La réalité virtuelle (VR) et la réalité augmentée (AR) ne sont pas des technologies nouvelles. C’est en 1968 que la première machine proposant de la réalité augmentée fût introduite par l’ingénieur américain Ivan Sutherland avec sa machine de simulation associée au tout premier casque de vision transparent. Elle permettait déjà six degrés de liberté, ce qui était révolutionnaire pour l’époque mais qui paraîtrait plutôt limité aujourd’hui. Si cet exploit était une première approche de la réalité augmentée , ce n’est que bien plus tard que les termes « réalité augmentée et virtuelle » furent utilisés dans les travaux de Paul Milgram et Fumio Kishino en 1994 sur la théorie du continuum « réalité mixte », mélange entre la réalité et le virtuel.
Ainsi, pourquoi des technologies, existantes depuis des années, n’ont réellement refait surface que depuis 2015 et suscitent de nos jours un intérêt grandissant chez les industriels et les énergéticiens ?
C’est ce que nous tentons d’analyser ensemble avec ce nouvel article Energy Stream !
Des technologies qui se démocratisent…
De nombreux articles et conférences abordent de nos jours les sujets autour de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée. C’est avant tout une démocratisation forte auprès du grand public et des entreprises qui a entraîné de forts investissements autour de ces innovations.
Avant de comprendre comment cette démocratisation a été rendue possible, il s’agit dans un premier temps de définir les différences entre ces deux technologies.
Quelles différences entre réalité virtuelle et réalité augmentée ?
Souvent confondues, ces deux technologies sont cependant très différentes dans la mesure où la réalité virtuelle immerge l’utilisateur dans un monde virtuel alors que la réalité augmentée propose la superposition en temps réels d’objets virtuels dans un environnement réel visible par l’utilisateur.
D’un côté, l’immersion dans un monde virtuel consiste avant tout à proposer aux utilisateurs une expérience sensorielle et intemporelle. Ces derniers peuvent se déplacer dans le monde 3D reconstitué par un logiciel dans lequel les frontières physiques sont abolies, soit en se téléportant ou en se déplaçant réellement dans un périmètre délimité par des capteurs. Nous pouvons déjà imaginer des situations pour lesquels les utilisateurs sont menés à explorer des lieux inédits avec la possibilité d’interagir avec les objets disposés dans ces lieux.
La superposition d’objets 3D en temps réel dans un environnement existant, quant à elle, ne propose pas le même paradigme car l’objectif principal est d’améliorer la perception que possède l’utilisation du réel grâce au virtuel.
Des informations pratiques sont affichées en plus dans la vision de l’utilisateur le permettant de mieux le guider dans ses actions.
Le jeu vidéo et l’évolution des technologies, vecteurs de la démocratisation
Le secteur du loisir multimédia, notamment avec le jeu vidéo, ainsi que l’évolution des technologies (meilleure puissance des processeurs, prix des capteurs diminué, augmentation de la capacité de stockage, cloudification…) ont fortement aidé les technologies de la réalité virtuelle et augmentée à se démocratiser, en particulier sur le marché B2C. A titre d’exemple, alors qu’il fallait plus de 150 000 euros, il y a 10 ans, pour mettre en place un dispositif à réalité virtuelle, l’investissement de nos jours est moindre (moins de 1000 euros). Des particuliers peuvent facilement acheter des dispositifs VR et les installer chez eux.
Le marché B2B a également largement contribué à l’essor de ces innovations. Les services marketing et communication ont été, en effet, les premiers services à solliciter des entreprises spécialisées dans le domaine de la modélisation 3D et de la réalité virtuelle/augmentée pour développer du contenu innovant : Brand content, organisation de showrooms innovants…
Leurs initiatives ont été en particulier bénéfiques pour la réalité augmentée qui est désormais utilisée plus largement dans des applications mobiles/tablettes.
Des utilisations dans de nombreux domaines et services
Conscients du potentiel énorme que peuvent représenter ces deux technologies, d’autres secteurs/services ont mené des expérimentations concluantes et proposent aujourd’hui des applications/services/logiciels de réalité virtuelle et augmentée.
