Le 16 octobre dernier, Centrale – Energies organisait une table ronde animée par Clément Le Roy (Wavestone) autour du sujet du marché de l’autoconsommation en France. A cette occasion Didier Lafaille (Secrétaire Général du Comité de Prospective de la CRE), Hervé Lextrait (Directeur Transition Energétique chez Enedis), Otmane Hajji (Fondateur de GreenYellow) et Alexandre Roesch (Délégué Général du SER) étaient réunis pour traiter ce sujet complexe. Retour sur des échanges riches à propos d’un marché en plein développement, qui modifie en profondeur aussi bien le secteur énergétique que les usages des citoyens.
Afin de comprendre plus en détails les enjeux de l’autoconsommation et ses différents dispositifs, nous vous invitons à lire (ou relire) notre publication à ce sujet.
Le Mix par Enedis : un outil inédit pour suivre le développement de l’autoconsommation en France
En ouverture de conférence, Hervé Lextrait nous présente la plateforme inédite « Le Mix » par Enedis. Cet outil permet d’obtenir une vision exhaustive du parc raccordé et de son évolution et ce pour tout type d’énergie (électricité, chaleur, gaz,…). C’est la première fois à l’échelle mondiale, qu’un gestionnaire de réseau met en open data ses propres données. En observant les différents jeux de données proposés, on constate, selon M. Lextrait : « un développement fulgurant de l’autoconsommation en France. Elle n’était pas interdite avant, elle n’était seulement pas encadrée ».
Un marché en développement avec une richesse et une diversité d’acteurs
Le marché de l’autoconsommation présente différentes typologies de clients
Dans le milieu du B2B, on observe deux typologies de clients friands de l’autoconsommation. Certains sont dans une approche foncière de production : ils louent des toits de parking dans l’objectif de produire de l’électricité et de l’injecter dans le réseau. Ce phénomène semble se réduire aujourd’hui. D’autres adoptent une logique de rentabilité pour leur propre consommation car aujourd’hui le prix de production du kW solaire est de plus en plus intéressant. Dans le monde du retail, de la logistique ou de l’industrie, les usages sont très adaptés à la pratique de l’autoconsommation : le kW est consommé 7j/7 et en temps réel. C’est un milieu où l’équation économique a davantage de sens.
Sur le marché du B2C, les chiffres montrent une forte augmentation de l’autoconsommation individuelle en raison du caractère différenciant des offres pour les fournisseurs. En revanche sur le collectif, c’est encore à modérer car ces opérations ne sont pas toujours très intéressantes. Que ce soit pour les clients particuliers ou professionnels, le solaire devient, selon Otmane Hajji, de plus en plus attractif : « Les consommacteurs souhaitent avoir une quote-part connue de leur énergie verte produite. L’injection dans le réseau ne les intéresse pas : en tant qu’acteurs responsables, ils ont l’intention et la volonté de développer un solaire local et compétitif pour réduire leur facture mais aussi leur empreinte environnementale. » Otmane Hajji
Au delà de son attractivité, l’autoconsommation pose malgré tout la question des surfaces utilisables, comme le souligne Alexandre Roesch : « au SER, on pense que les surfaces doivent être utilisées à leur plein potentiel. Il faut un cadre et une vision pour que l’autoconsommation se développe ».
Rappelons qu’en France, 500 millions de m2 de toits sont en capacité d’accueillir du solaire photovoltaïque. C’est un enjeu énorme pour la production locale d’énergie.
Enfin une question essentielle reste à adresser : la simplification du parcours client. En effet, en France, l’autoconsommation est un véritable mille feuille administratif. Pour lutter contre ce phénomène, Green Yellow propose une offre globale et intégrée sur le marché B2C, afin de délivrer les clients des problématiques liées aux demandes de raccordement, règles d’urbanisme et financement…
Un marché où les acteurs locaux prennent leur place : les collectivités locales
Les collectivités locales, et leurs élus, s’approprient de plus en plus le sujet de l’énergie : de nombreux projets émergent : Pénestin, Prémian, Bordeaux, etc. Le SER (Syndicat des énergies renouvelables) vient de publier un rapport sur la décentralisation énergétique. Certaines de ces collectivités y développent l’idée d’évoluer vers une indépendance du réseau de distribution et de transport. Cela semble difficile, car c’est oublier l’importance du réseau dans la synchronisation entre la puissance disponible et la puissance demandée ainsi que dans la fourniture d’un complément d’énergie souvent indispensable.
