Le 3 décembre 2019 se tenait la dixième édition du Colloque UFE au Pavillon Cambon-Capucines à Paris. Comme chaque année depuis sa création, ce colloque est l’occasion pour les acteurs de la filière électrique d’échanger sur les grands enjeux de l’électricité en France et en Europe.
Alors que se déroulait simultanément la COP 25 à Madrid, les débats se sont placés sous la thématique du développement durable et notamment du défi européen de réduction des émissions de CO2 de 50% d’ici 2050. Incitation à l’innovation et compétitivité européenne, coopération public-privé pour le développement des emplois et des compétences liés à la transition énergétique, efficacité énergétique dans le bâtiment, … voilà quelques-unes des problématiques qu’ont pu aborder les intervenants lors de cette journée.
Quels besoins de la filière électrique en Europe pour faire face à la concurrence mondiale ?
La transition énergétique est une révolution de grande ampleur. Si les innovations émergent continuellement, la mise en place de réseaux modernisés pour les accueillir s’inscrit, elle, dans un temps beaucoup plus long et nécessite des investissements financiers considérables. Or, l’ensemble des intervenants s’accorde sur le besoin d’un cadre réglementaire flexible rendant possible de tels investissements. Le secteur électrique est fragilisé par des cahiers des charges toujours plus exigeants et un court-termisme sur les contrats, imposé par l’ouverture à la concurrence, qui donne une mauvaise visibilité sur le long-terme aux investisseurs.
Il est également primordial de mettre en place des politiques industrielles européennes encourageant l’innovation et la prise de risques dans un secteur où l’on a du mal à conserver la chaine de production des nouvelles infrastructures (solaire, éolien) au sein du continent. Aussi, Isabelle Kocher (DG, Engie) demande-t-elle « l’intégration d’une clause dans les appels d’offre liée à la valeur ajoutée du projet pour le territoire ».
La Commission Européenne et sa nouvelle présidente, Ursula von der Leyen, placent la lutte contre le changement climatique au cœur des priorités, avec l’arrivée prochainement d’un nouveau Pacte Vert qui devrait édifier les mesures à prendre pour atteindre l’ambitieuse neutralité carbone en 2050. Pour accompagner la transition énergétique et écologique, « la promotion de l’interconnectivité, la suppression des obstacles à la circulation de l’énergie et la taxe carbone aux frontières sont des leviers clés afin que les entreprises européennes ne soient pas pénalisées face à la concurrence étrangère », indique Anna Colucci (Directrice « Marchés et cas », DG COMP).
En France, il faut soutenir la compétitivité par l’émergence d’une nouvelle filière électrique, le renforcement de la confiance des citoyens et de l’ancrage territorial.
Aujourd’hui, la transition écologique est devenue un sujet stratégique, pouvant générer une prime d’attractivité pour les entreprises les plus avancées sur le sujet auprès des clients comme des jeunes talents. Néanmoins, elle n’est pas source de réjouissance pour tout le monde. Les investissements industriels réalisés pour le développement des réseaux électriques de demain sont fort coûteux et entraineront indubitablement une hausse du prix de l’électricité. Le discours « fin du monde vs fin du mois » est représentatif d’un « besoin de combiner urgence climatique avec acceptabilité socio-économique », nous rappelle Patrick Pouyanné (PDG, Total).
Une transition énergétique sans hausse de prix pour le citoyen réside dans la sobriété énergétique, qui passera à la fois par la mise en place de nouvelles technologies d’efficacité énergétique (compteurs communicants, maisons connectées, BIM) et la rénovation des bâtiments mais également par un changement dans le mode de consommation des citoyens. En somme, consommer moins, plus cher mais mieux.
Il convient également de développer de vraies filières industrielles avec des technologies bas carbone capables de soutenir la compétitivité de la France à l’international. La transition énergétique implique ainsi la création, la transformation d’emplois et l’émergence de nouvelles compétences. Elle requiert donc une préparation et un accompagnement des jeunes, salariés ou non, des entreprises et des territoires impactés pour s’adapter à ces mutations. Pour ce faire, le ministère du travail et la filière électrique (industriels et syndicats) ont signé plus tôt dans l’année un Engagement de développement de l’emploi et des compétences (EDEC).
Au milieu de toutes ces mutations, les territoires ont aujourd’hui une place plus importante dans la prise de décisions et deviennent des partenaires de projet essentiels. « L’ancrage territoriale permet une valorisation des énergies locales », insiste Sylvie Jehanno (DG, Dalkia), en récupérant par exemple la chaleur des incinérateurs ou des data centers pour alimenter des foyers. Le projet de loi « 3D » (décentralisation, déconcentration, différentiation) devrait consolider la relation Etat-Régions et mieux adapter l’aide en fonction des besoins.
Le grand débat avec, de gauche à droite, Philippe Varin (Président France Industrie), Patrick Pouyanné (PDG TOTAL), Catherine Guillouard (PDG RATP) et Jean-Bernard Lévy (PDG EDF)
L’enjeu de l’efficacité énergétique dans le bâtiment
Le bâtiment est un secteur directement concerné par les grandes tendances sociétales, énergétiques et numériques. Responsable de 46% de la consommation d’énergie en France et 20% des émissions de gaz à effet de serre, il est un enjeu clé de la politique climatique française. Longtemps délaissée pour le gaz, l’électricité est aujourd’hui une solution alternative, par sa production fortement décarbonée en France, pour réduire l’empreinte environnementale du secteur.
Selon l’étude sur la place de l’électricité au sein du bâtiment[1] présentée au Colloque, les enjeux du bâtiment face à ces transformations sont multiples : réduction des émissions de GES, performance énergétique, bien-être et qualité de vie, nouveaux modes de vie et de consommation… Ils placent surtout l’usager au cœur de la réflexion et font appels à des leviers similaires aux autres secteurs impactés par la transition énergétique : la confiance des citoyens, de fortes capacités de financement et un accompagnement approprié des acteurs.
Pour accompagner cette transition, les métiers du bâtiment aussi doivent évoluer. Emmanuel Gravier (FFIE) explique que : « le métier d’installateur électricien est complètement révolutionné par la transition énergétique, devient un métier d’intégrateur électricien et nécessite un investissement dans le renouvellement des compétences dans la filière ». Elle doit s’accompagner de contrats stratégiques de filière pour rassembler et former l’ensemble des acteurs (artisans, syndicats de copropriété, groupes locaux).
Néanmoins, les propriétaires bailleurs du parc locatif privé représentent un frein supplémentaire, selon Philippe Pelletier (Plan Bâtiment Durable), car ils ne voient pas l’intérêt des temps et coûts de rénovation dont ne découlera aucune hausse du prix de location. D’où un besoin d’accompagnement, de primes incitatives pour accélérer la rénovation du parc immobilier français.
Le colloque se clôture après une journée d’échanges dynamiques et variés à l’image des nombreux acteurs de la filière électrique. Les regards se tournent à présent vers la Commission européenne dans l’attente du nouveau Pacte Vert et la promesse de financement de la transition énergétique d’Ursula von der Leyen à hauteur de 1000 milliards d’euros sur 10 ans, un chiffre d’ores et déjà jugé en-deçà des besoins réels estimés.
[1]“L’électricité au Coeur du bâtiment performant, au service de l’usager : une réponse aux enjeux énergétique, climatique et numérique », PWC, décembre 2019