En mars dernier, Wavestone assistait à une nouvelle table ronde organisée par France Stratégie autour de la blockchain et ses enjeux dans le secteur de l’énergie. Le principal intervenant, Philippe Calvez, travaille au sein d’Engie pour le département Lab for Computing Science and Artificial Intelligence (LaCsAi).
La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle (Blockchain France). Elle permet ainsi de supprimer les tiers de confiance lors de transactions. Si vous souhaitez en savoir davantage sur les champs d’application de la blockchain, retrouvez notre précédent article sur le sujet.
Considérées comme des travaux de recherche, ces technologies s’inscrivent dans les thématiques du laboratoire. Ces dernières comprennent : l’intelligence artificielle, l’exploration de données (data mining), l’analyse de données (data analytics), l’interopérabilité numérique, les “Distributed Ledgers Systems” (registres distribués), les technologies blockchain et la cybersécurité.
Quelles sont les opportunités offertes par la blockchain et à quels besoins répondent-elles ?
Une transformation structurante, en écho à la décentralisation latente
Selon Philippe Calvez, nous assistons à un changement d’approche dans le milieu de l’énergie. Notre système jusqu’à aujourd’hui était centralisé. Actuellement, un nouveau paradigme se met en place. Nous assistons à la digitalisation des infrastructures et de l’environnement ainsi qu’à la décentralisation des énergies. Cette dernière est favorisée par le développement de nouveaux assets : les énergies renouvelables (EnR) & les solutions de stockage (notamment via les batteries de véhicules). Cependant, il faut garder en tête que l’énergie – électricité ou gaz – répond à de nombreuses contraintes physiques. Avec un système décentralisé, intégrant les énergies renouvelables qui sont intermittentes (non disponibles en permanence et dont la disponibilité varie fortement sans possibilité de contrôle), se pose la problématique du stockage. De plus, le pilotage du système énergétique est plus difficile à gérer et à prédire. Cela rebat ainsi les cartes des acteurs dans le secteur de l’énergie. La blockchain pourrait alors faciliter la transition énergétique comme le démontre l’initiative de Transactive Grid à Brooklyn, avec la création d’un réseau d’électricité local, passant par la technologie blockchain.
La technologie blockchain adresse plusieurs enjeux du secteur de l’énergie
Durant la conférence, plusieurs pistes d’application de la blockchain dans le secteur de l’énergie ont été abordées. Les trois principales sont présentées ci-dessous :
- Permettre la résilience et l’indépendance des réseaux d’électricité et de gaz, ce qui n’est pas le cas via nos modèles classiques actuels. Celles-ci pourraient être atteintes grâce à la récolte de données liées à la production d’énergie et des transactions effectuées entre chaque entité.
- Réduire les coûts de processus et de back-office (activités de supports, de contrôle et d’administration) liés à l’énergie grâce notamment au paiement des factures avec de la crypto-monnaie, la vérification des transactions (effacement, autoconsommation, stockage…) et à plus long terme la numérisation et l’automatisation de « smart contracts » de fourniture de l’énergie (plus complexes à mettre en œuvre).
- Faciliter la décentralisation grâce à l’émergence du « prosumer » ainsi que la numérisation des infrastructures et processus. La blockchain permettra ainsi de nouveaux modèles d’affaires tout en réduisant les intermédiaires centralisés. Ce phénomène de décentralisation est par ailleurs renforcé par le décret sur l’autoconsommation qui est entré en vigueur le 10 mai dernier. Il fixe les tarifs d’achat de l’électricité photovoltaïque en revente totale pour un contrat de 20 ans. Il instaure aussi une prime à l’investissementpour les installations en autoconsommation avec revente de surplus.
