« Les industries rejettent entre 20% et 40% de l’énergie qu’elles consomment sous forme de chaleur ». C’est ce constat qui est à l’origine du projet EcoStock, porté par Antoine Meffre, anciennement docteur de l’université Perpignan Via Domitia (UPVD) au sein du du laboratoire de recherche CNRS Promes (Procédés, matériaux et énergie solaire) et PDG de la société EcoTech Ceram.
Créée en 2014, Eco-Tech Ceram a participé à de nombreux concours (lauréate du concours mondial de l’innovation en 2014, lauréate du prix EDF pulse en 2015 et ArcelorMittal en 2016…).
En août 2017, Akuo Energy, le premier producteur d’énergie renouvelable indépendant, s’est engagé à hauteur de 100 000 euros en faveur d’Eco-Tech Ceram. Cette même année, la société a également mis en place une campagne de crowdfunding qui lui a permis de récolter 375 000 €.
Les consultants du blog EnergyStream ont ainsi eu le plaisir d’interviewer le fondateur d’Eco-Tech Ceram, M. Antoine Meffre sur l’historique du projet, le fonctionnement de la pile de chaleur et ses perspectives de développement.
La genèse du projet EcoStock
Avant de fonder Eco-Tech Ceram, Antoine Meffre a fait un doctorat sur la valorisation des déchets industriels inorganiques. L’objet de sa thèse était de concevoir un matériau éco-efficace (rentable et durable) pour le stockage de chaleur des centrales solaires thermodynamiques à concentration. A l’époque, la solution conventionnelle pour stocker durablement la chaleur était le stockage par sels fondus : pendant les heures d’ensoleillement, les miroirs concentrent le rayonnement solaire au point focal. La chaleur produite est captée par un fluide caloporteur puis stockée dans un réservoir de sels fondus. Le soir, lors du pic de consommation, cette chaleur est réutilisée dans un échangeur pour produire de la vapeur afin d’alimenter une turbine qui produit de l’électricité.
« Les sels fondus présentent plusieurs inconvénients – techniques, économiques et environnementaux -qui constituent un frein au déploiement de centrales solaires », explique M. Meffre. Tout d’abord, ce sont des matériaux corrosifs utilisés à l’état liquide. En dessous de 250°C, les sels se solidifient et bouchent les canalisations. Ils doivent donc être constamment maintenus à une température supérieure à la température de fusion, grâce à un système coûteux. Par ailleurs, ces sels (matière première non renouvelable) ne sont pas disponibles en quantité industrielle et l’industrie agroalimentaire a la main mise sur la quasi-totalité de la production ce qui provoque un conflit d’usage et une hausse des prix.
L’enjeu pour les équipe du CNRS était donc de trouver un matériau éco-efficace , disponible en grande quantité et qui permettrait de stocker la chaleur entre 200 et 1000° C. Après plusieurs années de recherches et de test sur divers matériaux, Antoine Meffre et les chercheurs avec lesquels il travaille établissent que la céramique réfractaire obtenue à partir des coproduits et déchets de l’industrie lourde (sidérurgie, métallurgie…) répond à leur cahier des charges : elle dispose d’excellentes capacités calorifiques, est peu chère à récupérer et est disponible en quantités industrielles partout sur la planète.
Ils conçoivent alors une solution de stockage modulable et transportable : l’EcoStock.
Principe de fonctionnement de l’EcoStock
L’EcoStock est une pile rechargeable en chaleur qui peut supporter des températures allant jusqu’à 1000°C. Concrètement, il s’agit d’un container thermiquement isolé, dans lequel sont disposées des briques en céramique. La composition de ces briques, dont la fabrication est sous-traitée par Eco-Tech Ceram, est d’ailleurs protégée par un brevet.
