La politique énergétique française vue par l’Assemblée Nationale – Entretien avec Bruno Millienne, Député de la majorité

Président de l’Agence Régionale pour la Biodiversité Ile-deFrance, député MoDem de la 9ème circonscription des Yvelines, membre de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire à l’Assemblée Nationale, membre de la Commission Ruralité, Agriculture du Conseil Régional et siégeant au directoire de l’Observatoire Régional des Déchets (ORDIF), Bruno Millienne nous a reçu afin d’échanger sur la transition énergétique, l’importance des territoires et de la société civile, ainsi que de la coopération Européenne en matière d’énergie.

 

Energystream (ES) : On a coutume de dire que la Transition Energétique, c’est d’une part la décentralisation avec une montée en puissance des acteurs locaux, d’autre part la production durable avec les énergies renouvelables et leurs différentes filières, ainsi que la transition numérique qui permet de mieux gérer les énergies renouvelables et d’inciter à réduire la consommation énergétique, sans oublier la dimension internationale, avec pour la France un contexte national impacté par le cadre législatif européen. Le premier sujet que nous aimerions aborder est votre vision du mix énergétique à venir. Nous assistons en ce moment aux discussions sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et la juste place du nucléaire : comment voyez-vous cette évolution ?

Bruno Millienne (BM) : Je privilégie une vision pragmatique et réaliste du mix énergétique. Le premier constat sur lequel je m’accorde parfaitement avec Nicolas Hulot, que je remercie d’avoir eu le courage d’annoncer, c’est qu’effectivement la sortie du nucléaire ne peut pas se faire tout de suite et nécessite une montée en compétences progressive sur les énergies renouvelables.

D’autre part, bien que plus vertueux en termes d’écologie que d’autres pays, nous sommes en retard sur la production d’énergies renouvelables. Nous faisons face à de nombreuses questions, comme l’usage des centaines de milliers d’hectares que sont les toits des Zones d’Aménagement Concerté (ZAC) sur lesquels nous pourrions intégrer des installations photovoltaïques, ou bien le problème du stockage de l’énergie qu’il nous faut résoudre car c’est un point central des énergies renouvelables.

ES : Il semble y avoir un certain nombre de freins, au sein de la population, au déploiement des énergies renouvelables. L’engagement citoyen dans les énergies renouvelables est-il une bonne solution pour favoriser l’acceptation et le développement local de ces énergies ?

BM : Effectivement, nous sommes confrontés à des oppositions émanant non pas des décideurs, ni des collectivités ou des élus, mais d’une partie de la population. Par exemple dans les territoires de la Marne et de la Haute Marne, certaines personnes n’acceptent pas les projets de champs d’éoliennes, en raison de la modification du paysage, et, bien qu’intermittente, de la pollution sonore. Nous constatons également des réticences dans l’implantation des usines de méthanisation. Les gens trouvent cela enthousiasmant, à condition que cela n’arrive pas chez eux : c’est le syndrome « Not In My Backyard ». Nous avons des difficultés d’acceptation de l’éolien marin puisque jusqu’à maintenant pratiquement toutes éoliennes marines prennent leur base au fond de la mer, au sol, ce qui est désastreux pour la faune et la flore ainsi que les flux marins. Il est impératif que nous insistions sur les systèmes simples, efficaces, et les moins perturbants possibles pour la population. Par exemple un projet d’éolien flottant comme FLOATGEN est selon moi l’avenir de l’éolien marin : il permet de rester en surface tout en résistant à des vagues de plus de six mètres.

Pour ce qui est de la participation citoyenne, la question du financement est en effet à ne pas négliger. Les finances de l’Etat étant ce qu’elles sont, plus il y aura de financement participatif ou de mécénat, plus cela aidera au développement des énergies renouvelables. On assiste d’ailleurs à une vague importante de développement de l’économie collaborative dans tous les domaines : les citoyens souhaitent de plus en plus vers s’approprier des activités qui les concernent localement (agriculture, énergie, culture…). Je pense qu’il ne faut freiner aucune piste car nous devons avancer sur tous les fronts afin de combler notre retard. Dès l’instant où cela est bien organisé et que le consommateur s’y retrouve, il n’y a aucune raison que cela ne fonctionne pas.

ES : Il est beaucoup question, dans les discussions sur le mix énergétique, de la place de l’électricité nucléaire et de l’électricité renouvelable notamment d’origine solaire et éolienne. On parle cependant très peu des gaz verts (biométhane, hydrogène…) : quelle est leur place dans la transition énergétique ?

BM : Nous nous sommes engagés avec la loi Hydrocarbures à ce qu’il n’y ait plus d’exploitation ni d’exploration d’hydrocarbures d’ici 2040, posant par-là les premiers marqueurs d’irréversibilité. Le problème de l’hydrogène aujourd’hui est que la majeure partie est produite à partir de fossiles de gaz. Il est donc nécessaire d’accentuer significativement la production par électrolyse, qui représente aujourd’hui 5% de la production d’hydrogène, pour en faire un gaz vraiment vert.

Le renforcement du recyclage des déchets et notamment l’obligation de recyclage des biodéchets en 2025 apporte également des opportunités nouvelles pour l’économie circulaire et la production de gaz vert.

ES : Y a-t-il une maille géographique d’intervention spécifique en fonction des énergies et des investissements à faire ?

BM : Il y a en effet un potentiel différent par territoire et il nous faut rentrer dans une logique d’implantation des énergies renouvelables en fonction des spécificités de chaque. Autant les unités de production photovoltaïque, éolienne ou de méthanisation ont du sens à une maille communale, autant d’autres sujets comme le recyclage des déchets et leur valorisation appelle à une coopération territoriale plus large et à confier ce sujet à des acteurs de taille suffisante afin d’assurer une rentabilité certaine grâce à un prix bas de la tonne de déchets recyclés.