Le domaine de l’immobilier offre la possibilité de visiter en réalité virtuelle des futures constructions permettant aux clients de mieux se projeter, notamment dans le choix des matériaux et la disposition du mobilier.
La médecine utilise plus largement la réalité virtuelle pour former les chirurgiens de demain ou encore pour traiter des problèmes d’anxiété ou de nervosité (claustrophobie ainsi qu’à l’acrophobie, la peur extrême et irrationnelle des hauteurs appartenant à un type de phobie spécifique).
Le secteur de la vente en ligne et du e-commerce révolutionne l’expérience consommateur où ce dernier est en mesure de visualiser un produit avant de l’acheter. Typiquement, Audi propose à ses clients de se projeter dans une voiture et de l’essayer « virtuellement ».
Le secteur du tourisme permet aux touristes d’essayer des destinations avant même d’acheter leurs billets d’avion.
Quant au secteur du transport, de grands investissements sont effectués dans le domaine de l’aéronautique pour aider les constructeurs d’avion à améliorer leur performance opérationnelle.
…autour de matériels innovants et de plus en plus accessibles et performants
Un catalogue grandissant de matériels innovants et accessibles
Une des clés du succès de la démocratisation de ces technologies est l’apparition d’un catalogue de matériels innovants (hardware) : casques & lunettes connectées qui proposent des fonctionnalités pratiques : géolocalisation en temps réel de l’utilisateur, connectivité wifi, capteurs de mouvements intégré, touchpad, micro… et parfois spécifiques : capteurs de substances dangereuses, gestion de l’ATEX (atmosphères explosives)… le tout sur des OS très différents (Windows, Android et depuis peu IOS) pour des prix de plus en plus abordable (moins de 800 dollars).
Aujourd’hui, la réalité virtuelle doit son succès aux casques à réalité virtuelle qui permettent d’immerger l’utilisateur dans un monde irréel. Dans la recherche permanente de la meilleure expérience utilisateur, des casques accompagnés de « manettes » permettent d’imiter les mouvements des mains et du corps dans l’espace.
De nombreux fournisseurs non spécifiques tels que Sony (Playstation VR), HTC (HTC Vive) ou encore Dell, Lenovo et Acer adaptent ainsi leurs casques au Windows Mixed Reality. C’est également le cas de fournisseurs spécialisés comme Oculus VR (racheté par Facebook en 2014) qui s’est fait connaître grâce à l’Oculus Rift. Les prix d’achat deviennent abordables offrant la possibilité à des particuliers de disposer de ce type de technologies dans leur salon :
Quant à la réalité augmentée, le discours est plus contrasté. Même si la tendance observée est la diminution du prix d’achat des lunettes à réalité augmentée, leurs champs d’application restent limités aux milieux professionnels avec des offres de services plus étendus (Service de leasing de lunettes).
Les progrès dans la performance des smartphones et des tablettes, clés de voûte pour la réalité virtuelle et augmentée
Malgré l’apparition de matériels innovants et inédits, les progrès effectués sur la puissance embarquée des tablettes et des smartphones offrent de réelles perspectives de développement.
Les smartphones permettent, par exemple, de faire fonctionner des applications à réalité virtuelle (on parle de mobile VR), certes moins impressionnantes et immersives qu’avec des casques à réalité virtuelle, mais parfois suffisantes pour des cas d’usages simples.
Les applications à réalité augmentée sur mobile ou tablette proposent également des concepts novateurs (superposition de meubles virtuels, Apparition d’un équipement en 3D avec sa notice d’emploi …) offrant la possibilité, à moindre coût, à certains utilisateurs de profiter de cette technologie.
De nombreux analystes sont alignés sur le fait que le smartphone sera l’élément différenciant qui permettra à la réalité augmentée, encore difficile d’accès, de se développer à grande échelle.
