Parmi les ambitions fortes du quinquennat Macron figurent la sobriété et la rénovation énergétique des bâtiments. Pourtant, pour beaucoup d’acteurs, la rénovation fait figure de grande oubliée de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) présentée fin novembre 2018 et publiée en intégralité le 25 janvier 2019. 300 000 rénovations performantes sont réalisées en France chaque année, très loin des 500 000 promises lors du quinquennat Hollande. A la croisée des préoccupations environnementales et sociales, le sujet est pourtant porteur.
L’émergence d’une stratégie nationale impliquant les acteurs du secteur de la rénovation énergétique
Le bâtiment résidentiel et tertiaire représente 45% de la part de consommation finale d’énergie, soit 27% d’émissions de gaz à effet de serre. Ce qui en fait le secteur le plus gourmand en énergie finale (devant les transports 30%). C’est également le secteur avec le plus grand potentiel d’économies : 80% de sa consommation énergétique provient du chauffage et de l’eau chaude sanitaire. Des postes sur lesquels les technologies permettent des progrès considérables. Plus de la moitié du parc a été construit avant 1974. A cette époque aucune réglementation thermique ne s’appliquait. Ainsi, sur un parc de 35 millions de logements, on dénombre aujourd’hui :
Dans un contexte d’augmentation du prix de l’électricité finale, estimée à 3% par an (Enerplan), l’enjeu de la rénovation énergétique est majeur. Ceci explique la mobilisation sans précédent des pouvoirs publics sur le sujet. 14 milliards d’euros sont alloués par le Gouvernement, afin de rénover 500 000 logements par an et atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050. Il faut qu’à cette échéance l’intégralité du parc immobilier atteigne la norme bâtiment basse consommation (BBC).
2014-2016 : Un décalage entre les foyers français et les objectifs des politiques publiques
L’enquête TREMI (Travaux de Rénovation Energétique des Maisons Individuelles) réalisée pour l’ADEME permet un retour d’expérience sur les travaux réalisés entre 2014 et 2016 dans les maisons individuelles (parcs privé et public). On dénombre alors 5 millions de maisons individuelles rénovées pour un coût total de 60 milliards d’euros.
Si 8 personnes sur 10 indiquent que leur motivation première pour réaliser une rénovation énergétique est l’amélioration du confort thermique, ils sont 83% à êtres satisfaits des travaux dans cette optique. La réduction de la facture énergétique est présentée comme motivation par 5 personnes sur 10 et satisfait 61% des sondés. Cependant, sur le volet des performances énergétiques mesurées via le Diagnostic de Performance Energetique (DPE), la satisfaction n’est pas au rendez-vous. Seulement 25% des travaux ont permis d’améliorer le logement d’au moins une classe. Ce chiffre n’atteint que 5% lorsqu’il s’agit de deux classes*. Il existe alors un réel décalage entre la satisfaction des ménages et les objectifs des politiques publiques.
© ADEME & Vous Le Mag N° 121 / Antoine Dagan
Cet écart peut s’expliquer par le manque d’accompagnement des ménages dans leurs travaux. En effet, seulement 15% en ont bénéficié. Si les dispositifs publics sont majoritairement consultés, les architectes indépendants occupent une place importante dans le conseil énergétique aux particuliers.
C’est dans ce contexte que naît le Plan de Rénovation des bâtiment
Face à ces constats, il apparaît un besoin de simplification du parcours de rénovation. Afin d’y parvenir le Gouvernement ouvre le chantier du Plan rénovation énergétique des bâtiments à la fin 2017. Finalisé au printemps 2018, ce-dernier se décline sous 4 axes :
- Faire de la rénovation énergétique des bâtiments une priorité nationale avec des objectifs clairs, des données accessibles et un pilotage associant tous les acteurs
- Créer les conditions de la massification de la rénovation des logements et lutter en priorité contre la précarité énergétique
- Accélérer la rénovation et les économies d’énergie des bâtiments tertiaires, en particulier le parc public
- Accélérer la montée en compétences et les innovations de la filière de la rénovation des bâtiments
Une campagne de communication est lancée en parallèle, portée par l’ADEME, l’Anah (Agence Nationale de l’Habitat) et l’ANIL (Agence Nationale pour l’Information sur le Logement). La campagne FAIRE pour « Faciliter, Accompagner et Informer pour la Rénovation Energétique », permet de rendre le service public d’information et de conseil plus lisible et d’entraîner l’ensemble des acteurs publics et privés dans la rénovation. Son déploiement se poursuivra jusqu’en 2020.
