Point de mire de la lutte contre le changement climatique, la neutralité carbone donne un cap aux collectivités locales et entreprises qui souhaitent engager leur transition écologique. Si l’équation qui la définit forme un consensus (émissions C02 – absorptions C02 = 0), les démarches méthodologiques pour atteindre cette neutralité sont encore très hétérogènes et peu initiés parmi les grands groupes. En annonçant publiquement son ambition de devenir neutre en carbone d’ici la fin de l’année 2020, GE Renewables a ouvert la voie pour les majors des énergies renouvelables. Nous avons rencontré Jean-Luc ROY, en charge de la Neutralité Carbone chez GE Renewables, afin de mieux comprendre la démarche du groupe.
Pouvez-vous nous donner quelques éléments de contexte quant à la démarche de GE Renewables ?
GE Renewables est un groupe d’environ 15 000 collaborateurs localisés dans une soixantaine de pays au sein de 40 usines et plus de 400 bureaux. Au regard des conclusions du GIEC, il faudrait que notre monde soit neutre en carbone à partir de 2050 pour tenir l’objectif de limitation du réchauffement climatique à +1,5°C. Il faut donc dès aujourd’hui commencer à réduire nos émissions, ce qui est l’affaire de tous. Nous devons donc montrer l’exemple et être logique avec ce que nous vendons. Nos produits et solutions doivent donc être le plus neutre en CO2 possible.
Par ailleurs, des KPIs nouveaux apparaissent dans les choix budgétaires. Nous tenons une comptabilité carbone qui impacte nos décisions d’investissement, puisque le prix de la tonne carbone influence le ROI. Autrement dit, la réduction de notre empreinte carbone pourra un jour être convertie en unités monétaires, ce que nous pensons être un avantage compétitif durable, GE étant le seul industriel à être en mesure de proposer des produits et solutions neutres en carbone d’ici 2020.
Enfin, nous espérons susciter un intérêt auprès de nos clients et partenaires et générer des affaires : les clients de GE étant des clients industriels énergie-intensifs (ndlr : dont les activités demandent une très forte consommation énergétique), le savoir-faire que nous acquérons dans le design de produits neutres en carbone est transposable sur leurs processus d’activités similaires. Nous créons un service, que nous mettrons en œuvre avec les partenaires de nos clients qui connaissent leurs processus.
Votre ambition est d’atteindre la neutralité carbone en 2020. C’est demain ! Des transformations ont-elles déjà été engagées ?
Nous avons déjà enclenché les audits de performance énergétique au sein de l’ensemble de nos sites, à qui nous avons également demandé de proposer des recommandations d’amélioration et les business cases associés pour gagner en efficacité énergétique. Nous mettons donc en place un système de transformation en équivalent CO2 de tous nos flux mesurables. D’ici à fin 2020, GE Renewables sera capable de calculer, de cibler les actions à mener, et de compenser les émissions qui doivent l’être.
Quels sont vos partenaires pour atteindre cette neutralité ?
Le cabinet Américain Natural Capital Partners nous accompagne pour les aspects méthodologiques et stratégiques. Nous travaillons avec Engie Impact et d’autres bureaux d’étude en efficacité énergétiques, qui nous accompagnent pour réaliser les audits énergétiques de nos usines et caractériser des projets à lancer pour réduire notre empreinte CO2 et tout en générant des économies sur les achats d’énergie. Le groupe Engie fournit par ailleurs de l’énergie et des services de Facility management à nos usines et peut donc être force de proposition pour améliorer leur gestion énergétique dans la durée.
Quelle méthodologie utilisez-vous et quels sont les scopes visés par GE Renewables ?
Les méthodes utilisées sont des méthodes internationalement reconnues et recommandées par notre partenaire. Nous prenons en considération tous les scopes (ndlr : scope 1 – Emissions directes, scope 2 – émissions indirectes associées à la production d’électricité pour l’activité de l’organisation, scope 3 – émissions indirectes liées à la chaîne de valeur de l’organisation) : de la mine qui extrait les matériaux jusqu’au recyclage des produits après leur retrait, en passant par la logistique amont et aval (envoi sur site, montage et mise en service).
Concernant le scope 2, nous mesurons l’empreinte carbone de nos 40 usines et 400 bureaux. Nous disposons d’un outil de conversion qui convertit en équivalent tonnes CO2 l’intégralité de nos voyages d’affaire.
Concernant le scope 3, outre les points déjà mentionnés, l’empreinte CO2 de notre chaîne logistique peut être étendue, car les logisticiens ont une empreinte considérable qui leur échappe. En tant que fournisseur de services de maintenance, nous pourrons par exemple proposer des contrats de services neutres en carbone, en compensant l’impact de nos déplacements. Nous travaillons également sur le rétrofit de nos fermes éoliennes en fin de vie (ndlr : le rétrofit est opération consistant à remplacer des composants anciens ou obsolètes par des composants plus récents, sans modifier la fonction). Enfin, nous essayons d’accompagner nos clients dans des démarches d’amélioration et commençons à identifier les compagnies qui s’engagent dans une démarche de neutralité carbone, car nos fournisseurs auront une obligation de reporting carbone.
Justement, la compensation carbone, largement répandue, fait régulièrement l’objet de critiques : déculpabilisation, incitation à émettre davantage, création d’un puit carbone loin du lieu d’émission, etc. Quel « modèle » de compensation prônez-vous ?
Nous achèterons des Garanties d’Origine proposées par un producteur proche du lieu de consommation. Par ailleurs, nous nous sommes engagés dans un processus de compensation de nos émissions carbone résiduelles avec une volonté d’apprendre et d’amélioration continue. Dans ce cadre, nous allons signer des corporate PPA (Power Purchase Agreements) avec des fermes solaires et éoliennes proches des lieux de consommation. Afin de tester ces nouvelles formes de contrat de fourniture sans engager le groupe sur 10 ans, nous mettons en œuvre une approche servicielle, en proposant aux propriétaires de fermes en fin de vie d’effectuer un rétrofit du parc : GE signe un corporate PPA sur une durée de 2 ans, et obtient en échange un contrat de support à la maintenance du parc. Le rétrofit effectué par GE permettra d’augmenter la performance de production du parc, et GE s’engage à consommer cette énergie. C’est un accord où chaque partie y trouve son avantage.
Chaque scénario du GIEC définit une part plus ou moins importante de Capture Carbon Storage (CCS), quel est l’ambition de GE sur ces technologies ?
Le développement du CCS fait effectivement parti des ambitions de GE. Ces ambitions sont cependant portées par GE Power, qui réutilise des mines pour stocker le CO2 et dispose de plusieurs brevets de technologies de capture.
Comment un acteur industriel comme GE peut-il participer à l’atteinte d’une neutralité carbone territoriale ?
Notre démarche étant relativement jeune, nous n’avons pas encore eu le temps de nous poser très concrètement la question. Nous voyons cependant des initiatives apparaitre. Par exemple, nous accompagnons notre usine de Montoir, située à côté des chantiers STX dans la ZI de Saint-Nazaire en Bretagne, dans la réduction de son empreinte carbone. La Métropole de Saint Nazaire étant engagée dans une démarche de transition vers la neutralité carbone, nous aimerions pouvoir partager avec nos voisins comme le port, acteur de notre chaine logistique, ce que nous accomplissons dans notre usine. De la même manière, des discussions sont depuis très longtemps engagées à Belfort entre GE, Alstom et PSA, réunies au seins de l’association « Vallée de l’énergie ». Afin d’aller plus loin, le dialogue doit être instancié.