Quels impacts de ces nouveaux modes de production et de consommation pour le réseau ?
Les nouveaux modes de production et de consommation induits par le développement de l’autoconsommation ne sont pas sans impacts pour le réseau : pour intégrer ces nouveaux usages, il doit se transformer. Cette transformation est déjà à l’œuvre, la transition énergétique ayant commencé il y a longtemps en France.
La structure du réseau est en train de changer du fait de l’apparition de flux ascendants qui n’existaient pas avant. S’agissant de l’autoconsommation en particulier, vue du réseau elle est d’une neutralité parfaite : il n’y a pas de différences entre injecter une production et injecter un surplus. Il n’y a pas d’impact positif, ni négatif.
Cependant, il faut renforcer le réseau à certains endroits pour accompagner certains échanges d’énergie à l’échelle locale. Enedis, le Gestionnaire du Réseau de Distribution Français (GRD) travaille activement sur ce sujet : grâce au compteur Linky facilitant le comptage des kWh injectés et soutirés et en mettant en place des barèmes de raccordement simplifiés.
Le réseau sera amené dans le futur à jouer un rôle assurantiel. Les ENR comme le photovoltaïque étant variables, le réseau permet la mise en relation des territoires et des moyens de production, répondant instantanément aux besoins des consommateurs, réduisant l’impact des conditions météorologiques. Il permet également un débouché pour toutes les énergies renouvelables : l’électricité produite à un instant t doit être consommée quelque part en Europe. Cette valeur doit bénéficier au consommateur.
Aujourd’hui le réseau a une qualité de 99,99 %, ce qui est extrêmement élevé en Europe, avec un taux moyen de coupure de 1h/an. Ainsi, comme le souligne Hervé Lextrait, le fait d’avoir un réseau, c’est une assurance.
Toutes ces idées semblent réfuter la possibilité pour les collectivités d’être en autarcie énergétique : les communautés locales ne peuvent se couper du réseau. En revanche, si l’on veut que demain le consommateur soit acteur de sa consommation, il faut lui proposer des offres plus intelligentes de raccordement. Certains voudront en permanence disposer de la garantie du réseau, d’autres souhaiterons plus de souplesse, et le réseau ne doit pas être un frein au développement de ces usages.
Le marché de l’autoconsommation bénéficie de nombreuses innovations technologiques
Le tissu industriel compte déjà de nombreux acteurs capables de produire des panneaux à très haute efficacité. Pour étoffer leurs offres, les fournisseurs de solutions d’autoconsommation intègrent désormais des solutions de gestion des flux de production et consommation.
Côté consommateur, les communautés énergétiques semblent prometteuses, sous réserve d’être capable de certifier les échanges entre particuliers. La blockchain pourrait éventuellement être un outil dans les communautés d’autoconsommateurs. Mais pour le moment c’est un système coûteux, et on attend les conclusions des premières expérimentations.
Le marché a un rôle important à jouer afin de favoriser cette innovation collective : on observe l’apparition de petits fournisseurs avec de nouvelles d’offres. Par exemple, si la volonté citoyenne est de consommer local, pourquoi ne pas créer une offre de fourniture locale ? C’est notamment le projet de la Compagnie Nationale du Rhône, qui voudrait vendre l’énergie qui vient du Rhône (en certifiant la production).
Le marché de l’autoconsommation est en plein essor, et s’il bénéficie depuis peu d’un cadre législatif, il nécessite de disposer d’une vision claire pour pouvoir se développer de manière pérenne en France. Cette nouvelle pratique révolutionne la chaîne de valeur d’un secteur pourtant auparavant très figée, en délocalisant les sources de productions : une aubaine pour certains acteurs mais un défi pour le réseau et le marché. Ainsi ces derniers doivent s’adapter afin de répondre à une demande de plus en plus criante de la part du consommateur : celle d’avoir l’assurance de consommer une énergie propre et locale.