Avec près de 50% de consommateurs français ignorant encore le libre choix de leur fournisseur d’énergie, ces derniers envisagent des usages clés pour aller vers un marché plus concurrentiel au sein d’un secteur de l’énergie en mutation.
Nous étions présents à l’édition 2018 du Forum de la Transition Énergétique (FTE). Voici, en résumé, les échanges de la table ronde sur le sujet de l’ouverture à la concurrence des marchés de l’électricité et du gaz réunissant :
Jean-François Carenco, Président de la CRE,
Fabien Choné, Directeur Général Délégué Stratégie et Energie de Direct Energie,
Daniel Fava, Directeur Général Eni Gas & Power France,
Hervé-Matthieu Ricour, Directeur Général France BtoC de Engie
En 2018, quel bilan sur l’ouverture du marché ?
Fabien Choné se dit satisfait de l’évolution du marché d’électricité. Aujourd’hui ce sont 100 000 clients en moyenne qui quittent les Tarifs Réglementés de Ventes d’électricté (TRV) par mois. Cependant tous les intervenants soulignent que les consommateurs semblent rester sensibles à la stabilité financière des TRV. Fait d’autant plus étonnant lorsque l’on sait que la plupart des 23 acteurs dits « alternatifs », proposent des offres à prix garantis sur ces mêmes durées. En effet les TRV concentrent encore un taux d’adhérent évalué à hauteur de 80% sur le marché aujourd’hui, bien que l’ouverture à la concurrence soit effective depuis 10 ans. Fabien Choné qualifie même les TRV comme « une obstruction à l’ouverture du marché », des propos soutenus par l’avocat général de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) : « l’existence de tarifs réglementés constitue une entrave à la réalisation d’un marché concurrentiel ».
Face à cette atonie, l’appel à l’innovation du marché de l’électricité semble indispensable. Daniel Fava reconnait que le marché est « moins glamour » que d’autres, comme la mobilité par exemple : plus visible, turbulente et palpable du grand public. L’innovation dans l’énergie nécessite ainsi de créer du dynamisme en intégrant des périodes de transition plus courtes. Pour y remédier, Fabien Choné songe à passer par le vecteur pédagogique afin de mieux informer le consommateur sur l’évolution du marché.
Pour le gaz, « il y a un acteur majeur et historique, mais il n’y a plus d’acteur dominant. C’est un marché très ouvert et très équilibré » selon Jean-François Carenco dans un entretien antérieur avec Les Echos. Avec encore 50% de souscripteurs aux tarifs réglementés aujourd’hui, la fin de ces derniers en juillet 2023 devrait s’accompagner d’autant d’opportunités de croissance et d’innovation.
Quels sont les leviers pour aller vers un marché plus concurrentiel ?
Outre la pédagogie pronée par Fabien Choné, d’autres leviers ont émergé des débats.
La mission de la CRE vise à s’assurer du bon fonctionnement du marché de l’énergie en lien avec l’Union Européenne, autant à l’échelle individuelle qu’à l’échelle industrielle. En effet pour Jean-François Carenco la révolution est en marche, et pour que cela fonctionne il est nécessaire de prendre en compte le bouleversement du marché de l’énergie avec la montée en puissance des énergies renouvelables et le développement de nouveaux usages à l’échelle du consommateur.
Bien que « les usages [aient] du mal à se transformer » d’après Daniel Fava, les fournisseurs se préparent aux nouvelles technologies qui ont et vont apparaître dans 10 ans chez les consommateurs. Pour séduire le consommateur, trois principaux leviers ont été évoqués :
- Jean-François Carenco rappelle que la CRE est favorable à l’autoconsommation « mais au bénéfice de tous ». Pour cela, « il faut éviter la course aux subventions et à l’exonération ». La CRE doit donc finaliser les mesures fiscales en prenant le temps nécessaire. « Dans un mois, la CRE aura pris une décision » attise le Président. Les fournisseurs d’énergie doivent s’adapter au développement de ce nouvel usage. Pour le moment l’autoconsommation est un marché de niche, mais est doté d’un fort potentiel d’évolution avec un nombre d’auto-consommateurs multiplié par 3 en 2017, et des conditions réglementaire désormais clarifiées.
- Le déploiement des compteurs Linky et Gazpar quant à eux font l’unanimité. La CRE estime que les boitiers communicants aideront les nouveaux arrivants sur le marché concurrentiel à innover et développer de tout nouveaux services énergétiques et offres tarifaires. Les fournisseurs adoptent la même philosophie malgré une inquiétude sur la complexité liée à la gestion des données comme le souligne Hervé-Matthieu Ricour. En effet, 35 millions de compteurs Linky seront déployés d’ici 2021, on imagine donc bien la quantité colossale de données à traiter pour les gestionnaires de réseaux.
- Une personnalisation plus poussée des offres est donc indispensable pour tirer son épingle du jeu dans ce marché concurrentiel. D’après Daniel Fava : « on arrivera à intéresser le consommateur quand on répondra à ses attentes ». Les fournisseurs d’énergie peuvent s’appuyer sur 5 critères : le prix de vente, les modes d’évolution des prix, la durée d’engagement, les conditions de résiliation et les aspects environnementaux sur la manière de produire.
Qu’en est-il des consommateurs ?
Le consommateur est ainsi principalement intéressé par les tarifs réglementés car ils permettent une stabilité financière sur 6 mois à 1 an. Néanmoins le prix de vente de l’énergie reste le premier critère de sélection pour un consommateur. La facture du consommateur a et va augmenter selon plusieurs composantes, qui sont actuellement :
- De 36% pour les taxes principalement incluses dans la Contribution au Service Public d’Electricité (CSPE)
- De 29% pour l’acheminement et l’entretien du réseau faisant partie du Tarif d’Utilisation du Réseau Public d’Electricité (TURPE)
- De 35% pour la fourniture étant fixé par les fournisseurs
En termes d’acheminement de l’électricité, 95% du marché est entre les mains d’Enedis (ex ERDF), les 5% restants sont approvisionnés par des Entreprises Locales de Distribution (ELD)* telles que GEG (Gaz Electricité de Grenoble). Commercialiser des offres sur le marché des ELD est compliqué de nos jours en termes de coûts pour des nouveaux fournisseurs « alternatifs ». Pour Fabien Choné, le développement du marché reste dépendant de la situation en aval des gestionnaires du réseaux. Une ouverture à la concurrence de cette partie amont de la chaîne de valeur pourrait créer des opportunités aux nouveaux fournisseurs d’électricité.
On remarque bien, qu’en matière de prix, les fournisseurs « alternatifs » peuvent être tout autant accessibles. L’ouverture timide du marché de l’électricité s’explique ainsi principalement par le manque de visibilité auprès des consommateurs. Qu’en sera-t-il au delà de 2023 lorsque les prix régulés auront disparus ?
Retrouvez nos articles publiés à l’issue de l’édition 2018 du FTE Les Echos :
- [FTE] La troisième révolution énergétique, quel avenir en France ?
- PPE 2018 : quels scenarii d’ici 2028 ?
- Territoires & citoyens : acteurs-clés de la transition énergétique ? (à paraître)