[Interview] : Enjeux et leviers de réussite de la transition énergétique – Rencontre avec Jean-Baptiste Galland, Directeur de la Stratégie d’Enedis [1/2]

 

 

 

 

Enedis est le principal distributeur d’électricité sur le territoire français continental et a été créé en 2008 suite à la séparation des activités concurrentielles et réseau du Groupe EDF.

En chiffres, Enedis c’est aujourd’hui :

  • 36 millions de clients (résidentiels, tertiaires ou industriels) ;
  • 378, 2 TWh d’électricité acheminée en 2016 ;
  • 13, 8 milliards d’euros de chiffres d’affaires en 2016 ;
  • 38 507 salariés en 2016.

Entreprise clé du système électrique français, Enedis est au centre des profondes transformations induites par la transition énergétique, mouvement entamé depuis bientôt dix ans. Quelle est la vision d’Enedis sur la transition énergétique, sur les défis encore à relever en la matière ? Comment s’articule politique énergétique nationale et locale ? Enfin, comme la technologie est souvent indispensable au changement, quelles innovations technologiques vont accompagner la transition énergétique en France ?

Nous avons posé ces questions à Jean-Baptiste Galland, Directeur de la Stratégie d’Enedis. Voici la première partie de notre entretien.

Energystream (ES) : Aujourd’hui, une vision plus claire du futur mix énergétique national à moyen et long terme se dessine, notamment depuis la promulgation de la loi relative à la transition énergétique. Quels sont les défis encore à relever pour atteindre les objectifs prévus ?

Jean-Baptiste Galland (JBG) : Aujourd’hui, je pense que l’on peut dire que les différents acteurs du secteur ont compris que nous sommes face à une évolution profonde de la société et que les questions d’environnement ont pris une place importante dans l’esprit des Français et ce de manière irréversible. Cela a été particulièrement visible lors de la COP 21 de 2015 qui s’est tenue à Paris.

La transition énergétique est donc une réalité qui s’impose à l’ensemble des acteurs du système énergétique. De manière synthétique, on peut dire que la transition énergétique et écologique s’organise selon trois axes, à savoir :

  • Accroitre l’efficacité énergétique ;
  • Développer le recours aux énergies renouvelables ;
  • Décarboner le secteur du transport.

L’action d’Enedis vise à faciliter ce changement. Ce qui nous conduit à participer aux réflexions sur sa mise en œuvre en lien avec les différents acteurs et à ensuite accompagner les évolutions du système électrique.

Le premier pilier de la transition énergétique ou écologique, c’est la réduction de la consommation finale d’énergie et donc d’électricité. Cela passe principalement par l’amélioration de l’efficacité énergétique.

En utilisant le compteur Linky, les consommateurs vont pouvoir avoir accès de manière simple et précise à leur consommation d’électricité et à son évolution dans le temps. Chaque particulier pourra évaluer de manière tangible les gains résultant par exemple d’une décision d’isolation, comme la pose de doubles vitrages. Cela va entraîner des changements de comportements importants, car jusqu’à présent c’étaient surtout les incitations fiscales comme les réductions d’impôts qui amenaient les particuliers à effectuer ces travaux de rénovation énergétique.

S’agissant du second pilier de la transition énergétique, le développement des énergies renouvelables et donc leur intégration sur le réseau de distribution ou bien de transport, l’apport d’Enedis se révèle être davantage évident puisque 95% des énergies renouvelables sont raccordées sur le réseau de distribution.

Fin 2016, ce sont 20 GW de capacités renouvelables qui ont été raccordées au réseau de distribution. Il y a dix ans, ce chiffre était quasiment nul donc on peut dire que déjà beaucoup de chemin a été parcouru, mais que beaucoup reste à faire évidemment pour atteindre le doublement encore attendu. Et là, des enjeux systèmes moins évident que le raccordement mais au moins aussi importants apparaissent car la gestion du réseau doit s’adapter sans cesse au gré des fluctuations de production. Dans ce cas de figure, on dit que le réseau (comprenez sa gestion) est « actif ».

Enfin, nous avons chez Enedis la conviction profonde que la décarbonation du secteur du transport va entraîner une conversion importante de ce secteur à l’électricité.

Pour être efficace, le déploiement du véhicule électrique et plus largement le développement de l’ensemble des moyens de transports électriques, c’est-à-dire le train (fret et voyageur), le tramway, les bus électriques, les poids-lourds électriques devra se faire manière organisé. En effet, c’est tout un écosystème qui est concerné. Pour cela, le maître mot, c’est la coopération des acteurs de la chaîne de valeur de l’électromobilité. Aujourd’hui un dialogue s’est installé entre deux mondes, l’industrie automobile et l’industrie électrique, qui ne se connaissaient pas. Il nous faut maintenant approfondir, lever les obstacles un par un, si nous voulons que ces deux secteurs forts de l’industrie française construisent ensemble un avenir prometteur.