…permettant à des entreprises et des start-ups de créer des services innovants
Une diversité d’acteurs autour de ces technologies
Au regard d’un développement exponentiel observé au niveau des matériels compatibles AR/VR de plus en plus fournis et complets, de nombreuses entreprises et start-ups se sont lancés dans l’aventure proposant des services à tous les niveaux : Fourniture de composants électroniques spécifiques, Edition de logiciels spécialisés pour faire de l’AR et de la VR, Création de contenu graphique, Studio de cinéma AR/VR, « Lab » AR/VR pour favoriser l’acculturation et le prototypage, …
Digi-Capital a notamment recensé les principaux acteurs aujourd’hui dans le monde offrant des services AR/VR aux entreprises mais également aux particuliers. Ces derniers se distinguent par leurs expertises qui vont de la fourniture de matériels spécialisés à la conception de solution logicielle innovante.
D’autres acteurs inattendus offrent également des services de réalité augmentée et virtuelle, essentiellement à destination des entreprises (B2B). C’est notamment le cas de Dassault Système qui bâtit une réelle stratégie autour de ces sujets en souhaitant faire de ces technologies un réel atout dans son portefeuille d’activités (Licensing de solutions).
Des plateformes numériques spécifiques favorisant la diffusion d’applications AR/VR
Steam VR store, Occulus Store, Windows Mixed Reality, SmartVR store…. De multiples plateformes numériques se mettent en place autour de ces sujets pour offrir avant tout un canal de diffusion facile d’accès pour les utilisateurs avec la soucis constant de catégoriser les utilisations de l’AR et la VR : Loisir, culture, productivité, … comme le propose déjà des stores classiques de smartphones et de tablettes tels que Apple Store ou encore Google Play pour ne citer qu’eux.
… pour répondre à des cas d’usages stratégiques pour les industriels et les énergéticiens
Alors que de nombreux secteurs ont largement profité de l’AR et de la VR pour booster leurs activités et regagner de la compétitivité, qu’en est-il des secteurs de l’industrie et de l’énergie ?
La réalité virtuelle et la réalité augmentée apportent une nouvelle manière de représenter des objets dans un espace réel ou non, de visualiser l’information (procédures, modes opératoires…) en ayant des indicateurs d’aide à la décision (important lors de manipulations dangereuses) et de transmettre/diffuser des connaissances de manière plus efficace car l’utilisateur est acteur de son expérience. On constate donc une forte utilité de ces technologies dans des secteurs où le gain en performance opérationnel prime, tout comme la sécurité des opérations et des opérateurs.
Trois enjeux majeurs d’industriels et d’énergéticiens adressés aujourd’hui par la réalité virtuelle et la réalité augmentée ont été identifiés :
L’amélioration des opérations : premier angle d’attaque
L’amélioration de la performance opérationnelle est un ensemble complexe qui regroupe l’optimisation des processus en cours mais également les aspects de sécurité des opérations et surtout des opérateurs.
Formation virtuelle : porte d’entrée pour la performance opérationnelle
Le fait de pouvoir minimiser le taux d’erreur effectué tout en maximisant la productivité des opérateurs, le tout sans accident notable, est un enjeu fort pour les industriels et les énergéticiens qui doivent en premier lieu solutionner grâce, en partie, à la formation et la transmission des connaissances dans un contexte difficile de déficit de compétences et de ressources disponibles.
A titre d’exemple, en France, le secteur de l’énergie et en particulier du nucléaire perdra environ 47% de ses actifs de 2005, arrivés en fin de carrière d’ici 2020 alors que les centrales et équipements de terrains deviennent de plus en plus complexes. Cela signifie que pour renverser la tendance, les entreprises ont la possibilité d’innover en termes de stratégie de formation en passant d’un modèle « physique » (centres de formations spécialisés qui mobilisent des opérateurs pendant plusieurs journées) à un modèle « virtuel » où le support de formation viendrait directement aux collaborateurs.
