Depuis quelques semaines, le zoo de Thoiry méthanise ses déchets ainsi que des intrants agricoles des exploitations environnantes pour se chauffer intégralement au biométhane. Le 31 mai dernier, Sébastien Lecornu inaugurait la centrale de biométhane de Châteaulin, en Bretagne, premier site de production de biométhane raccordé au réseau de GRTgaz de la région. A Sormiou, près de Marseille, ce sont le groupe Suez via sa filiale Seramm et la Métropole qui lançaient en mars la transformation de l’unité de traitement des boues pour en faire, d’ici 2019, la plus grosse usine de production de biométhane de France. Ces quelques exemples illustrent la diversité des porteurs de projet de la filière, dont les principaux acteurs se sont donné rendez-vous depuis hier au Parc des Expositions de Strasbourg, où s’est ouvert l’Expobiogaz. Deux jours durant, investisseurs, porteurs de projets et citoyens auront l’occasion d’échanger et de découvrir les ambitions et les innovations des acteurs du secteur.
Le biométhane : gaz naturel version renouvelable
Le biométhane est un biogaz épuré pour atteindre la qualité du gaz naturel et peut ainsi, par exemple, être injecté sur le réseau de gaz existant. On le dit bio car il est obtenu grâce à la méthanisation qui est un procédé permettant d’accélérer la dégradation de déchets pour produire du méthane . Aujourd’hui il existe trois technologies de production de gaz verts. Selon l’origine des déchets on parle de 1ère génération (méthanisation de déchets fermentescibles : agroalimentaires, agricoles, ordures ménagères…), 2ème génération (gazéification de déchets biomasse ou CSR[1]), 3ème génération (transformation directe par valorisation de micro-algues). Seule la première génération produit actuellement du gaz renouvelable en France. Selon le scénario volontariste de l’ADEME, la 2ème génération devrait atteindre une production d’environ 15 TWh/an d’ici 2030, la 3ème génération ne devant vraiment se développer qu’entre 2030 et 2050.
La chaîne de production du biométhane
Crédits: Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire
En France les planètes s’alignent et la filière accélère
Alors qu’ils étaient encore très marginaux il y a 5 ans, les projets de méthanisation, qu’ils soient industriels ou « à la ferme » éclosent sur l’ensemble du territoire. Fin décembre 2017, on comptait plus de 500 installations productrices de biométhane en France, dont 10% injectaient du gaz dans les réseaux et 90% alimentaient la production d’électricité.
Promue par les industriels, les gestionnaires de réseau de gaz, la filière agricole et bénéficiant d’un portage politique favorable, la production française de biométhane a le vent en poupe. Ainsi, fin mars 2018, on comptait en France :
- 791 GWh/an de capacité totale installée soit 14% de plus en 1 trimestre
- 403 projets en file d’attente, pour une puissance équivalente de 8,75 TWh/an
- 49 installations injectant du biométhane dans les réseaux de gaz naturel
Si cette croissance impressionne, c’est que les externalités positives de la production de biométhane sont nombreuses. Celle-ci permet entre autres :
- D’ancrer le développement des territoires dans une logique d’économie circulaire
- De créer de nouvelles sources de revenus pour les agriculteurs, dans un contexte économique difficile : selon une récente étude de l’ADEME, un agriculteur-énergéticien pourrait augmenter son revenu annuel de 40%
- De créer de nombreux emplois non délocalisables : dans la filière, leur nombre a été multiplié par 3 en 10 ans selon l’ADEME
- De contribuer à atteindre les objectifs liés à la transition énergétique fixés par le gouvernement
Sur ce dernier point, au regard du nombre de projets en fil d’attente, l’objectif de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie pour 2023 (8TWh/an de biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel) sera atteint. Les acteurs de la filière visent d’ailleurs une cible de 30% de biométhane dans les réseaux en 2030 et non 10% comme établis dans la loi pour la transition énergétique et la croissance verte (LTECV). Une récente étude de l’ADEME prouve d’ailleurs que la quantité de déchets en France est suffisante pour atteindre 100% de biométhane dans les réseaux d’ici 2050.