ES : Le développement du véhicule électrique représente-t-il un enjeu important en matière d’investissements pour le renforcement des réseaux électriques ?

JBG : Le principal défi à relever pour accompagner le développement des véhicules électriques est la réponse aux besoins de recharge, c’est-à-dire la gestion d’appels de puissance. En effet, les personnes vont utiliser leurs véhicules à peu près aux mêmes moments. Il ne faudrait pas que tout le monde mette en charge son véhicule au même moment. Pour y répondre, il nous faut rendre le système suffisamment « smart » pour que la recharge des véhicules soit organisée. Quand vous laisserez votre voiture au garage, il faudra qu’elle se recharge au cours de la nuit, au moment le plus opportun en termes de pointe sur le réseau mais aussi de prix pour l’utilisateur. D’ailleurs, de façon générale, il vous importera peu de savoir quand exactement votre véhicule va être rechargé, ce qui comptera c’est que la charge de votre véhicule soit suffisante soit au moment où vous le prendrez.

Vu d’Enedis, cela est tout à fait réalisable. Et en France nous avons un avantage, c’est que nous avons déjà déployé des solutions pour répondre à ce genre de problématiques réseau dans le passé. Il s’agit du déploiement des chauffe-eau heures creuses. Aujourd’hui, quand on se rend chez quelqu’un, on ne se demande pas s’il y a de l’eau chaude ou non, on sait qu’il y en a. C’est parce nous avons su organiser les choses au niveau du réseau avec la diffusion de la technologie des chauffe-eau à accumulation (dits heures creuses) qui se mettent en route au moment où les moyens de production d’électricité et le réseau sont les moins sollicités, et donc au moment où l’électricité est la moins chère. Demain une même philosophie pourra être mise en œuvre.

Là encore ces évolutions entraînent des changements de comportement importants. Par exemple, le passage à la station-service va à l’avenir complètement disparaître. En effet, on peut penser que l’intelligence embarquée intégrera les informations données par l’utilisateur sur ses habitudes d’utilisation du véhicule comme sur les trajets prévus et, en conséquence, que la recharge se fera de manière adaptée et transparente pour lui par rapport à son besoin.

A quelle vitesse tout cela pourrait-il arriver, nous ne le savons pas encore. Nos scénarios prévoient entre 3 et 9 millions de véhicules électriques en 2035. Les deux facteurs qui auront le plus d’impact sur la généralisation rapide ou non des véhicules électriques seront l’évolution du coût des batteries et la vitesse de développement et d’industrialisation du véhicule autonome.

ES : Au niveau national ou encore européen, quels sont selon vous les verrous à débloquer en termes réglementaire ou tarifaire pour permettre la transition énergétique ?

JBG : A mon sens une transition réussie doit proposer aux français trois améliorations.

Tout d’abord celle désignée par le terme anglais « affordability », terme qui parle bien mieux que l’équivalent français de compétitivité économique. C’est l’idée selon laquelle chacun doit plus facilement pouvoir subvenir à ses besoins énergétiques ce qui englobe donc également les enjeux de la précarité énergétique. Les gains en efficacité énergétique devront compenser les coûts de la transition. Pour Enedis, cela signifie que nous surveillons notre rapport qualité-prix.

La deuxième amélioration sera le progrès dans la lutte contre le changement climatique. Réduire les émissions de CO2 des secteurs énergie et transport le permettra.

Enfin, les mesures de politiques énergétiques doivent sécuriser l’approvisionnement en énergie, c’est toute la question de l’indépendance énergétique et du rôle des énergies renouvelables.

Tout cela ne pourra se faire sans un qu’ensemble cohérent de prix soit mis en place. Des prix qui indiquent la plus ou moins grande sollicitation des infrastructures de réseau mais aussi le coût des externalités environnementales ou des garanties d’approvisionnement.

Retrouvez prochainement la seconde partie de cette interview sur Energystream.

Les 5 points à retenir :

  • La transition énergétique actuelle est basée sur trois piliers, à savoir : la diminution de la consommation d’énergie, le développement des capacités renouvelables et la décarbonisation du secteur des transports.
  • Linky soutient la structuration de ces deux premiers piliers en offrant aux particuliers une meilleure compréhension, appropriation et gestion de leur consommation.
  • Afin de réussir l’électrification du secteur du transport, il est nécessaire que l’ensemble des acteurs des secteurs automobile et électrique coopèrent.
  • Enedis possède une réelle expertise sur la gestion des appels de puissance et, à court terme, l’énergéticien va mettre cette expertise à profit dans le cadre de l’électrification des véhicules, pilier de la transformation énergétique.
  • Les mesures réglementaires, autant au niveau national qu’européen, doivent assurer la cohérence entre l’ « affordability », les questions environnementales et la sécurisation de l’approvisionnement énergétique.

 

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