrai gisement et une vraie mobilisation des savoirs. La France a une carte à jouer et n’a pas à rougir par rapport à ce qui se fait en Allemagne ou en Suède.
Quels sont les leviers à la disposition du candidat pour mettre en œuvre son programme énergétique ?
Pour renforcer et développer le mix énergétique, de l’efficacité énergétique et de la complémentarité énergétique, les outils suivants sont disposition :
- Utiliser des outils d’incitation. Par exemple, la fiscalité incitative est un outil qui marche.
- Simplifier un certain nombre de dispositions. Par exemple pour les installations de méthanisation, les procédures sont très longues.
- Dans toutes les solutions énergétiques, faire la part de chacune. Reprenons l’exemple de la mobilité, la solution n’est pas « tout électrique » ou « tout gaz » ou « tout hydrogène », tout dépend de la pertinence économique et environnementale de chaque solution.
- Accompagner les mutations. Il faut aussi savoir prendre des risques, initier des recherches, tester, avec l’ensemble des acteurs, c’est pourquoi les initiatives au plan local sont extrêmement importantes et permettent de voir ce qui marche, ce qui ne marche pas afin de pouvoir ensuite industrialiser.
En résumé, il faut une démarche de pragmatisme, d’accompagnement, de facilitation pour que les énergies et les acteurs au plan local puissent tester et avancer.
Les 5 points clés à retenir :
- Le gaz a un rôle à jouer au même titre que d’autres types d’énergie, il s’inscrit dans un mix complémentaire avec des solutions adaptées économiquement et environnementalement à chaque problématique
- L’augmentation de la part des énergies renouvelables et en particulier du biogaz s’accompagne nécessairement de mesures d’efficacité énergétique
- Les initiatives locales sont essentielles pour expérimenter et faire émerger les solutions du futur
- Les collectivités et l’Etat doivent utiliser les outils (nombreux) à leur disposition pour encourager ces initiatives
- La complémentarité énergétique s’appuie sur le numérique : compteurs communicants, maintenance prédictive, etc.