Le 30 avril dernier a été publié au Journal Officiel le décret d’application relatif à l’autoconsommation d’électricité. Ce texte très attendu pose le cadre légal de l’autoconsommation de l’électricité. Il fait suite à l’ordonnance du 27 juillet 2016, qui donnait les définitions de l’autoconsommation et de l’autoconsommation collective.
Le décret précise le rôle des gestionnaires de réseaux publics de distribution d’électricité dans la mise en œuvre des opérations d’autoconsommation collective. Il fixe notamment la puissance installée maximale des installations pouvant injecter leur surplus d’électricité dans le réseau. Il modifie enfin les critères d’éligibilité aux dispositifs de soutien des installations produisant de l’électricité à partir de sources renouvelables. Le décret est en vigueur depuis le 1er mai 2017.
Pour comprendre en un coup d’œil le sujet, une infographie Energystream est disponible ici.
De quoi parle-t-on ?
Une opération d’autoconsommation est le fait pour un producteur, dit autoproducteur, de consommer lui-même tout ou partie de l’électricité produite par son installation. L’autoconsommation est donc possible à la fois pour les particuliers et les établissements professionnels.
Lorsque la fourniture d’électricité est effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals, liés entre eux au sein d’une même personne morale, et dont les points de soutirage et d’injection sont situés sur une même antenne basse tension du réseau public de distribution, il s’agit d’une autoconsommation collective. Par exemple, un immeuble avec plusieurs propriétaires, plusieurs bâtiments, ou encore les parking de centre commerciaux, sont éligibles pour être une personne morale.
Qu’est-ce qui est nouveau ?
Ce décret est un véritable changement, car jusqu’alors l’autoconsommation était seulement financière. L’énergie produite par les particuliers et professionnels devait obligatoirement être revendue au réseau, avec un prix de vente du kilowattheure réglementé inférieur au prix d’achat. Désormais, l’autoconsommation peut être physique : l’énergie produite par un producteur – consommateur est directement consommée sur place, le surplus étant reversé sur le réseau de distribution d’électricité.
Grâce à ce nouveau cadre, l’autoconsommation peut devenir une vraie opportunité de baisse de la facture énergétique. Ainsi, l’entreprise lyonnaise de plasturgie AD Majoris, PME de 36 salariés, a pu passer le cap de l’autoconsommation, avec un investissement en panneaux solaires de 500.000 euros, amorti en onze ans. Autre exemple, un grand supermarché peut installer une surface importante de panneaux solaires sur son toit ou son parking, afin de produire localement une partie de l’électricité qui lui permet d’alimenter ses groupes frigorifiques. En fait, l’autoconsommation est particulièrement adaptée aux consommateurs qui ont un profil de consommation relativement stable.
Quels sont les thèmes abordés dans le décret ?
L’autoconsommation collective
Un des enjeux majeurs du décret était la définition des consommateurs éligibles à l’autoconsommation et notamment le regroupement possible de consommateurs et de producteurs.
Il est désormais possible pour plusieurs producteurs et consommateurs de se réunir au sein d’une même personne morale pour ainsi réaliser une opération d’autoconsommation collective. Cela facilite grandement l’autoconsommation sur des immeubles ou sur plusieurs petits bâtiments qui profiteraient de la production d’une seule installation de production. En outre, plusieurs particuliers peuvent plus facilement investir dans une installation qu’un unique propriétaire. En mutualisant leurs ressources au sein d’une même personne morale, les co-investisseurs diminuent individuellement leur apport initial et partagent le risque. Imaginons un petit village. Des voisins peuvent désormais investir ensemble dans une éolienne, dont ils se partageront directement la production.
Quelques règles supplémentaires ont été définies dans le décret :
La quantité d’électricité autoconsommée totale ne peut dépasser la somme des productions des installations ni la somme des consommations des participants à l’opération d’autoconsommation. Cela signifie logiquement que l’électricité autoconsommée, comme le veut sa définition, ne peut provenir que de la production locale et qu’un consommateur ne peut autoconsommer plus que sa propre consommation.
La production affectée à chaque consommateur (et donc le taux d’autoconsommation de chaque consommateur individuel de l’opération d’autoconsommation collective) dépend d’un coefficient de répartition qui est fixé par la personne morale.
Le statut du stockage de l’électricité produite
L’autoconsommation peut être couplée à des unités de stockage d’électricité. L’unité de stockage est assimilée à un consommateur/producteur : elle consomme lorsqu’elle stocke de l’électricité, elle produit lorsqu’elle se décharge.
La vente du surplus de production
L’installation de production peut parfois produire plus d’électricité que n’en nécessite les consommateurs rattachés à cette unité de production au sein de l’opération d’autoconsommation. Dans ce cas, le surplus d’énergie doit être reversé par injection sur le réseau de distribution. Deux cas de figure existent :
- Une installation de puissance inférieure à 3 kWc n’a pas d’obligation d’être rattachée à un périmètre d’équilibre (zone au sein de laquelle le responsable doit s’assurer de l’équilibre entre électricité injectée et électricité consommée et assume les coûts des écarts éventuels). Le surplus est injecté gratuitement sur le réseau et est assimilé à des pertes réseau.
- Une installation de puissance supérieur à 3 kWc doit être rattachée à un périmètre d’équilibre et le surplus d’énergie doit être vendu grâce aux modalités possibles (obligation d’achat, appels d’offres, vente sur le marché).
Le rôle du Gestionnaire de Réseau de Distribution
L’autoconsommation a lieu en majorité à la maille du Gestionnaire de Réseau de Distribution d’électricité (Enedis ou Entreprise Locale de Distribution). En effet, beaucoup d’installations d’énergies renouvelables sont rattachées au réseau de distribution.