ES : Cela pose la question de l’articulation de la planification énergétique entre les différents étages de responsabilité : entre les grandes lignes directrices posées par l’Etat à long terme dans le cadre de la PPE, les schémas directeurs régionaux (SRADET) et les plans climat air énergie des territoires (PCAET), comment articuler efficacement toutes ces dynamiques ?

BM : Il est important que tout le monde se parle. Prenons l’exemple des contrats de transition énergétique. Jusqu’à présent, dans le cadre des politiques de soutien aux territoires, l’administration centrale proposait un projet, une sorte de colonne vertébrale applicable à toutes les régions. Dans le cadre des contrats de transition énergétique, il a été décidé de descendre sur le terrain, sur les territoires concernés par ces contrats, de rencontrer les élus et les acteurs locaux, que ce soit les entreprises ou les associations citoyennes, environnementales ou encore les syndicats, afin de remonter des objectifs approuvés pour tous avec pour mission de récupérer l’emploi perdu sur les territoires. 15 à 20 projets seront lancés en 2018. La réflexion a été globale pour que cela ne soit pas seulement un changement d’énergie pour une autre, mais afin d’appréhender les impacts sur l’ensemble du territoire et créer de nouvelles économies vertes. C’est d’ailleurs ce dernier point, le fléchage de l’économie verte vers la ruralité, qui va sauver ces dernières.

ES : Un autre grand sujet énergétique est la mobilité verte, et plus spécifiquement la consommation d’énergie liée aux transports. Quels seront, selon vous, les grands enjeux de ce sujet dans les prochaines années ?

BM : Le véhicule électrique et le véhicule autonome sont deux enjeux majeurs, sans perdre de vue le développement des autres sources d’énergie verte pour les véhicules. Le véhicule autonome permettra notamment de désenclaver les territoires ruraux et les vallées défavorisées en termes de mobilité. Par exemple en repensant les services afin d’installer des flottes de véhicules de 12-15 places qui permettront de concentrer le transport traditionnel (avec chauffeur et à l’électrique) sur les heures de pointe, et d’installer des véhicules autonomes en dehors de ces plages horaires afin de proposer du transport à la demande. Il existe déjà dans les Yvelines des expériences de transport à la demande que nous devons transformer en transport autonome. Cela pourrait prendre très vite. Ces initiatives me semblent par ailleurs applicables sur la quasi-totalité des territoires.

ES : L’efficacité énergétique est un sujet prépondérant dans le discours énergétique actuel.Quelles seront les prochaines avancées législatives à ce propos ?

BM : Nous avons un retard considérable sur la rénovation énergétique des bâtiments car cela coûte cher. Dans ce domaine, les filières sont également à différents niveaux en termes d’organisation. La filière bois n’est pas suffisamment organisée, et d’autres peinent à l’être, notamment les filières de matériaux biosources tels que le chanvre et le lin, entre autres. La structuration des filières va transformer certains secteurs directement concernés par l’efficacité énergétique tel que le BTP, mais aussi d’autres filières comme l’agriculture.

ES : À une autre échelle, l’Europe impacte significativement les politiques et l’économie des Etats Membres. Quelle Europe avons-nous en termes de système énergétique ?

BM : Dans le domaine énergétique il faut s’allier avec d’autres, à l’image d’Airbus dans l’aéronautique, ou d’autres consortiums européens dont le succès commercial est établi. Si nous voulons sortir de l’énergie carbone, il faut mettre en commun nos compétences et construire un modus vivendi qui permette de créer un ou plusieurs géants de l’énergie, ou en tout cas une production énergétique qui fasse que le coût de l’énergie soit à peu près identique partout dans l’Union Européenne. Si l’on part de l’idée de plus partager, cela permettrait de faire du photovoltaïque dans les pays les plus aptes à cela, de l’éolien dans d’autres, et d’autres formes d’énergies renouvelables dans les zones les plus favorables à chaque énergie. Il faut donc sortir de la vision autocentrée de nationalité. Bien entendu, cela pose la question de la perte de la souveraineté nationale pour le bien du citoyen. Cependant, si cela est géré par un Etat supranational tel que l’Union Européenne, et partie prenante en termes d’actionnariat, alors cela aurait du sens.

ES : Pour conclure, vous avez vécu longtemps en Asie et vous êtes président du groupe d’amitié France-Laos ainsi que vice-président des groupes d’amitié France-Thaïlande et France-Cambodge à l’Assemblée Nationale. Où en sont ces pays en matière d’énergie et d’environnement ? Plus largement, quelles bonnes pratiques pouvons-nous prendre à l’international ?

BM : La Chine progresse très vite sur ces sujets. En effet, parce qu’elle est allée trop loin dans la pollution, la Chine va excessivement vite dans la dépollution. L’innovation y est forte et avance à toute vitesse, comme le montrent les grands projets actuels comme récemment la tour purificatrice d’air de 100 mètres de haut à Xi’an, qui purifie 15% de l’air de la ville. La dynamique initiée en Chine va impacter les autres pays d’Asie et les emmener vers quelque chose de plus responsable au niveau énergétique et environnemental, notamment en Asie du Sud Est. Quant à la Thaïlande, au Cambodge et au Laos, ils ne sont pas exactement au même point. La Thaïlande a connu un développement quelque peu anarchique aux niveaux économique et touristique. Le Cambodge a été beaucoup plus progressif dans son développement avec notamment plus d’écotourisme. Quant au Laos aujourd’hui en pleine ouverture, l’essentiel est effectué en écotourisme et on y trouve une conscience très forte de la conservation de l’environnement, avec une électricité quasiment uniquement produite par les barrages et une démarche environnementale vertueuse.

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