Ainsi, des premières initiatives de formation virtuelle se mettent aujourd’hui en place pour offrir une expérience inédite d’apprentissage. Typiquement pour les métiers du terrain, des simulateurs d’opérations de routine et des interventions d’urgences à haut risques sont développés pour simuler le travail dans les centrales (TRIHOM, l’organisme de formation rattaché au groupe AREVA, propose à ses opérateurs une formation aux gestes en milieu nucléaire pour les sensibiliser aux risques et acquérir des compétences sur des situations complexes.) ou même des installations offshore (Technip – Travail sur site offshore). Autre exemple notable : GRTgaz a adopté une application de réalité virtuelle via un casque immersif HTC Vive afin de former ses techniciens sur des tâches de maintenance sur les vannes d’installation gazières. Les techniciens apprennent les procédures de maintenance et réalisent les vrais gestes sur les machines sans risques, depuis leur salle de réunion avec un objectif concret d’obtenir une primo-habilitation.
Assistance sur le terrain : vers la dématérialisation de la documentation et l’expertise de proximité
La réalité augmentée peut également jouer un rôle crucial notamment sur le terrain en permettant de remplacer les documentations techniques et les guides d’opérations de maintenance volumineux par de la documentation dématérialisé et disponible directement sur smartphone/tablette ou lunette à réalité augmentée après avoir fait un « scan » d’équipement ou du procédé. Par exemple, General Electric Renewable Energy utilise aujourd’hui une application qui identifie via la caméra d’une tablette chaque équipement installé au sein d’une éolienne. L’opérateur peut donc identifier les procédures et les étapes d’installation en 3D pour chacun des composants des équipements. Les bénéfices de ce type d’application ont déjà été démontrés dans le secteur de l’aviation, où les techniciens de Boeing ou encore Dassault Aviation emploient la réalité augmentée pour les guider dans les étapes de montages d’un fuselage.
Un autre cas d’application consiste à utiliser la réalité augmentée pour faire de la télé-assistance sur le terrain. GRDF a notamment testé ce type d’applications pour accompagner ses opérateurs d’un expert à distance qui peut visualiser en temps réel l’opération de maintenance et guider l’opérateur dans son travail.
Experience inédite pour les clients & New way of working
Les applications de réalité virtuelle et augmentée sont aussi développées dans un but commercial comme un outil d’aide à la vente pour séduire les clients ou pour sensibiliser le public sur des enjeux importants de l’entreprise via un processus de gamification. A travers des serious games ou des visites immersives, les industriels ou les énergéticiens utilisent cette technologie pour faire découvrir virtuellement la réalité de leurs sites (visite d’usines, processus de fabrication…) afin de créer une proximité avec leurs clients et partenaires. Séché Environnement, spécialisé dans le traitement des déchets, propose de visualiser le processus de retraitement du biogaz à l’aide d’une application mise à disposition par EON Reality (entreprise experte de la réalité virtuelle et de réalité augmentée).
Les « virtual meetings rooms » font également leur apparition avec l’emploi de casque à réalité virtuelle pour animer des réunions à distance et permettre aux participants de manipuler des modèles 3D en temps réel.
Enfin, les services RH se modernisent en employant la réalité augmentée pour optimiser leur recrutement : Mise en situation, analyse de cas… De cette manière, les candidats peuvent démontrer leur capacité à respecter des procédures notamment s’ils doivent effectuer des opérations dangereuses et cruciales au cours de leurs missions.
Développer une culture du numérique pour déployer ces nouvelles technologies
Tous ces cas d’usages démontrent que la réalité virtuelle et la réalité augmentée entrent dans une phase tournante avec des prototypes industriels de plus en plus concrets.
La trajectoire d’adoption de la technologie s’apparente à celles des smartphones avec une étape forte de démocratisation mais la crainte constante d’une diminution des interactions entre les individus, déconnectés de la réalité.
Afin que les énergéticiens puissent tirer le maximum de ces technologies disruptives, il est alors nécessaire de développer avant tout une culture numérique. En effet, l’adoption de ces technologies dans le secteur de l’énergie modifiera notamment les conditions de travail et les usages qu’il faudra accompagner. Pour ce faire, le développement de « VR labs » ou encore de « Fablabs », ces « laboratoires de fabrication » pourront permettre de mettre à disposition des « inventeurs », une multitude de machines, et des nouvelles technologies dont les modalités d’usage sont étudiées en vue d’un déploiement plus large.
Le succès de leur transformation viendra ainsi de l’association réussie entre la culture métier et la culture numérique.
Article très intéressant merci !