Le GRD, qui assure l’équilibre de son réseau, recueille toutes les informations relatives à l’opération d’autoconsommation en fournissant les modèles de formulaires et de contrats appropriés. Par ailleurs, les exploitants d’installations de production d’électricité participant à une opération d’autoconsommation ont l’obligation de déclarer ces installations au GRD compétent.
Une décentralisation énergétique portée par les particuliers, et accompagnée par le réseau électrique
“La baisse attendue du coût de production des énergies renouvelables décentralisées conjuguée à la hausse prévisible des prix de vente TTC de l’électricité ainsi que l’aspiration de certains consommateurs de pouvoir répondre à leurs besoins électriques par des moyens de production locaux « verts » vont ouvrir la voie au développement de l’autoconsommation / autoproduction.” prévoyait la DGEC en 2014 dans son Rapport sur l’autoconsommation et l’autoproduction d’électricité renouvelable. Les pouvoirs publics semblent avoir pleinement conscience de la transition énergétique en cours, et permettent en même temps à celle-ci de se produire. Ainsi, le décret accompagne la transformation progressive du système énergétique vers un système plus décentralisé, où particuliers comme entreprises peuvent devenir acteurs de ce système. En ce sens, la petite production est encouragée, grâce à la dérogation du rattachement à un périmètre d’équilibre. Cette dérogation permet en effet de limiter les démarches administratives et les coûts associés. De plus, les propriétaires d’installation de petite puissance n’ont pas à payer les coûts des éventuels écarts liés à leur installation, car ces écarts sont considérés comme négligeables pour le réseau électrique. Enfin, lorsque la production est inférieure à 100 kilowatts, les consommateurs participants à des opérations d’autoconsommation bénéficient d’un tarif spécifique d’utilisation du réseau, défini par la CRE.
Néanmoins, si localement les surplus d’injection des installations de petite puissance représentent des pertes négligeables pour le réseau de distribution, celui-ci doit toujours garantir son équilibre. Le réseau de distribution va faire face à un nombre croissant de demandes de raccordement suite à ce décret facilitateur. Il va donc devoir s’adapter : cela implique le développement de nouvelles technologies de gestion des flux qui ne sont plus uniquement descendants mais multidirectionnels. Cette adaptation nécessite également de nouveaux modèles économiques pour valoriser la production renouvelable et les capacités d’effacement. Ces technologies et modèles existent déjà mais leur déploiement risque de s’accélérer suite à la publication de textes comme ce décret qui favorise la multiplicité des petites installations.
In fine, il se pourrait que le développement de l’autoconsommation permette de réduire les risques et coûts liés aux pics de consommation sur le réseau. La DGEC indique effectivement que “l’autoconsommation / autoproduction présente des opportunités de réduction des coûts du réseau électrique par une amélioration de l’intégration des énergies renouvelables décentralisées à celui-ci, à la condition qu’elle permette de réduire les puissances maximales injectées ou soutirées du réseau. Elle représente un concept physique intimement lié au réseau électrique et à son équilibrage, et est souvent confondu à tort avec les relations commerciales d’achat et de vente de l’électricité, déconnectées des enjeux techniques sous-jacents.”
Alors, jusqu’où ira-t-on ?
Les scénarios de développement de l’autoconsommation divergent selon les hypothèses retenues au départ (évolution du prix de l’électricité, évolution du TCO de panneaux solaires, etc.), mais convergent tous pour une augmentation progressive du phénomène, allant de 1 GWh/an d’ici à 2020 selon EDF, jusqu’à 250 TWh/an d’ici à 2050 selon CE Deflt.
Quoi qu’il en soit, l’autoconsommation d’électricité est un bouleversement qui va impacter plus ou moins fortement l’ensemble des acteurs du système énergétique d’aujourd’hui et de demain. D’abord, les consommateurs d’électricité gagneront en autonomie et verront leur facture énergétique diminuer, voir disparaître en cas d’autoconsommation totale. Ensuite, les gestionnaires de réseau d’électricité verront progressivement diminuer les flux d’énergie qui transitent dans les réseaux qu’ils entretiennent. D’où une possible inadéquation du TURPE, puisque la majorité des coûts de gestion du réseau sont fixes. Enfin, les fournisseurs d’électricité historiques risquent de perdre à long terme une partie de leurs débouchés. En effet, l’autoconsommation individuelle et collective permet à un segment de clients de s’affranchir des services de fourniture d’énergie, auxquels ces derniers avaient l’habitude de souscrire.
Au fond, l’autoconsommation fait partie des signaux faibles, qui témoignent d’un changement de paradigme. Nous sommes en train de vivre une petite révolution dans le monde de l’énergie. Le passage d’un monde vertical à un monde plus horizontal. Cette transition, déjà en cours, soulève certes certains risques, mais génère aussi de nombreuses opportunités. Produire l’énergie que l’on consomme, c’est prendre conscience de la non abondance de la ressource, et donc veiller à limiter son gaspillage. C’est aussi un acte citoyen et écoresponsable. C’est enfin un acte démocratique, et émancipateur.
Heureusement que nous n’avons pas attendu l’arrêté d’avril dernier, pour réaliser des projets d’autoconsommation qui étaient légalement autorisés en autoconso individuelle.
La seule chose que change vraiment le décret, c’est de préciser le cadre pour l’autoconsommation collective.
Le projet réalisé par la filiale d’EDF avec l’entreprise lyonnaise de plasturgie AD Majoris n’est absolument pas une première en France, bcp d’autres projets existent par ailleurs, réalisés par divers opérateurs…