Un tel scénario semble aujourd’hui réaliste, sous condition d’évolutions physiques et technologiques sur les réseaux. Sur le réseau de transport, les technologies de rebours (cf schéma ci-dessous) doivent gagner en maturité afin que l’injection ne soit pas limitée par la consommation saisonnière (plus faible en été). Son gestionnaire, GRTgaz, doit également pouvoir planifier les évolutions physiques des infrastructures engendrées par les demandes de raccordement de gros producteurs, potentiellement éloignés du réseau, et les investissements qui en découlent. Ainsi, dans son plan décennal de développement du réseau 2017 – 2026, le transporteur annonce entre autres le lancement d’études à cet effet. Sur le réseau de distribution, le maillage doit se développer afin de faciliter et d’optimiser le raccordement.
Le maillage et le rebours: de quoi parle-t-on ?
Crédits: GRTgaz – Panorama du gaz renouvelable 2017
En complément des unités de production « à la ferme » qui représentent – en nombre – la majorité du parc de production, des unités de taille plus importante (plus de 30 GWh/an de capacité d’injection) sont progressivement raccordées. Depuis le 1er janvier 2018, quatre de ces unités ont été raccordées au réseau et représentent, avec une 5ème unité déjà raccordée, 28% de la capacité des 49 unités opérationnelles. Celles-ci contribueront à abaisser les coûts de production du biométhane pour le rendre ainsi compétitif face au gaz naturel. Ce dernier verra d’ailleurs son coût croître avec l’augmentation de la taxe carbone prévue dans la loi. Cependant, même si l’on peut s’attendre à voir le nombre de projets de ce type croître fortement, la production de biométhane n’a pas vocation a se concentrer au sein de quelques gros sites industriels. Elle est et restera à la portée des exploitants agricoles de toutes tailles, permettant ainsi de contribuer à la localisation progressive de nos systèmes énergétiques.
Pour créer les conditions nécessaires au développement des projets, un groupe de travail sur la méthanisation réunissant les acteurs de la filière a été lancé le 1er février dernier par Sébastien LECORNU . Son travail a débouché sur 15 propositions portant sur la simplification de la réglementation et des démarches administratives, la professionnalisation et la structuration de la filière, et le financement. Presque toutes ont été retenues par l’exécutif. Parmis les mesures phares préconisées, la loi a notamment entériné les suivantes :
- Réduction du délai d’instruction de 1 an à 6 mois pour l’obtention du statut d’ICPE (Installations Classées pour la Protection de l’Environnement – statut obligatoire pour devenir producteur)
- Création d’un guichet unique par préfecture pour la réception des différents dossiers réglementaires
- Création d’un fonds de prêts de 100M€ chez Bpifrance
- Accompagnement individualisé des projets biogaz par une équipe dédiée de l’ADEME
Outre les aspects techniques et financiers, les concertations collectives et consultations citoyennes qui accompagnent le lancement des projets de méthanisation revêtent une importance non-négligeable. Elles permettent de lever les potentielles oppositions citoyennes aux projets, parfois très fortes, souvent liées à une inquiétudes vis-à-vis des odeurs que pourrait produire une centrale de production. Ces appréhensions ralentissent le projet et découlent la plupart du temps d’un défaut d’information et de communication en amont, car une fois la production lancée,
Le volume injecté en France aujourd’hui reste faible en comparaison avec d’autres pays européens comme l’Allemagne
En partie grâce au développement de nouvelles technologies liées à la méthanisation et à un phénomène d’apprentissage des techniques et des métiers de la filière, le ministère de l’écologie anticipe une importante réduction des coûts de production. En complément, de nouvelles mesures administratives facilitent le montage de projets, et les mécanismes tarifaires encouragent peu à peu l’utilisation de gaz vert, en tant que carburant par exemple. Le portefeuille de projets Français devrait ainsi gonfler significativement dans les années à venir et permettre de combler l’écart avec les voisins européens. En Allemagne par exemple, 203 sites injectaient à fin 2017, contre 44 en France. Pour la filière, l’enjeu repose en grande partie sur sa structuration, de manière à optimiser et planifier son développement. Ceci devra résulter d’une concertation entre les gestionnaires de réseaux, les porteurs de projets, les fournisseurs d’intrants, les financeurs et les citoyens.
BIBLIOGRAPHIE
http://www.grtgaz.com/fileadmin/plaquettes/fr/2017/Plan_decennal_2017-2026.pdf
http://www.grtgaz.com/fileadmin/plaquettes/fr/2018/Panorama-du-gaz-renouvelable-2017.pdf
http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/publicationweb/100
[1] Combustible Solide de Récupération (définition ADEME)