Pourquoi cette stratégie peine à être mise en œuvre ?
Intégrer plus fortement la composante énergétique dans les travaux en les priorisant :
Source : Fioureduc (image modifée)
Côté bâti, dans le cas d’une maison individuelle, il s’agit d’installer des ouvertures performantes (double voire triple vitrage) et d’améliorer l’isolation en optant par exemple pour l’ITE (Isolation thermique par l’extérieur), en prenant garde à préserver la qualité de l’air intérieur avec des systèmes de ventilation mécanique contrôlée (VMC) performants.
Entre 2014 et 2016, 35% des ménages rénovateurs ont réalisés des travaux sur un poste seulement, les autres 65% ont réalisé des « bouquets de travaux », constitués de plusieurs gestes sur plusieurs postes. Parmi les plus réalisés, « Ouvertures + Chauffage » (4,4%) et « Toiture/combles + Ouvertures » (4,3%). La ventilation n’apparaît pas dans ce Top 10 des bouquets de travaux. Or elle pourrait être « embarquée » une fois que les ouvertures sont rénovées et / ou que l’isolation est renforcée.
Coûts de la rénovation énergétique et aides financières
Source : chiffres ADEME
Ainsi, 29% des ménages déclarent avoir manqué d’accompagnement. Ce chiffre atteint 36% chez les ménages ayant réalisés des travaux permettant de sauter 2 classes énergétiques ou plus. Sur la période 2014-2016, des accompagnements administratif et financier (aides, montage du dossier financier) technique (matériaux et types de travaux à réaliser) ont fait défaut.
Les aides sont nombreuses, on retrouve : le CITE (Crédit d’Impôt Transition Energétique), l’éco-prêt à taux zéro, le chèque énergie et la prime « coup de pouce ». Afin d’y voir plus clair : Panorama des aides à la rénovation en 2019.
La question du budget fait des remous
L’ex-ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, avait déploré, en quittant le Gouvernement, que le budget alloué au CITE (Crédit d’Impôt pour la Transition Energétique) soit divisé par deux. Ensuite menacé d’être supprimé, il est finalement prolongé en 2019 pour devenir une prime dès 2020.
Par ailleurs, le désormais ministre, François De Rugy, veut réunir les acteurs du bâtiment et de l’énergie pour « réformer notre système d’aides » et entraîner la « mobilisation de financements privés ». Il envisage la création de « packages » élaborés avec des professionnels de la construction et de la fourniture d’énergie, qui permettrait de rénover une habitation dans son ensemble, en incluant également les banques pour le financement.
Le rôle du numérique et des données dans l’agissement pour la sobriété énergétique et dans la lutte contre la précarité énergétique
Suivi et pilotage de la consommation pour la sobriété énergétique
Le suivi et pilotage des consommations jouent un rôle essentiel dans l’efficacité énergétique. Des solutions « smart » comme une GMAO (Gestion de Maintenance Assistée par Ordinateur) ou GTC (Gestion Technique Centralisée) permettent de surveiller les consommations en temps réel d’un parc de bâtiments. De même, les dispositifs d’information rendus possibles par les compteurs communicants Linky contribueront à faire monter les ménages en compétence sur les questions énergétiques. Selon l’ADEME, cela peut avoir un impact, à court terme sur leur comportement de consommation d’électricité, et sur le long terme, sur leur capacité à réaliser des économies d’énergie (choix d’équipements plus performants, rénovation énergétique).