L’air chaud dégagé par les industries se diffuse dans les briques en céramique (cycle de charge). Elle peut ainsi être stockée pendant plusieurs jours avec toutefois 5% de pertes thermiques par jour. Sa capacité de stockage varie entre 1 et 3 MWh. La chaleur est ensuite restituée (cycle de décharge) :
- soit directement sous forme de chaleur (chauffage des bâtiments, préchauffage d’un four…)
- soit sous forme de froid industriel
- soit sous forme d’électricité
Par ailleurs, il est possible de mettre des « piles » en parallèle afin d’optimiser les cycles de charge / décharge : quand l’un des EcoStocks se charge, l’autre se décharge. Cela est particulièrement utile pour les industries qui produisent de la chaleur en continue.
https://www.youtube.com/watch?v=IyejmDuBPM0
Quels sont les avantages de la pile EcoStock ?
Eco-Tech Ceram met en avant trois intérêts principaux quant à l’utilisation de sa pile de chaleur :
- Un avantage économique : pour un investissement faible et peu risqué (il n’y a pas besoin de modifier particulièrement ses infrastructures existantes), il est possible d’obtenir de l’énergie 80% moins chère que le gaz naturel par exemple.
- Un avantage technique, puisque la chaleur stockée peut etre valorisée à tout moment à température et puissance constantes. En effet, l’Eco-Stock est un système thermocline qui combine une géométrie optimisée, des capteurs (température, débit) et un système de management de l’energie pour produire une chaleur sur mesure.
- Un avantage environnemental : en plus des économies d’énergie réalisées, l’EcoStock utilise des matériaux issus de l’Economie Circulaire (les fameuses céramiques).
Quels sont les marchés visés ?
Encore en phase d’industrialisation jusqu’à 2019, l’EcoStock se destine à quatre typologies de clients :
- les industries lourdes du type céramique, verrerie, aciérie, fonderie, briqueterie, cimenterie… L’EcoStock permet alors de réduire les émissions de CO2 tout en faisant des économies sur les factures énergétiques, en récupérant la chaleur fatale de ces industries (fumées).
- les distributeurs de gaz naturel tels Cofely ou Dalkia, dont le but est de vendre de la chaleur au prix le plus bas possible.
- les tiers financeurs de l’Energie, qui souhaitent investir dans des systèmes robustes et rentables.
- les producteurs d’énergie renouvelable, en particulier les centrales solaires thermodynamiques. Plus performant que la technique de stockage par circulation de sels fondus, l’Eco-Stock permettra aux producteurs de pallier le décalage entre les pics de production et de consommation. M. Meffre compte également sur le partenariat avec Akuo Energy pour développer ce marché.
A ce stade, les premiers clients d’Eco-Tech Ceram appartiennent essentiellement aux secteurs de la céramique, de la métallurgie et dans la distribution de chaleur.
La place de l’EcoStock dans le marché du stockage de l’énergie
D’après Antoine Meffre, « l’EcoStock a toute sa place parmi les autres techniques de stockage d’énergie stationnaire dites conventionnelles ». Celles-ci se répartissent schématiquement selon les gammes de puissance suivantes :
- Jusqu’à 1MW, ce sont les batteries lithium-ion qui dominent largement le marché. Mais jusqu’à quand ? Certains experts prédisent une crise du lithium du fait de l’augmentation massive de la demande mondiale.
- Entre 1 et 10 MW, les batteries au lithium dominent encore le marché mais les piles de chaleur comme l’Eco-Stock ont leur carte à jouer du fait la disponitlité, de l’impact environnemental, de la robustesse et de la rentabilité (faibles CAPEX et d’OPEX).
- Entre 10 MW et 100 MW: le stockage d’énergie par air comprimé prendra progressivement le relais.
- Au-delà de 100 MW de puissance, ce sont les Stations de Transfert d’Energie par Pompage (STEP) qui sont les seules capables de délivrer de telles puissances.
Eco-Tech Ceram se positionne comme un acteur « citoyen » de la transition énergétique, notamment du fait de son financement en partie réalisé par crowfunding. Grâce à ses propriétés thermomécaniques, l’EcoStock ouvre de nombreuses perspectives en matière de stockage énergétique. Sa mobilité est aussi un atout majeur, puisqu’il suffit d’un camion pour la déplacer.
L’année 2018 marque ainsi un tournant majeur pour la société qui rentre dans une phase d’industrialisation. Elle devra ainsi achever de convaincre ses investisseurs et accélérer la commercialisation.