Si la blockchain semble pouvoir apporter de nombreuses opportunités dans le domaine des énergies, il reste en revanche de nombreuses questions en suspens. Qu’il s’agisse de l’encadrement juridique et réglementaire, ou de l’évolution de la technologie (pérennité, maturité…) et son intégration au sein des entreprises, les incertitudes sont nombreuses…
Les avantages, limites et risques liés à la blockchain
La blockchain connait de nombreux avantages. Parmi ces derniers, Philippe cite tout d’abord l’immuabilité de chaque enregistrement et leur transparence. Il évoque aussi la désintermédiation de la relation avec certains métiers en se tournant vers des transactions « Peer-2-Peer » (de pair à pair), c’est-à-dire de particuliers à particulier : les tierces parties deviennent alors inutiles. Un autre avantage soulevé est celui de la rapidité des transactions qui peuvent se faire en quasi temps réel grâce à la blockchain. Ou encore l’automatisation de microtransactions énergétiques et des frais de transaction potentiellement faibles.
D’un autre côté, les actuelles limites de la blockchain sont multiples. Elles concernent tout d’abord les notions de protection et d’intégrité des données : les données pourraient être mal sécurisées ou altérées lors des transactions. Certaines fraudes pourraient malgré tout être observées, notamment au niveau de l’identité des personnes. Ceci pose des questions de cybersécurité, qui restent à ce jour sans réponse. Une autre limite évoquée est celle concernant la maturité de la technologie : l’écosystème et les technologies de la blockchain nécessitent plus de maturité pour une industrialisation dans le domaine de l’énergie. Il y a, en effet, encore peu d’applications réelles de la blockchain, notamment dans le domaine des énergies où la technologie est seulement au stade de POC. Enfin, cette technologie n’étant pas mature, elle génère des problématiques du fait de son vide légal et juridique. Celui-ci représente une potentielle menace dans la mesure où les limites et contraintes à l’exploitation de la blockchain ne sont pas fixées (questions de responsabilités, enjeux métiers, propriété industrielle…).
Finalement, les principaux risques évoqués autour de la blockchain sont liés au fait que nous n’avons pas encore d’historique du point de vue « industriel » dans le domaine de l’énergie, hors approche financière matérialisée par le Bitcoin. Ainsi, nous n’avons pas de preuve que cette technologie puisse apporter une plus-value dans le domaine des énergies. Le second risque soulevé est celui de la cybersécurité sur les smart contracts qui sont des modalités programmées pour exécuter des actions spécifiques. Le contrat est prédéfini à l’avance sous forme de code informatique par les deux parties. Lorsque les conditions spécifiées dans le contrat sont remplies, la transaction est réalisée automatiquement par la blockchain sans intervention humaine. Les smart contracts ne peuvent pas être modifiés a posteriori de leur implémentation sur la blockchain. Il est donc crucial de s’assurer que le contrat ne comporte pas de faille exploitable par un acteur malveillant. Enfin, son développement à grande échelle pourrait également « ubériser » des acteurs tels qu’Engie. Avec la blockchain, les tiers de confiance seraient contraints de développer progressivement de nouveaux business models leur permettant de prendre part au mouvement, sans quoi ils pourraient être écartés du système.
Et chez Engie ?
Bien que la blockchain soit encore très peu développée chez Engie, le groupe travaille en collaboration avec Gemalto pour monter en compétences dans ce domaine. Il collabore également avec des start-ups pour développer sa connaissance en data mining. De plus, quelques POC sont déployés à petite échelle, mais aucune étude Proof of Stake (POS) n’a été faite. Selon Engie, le cas d’usage qui ressort est le « Peer-to-Peer Energy » : lorsque les personnes et/ou villes rassemblées en communautés, échangent de l’énergie entre elles.
D’un point de vue pragmatique, pour Engie l’intérêt de la blockchain est lié à l’IoT et à l’intelligence artificielle. Cependant, le groupe n’a pas encore défini de stratégie propre à cette thématique.
En conclusion
Il ressort que la blockchain pourrait servir de levier de décentralisation. D’une part en faisant émerger de nouveaux acteurs comme le prosumer. D’autre part en réduisant le nombre d’intermédiaires existants du fait de la création d’une nouvelle chaîne de valeur potentielle. Pour Lionel Janin, chargé de mission numérique chez France Stratégie, la blockchain à court terme serait plutôt utilisée dans le cas du microgrid. De nombreux projets sont déjà opérationnels, comme aux Etats-Unis avec BrooklynGrid, mais aussi en Asie et en Afrique.
Dans les limites, nous pouvons ajouter que la blockchain est très énergivore.