Sachant que 75% du coût global d’un bâtiment est engagé après sa livraison et est principalement lié à son exploitation, la formule du Contrat de Performance Energétique (CPE) s’est largement démocratisée ces dernières années. Le CPE lie un maître d’ouvrage et une société de services énergétiques. Il s’avère que ce type de contrat donne une visibilité réelle au maître d’ouvrage car le prestataire s’engage sur la performance et le volume de réduction des consommations d’énergie globales. Si les objectifs de performance ne sont pas atteints, le prestataire en assume les conséquences financières. Il peut ainsi impliquer la mise en place de systèmes innovants de mesure et de pilotage intelligent.
Les données : un levier de massification de la rénovation énergétique
Dans le cadre de la loi pour une République numérique, il s’agit de récupérer des données fiables aussi bien pour orienter les politiques publiques en assurant un suivi des objectifs que pour permettre aux acteurs de la transition énergétique de développer des offres en phase avec les besoins. Pour ce deuxième volet, les données doivent être mises au service des acteurs qui font la rénovation (collectivités territoriales, professionnels de la rénovation ou de l’immobilier, etc.). De nombreuses sources de données existent (Enquêtes de l’Observatoire permanent de l’amélioration énergétique du logement (Open), les bases DPE, par exemple). Toutefois, elles ne sont pas toujours complètes, recroisées ou actualisées .
La rénovation énergétique souffre par ailleurs d’un manque de ciblage des bâtiments les plus énergivores, tant résidentiels que tertiaires. Les données que possèdent les collectivités locales sur leurs habitants ou leur bâti peuvent devenir de précieux outils pour massifier la rénovation énergétique. On peut par exemple imaginer une campagne d’isolation des combles perdus auprès de tous les foyers propriétaires dans une zone pavillonnaire des années 1960.
Source : Teksial
Il faut toutefois se féliciter de l’intégration du carnet numérique dans le projet de loi ELAN. Sorte de carte vitale du bâtiment, il doit permettre de stocker et partager des données. Cela permet de suivre les actions sur le bâti, préconiser des travaux, suivre les performances, notamment énergétiques, avancer sur la domotique, faciliter le transfert du bien avec des informations pratiques, etc. Il sera applicable pour le neuf en 2020 et pour l’ancien en 2025.
Numérisation : Méthode BIM
La révolution actuelle du secteur du bâtiment va dans le même sens. Le Building Information Modeling est une méthode couplée à un logiciel de représentation en 3D. C’est un outil qui offre une vraie transparence, permettant à la fois aux propriétaires de comprendre leur bâtiment pour prendre les bonnes décisions, et aux professionnels du bâtiment de bien visualiser les travaux. Dans le cadre d’une rénovation architecturale ou énergétique, de nouveaux outils permettent de modéliser fidèlement le bâtiment existant, de numériser et de conserver les données. L’usage de ces données permettra d’anticiper et d’orienter les futures actions de rénovation.
Source : Rénovation architecturale et énergétique de la Tour Super-Montparnasse Paris 15ème (Méthode BIM, Architecture PELEGRIN)
Rénovation énergétique ou protection du patrimoine, faut-il choisir ou chercher à concilier les deux ? L’avis de l’architecte des bâtiments de France (ABF) peut être sollicité pour juger de la pertinence des travaux au regard de la protection du patrimoine. Le débat se focalise essentiellement sur l’impact visuel des travaux de réhabilitation thermique et sur l’insertion de l’immeuble réhabilité dans le paysage urbain. La loi ELAN retranscrit les objectifs qui devaient être portés par le Décret tertiaire en termes de performance énergétique – à savoir une réduction de 40% des consommations d’ici 2030 – sur la base de 2010, -50% d’ici 2040 et -60% d’ici 2050, incluant ainsi les bâtiments du patrimoine.
*« pas de saut de classe » ne signifie pas qu’il n’y a pas eu d’amélioration énergétique. En effet, les classes énergétiques DPE expriment des fourchettes de consommations énergétiques surfaciques (exprimées en kWh / m2.an). La classe D rassemble par exemple les logements dont les consommations se situent entre 151 et 230 kWh / m2.an. Par conséquence, même si les travaux du logement ne permettent pas le changement de classe, ils peuvent contribuer à la performance énergétique du logement.