Les 4 et 5 février 2020, le salon Hyvolution, important rassemblement d’acteurs de la filière Hydrogène-énergie en France et en Europe, se tenait à Paris. Une équipe de consultants Wavestone a eu l’occasion de s’y rendre pour prendre le poul de cette filière en pleine effervescence. Cet article propose notamment une rétrospective des grands messages et projets qui ont été présentés lors de ce salon.
Contexte du salon et enjeux de la filière
Pour sa 3ème édition, le salon Hyvolution a rassemblé un large panel d’acteurs de la filière hydrogène, français et européens : des industriels et énergéticiens, des institutions publiques ainsi que des start-ups et PME.
Dans un contexte de Transition Energétique, la filière Hydrogène connaît un développement significatif et attire l’attention des investisseurs privés et publics, comme en témoigne la décision du gouvernement français d’attribuer un ticket annuel de 100 millions d’euros à la filière sur 5 ans dans le cadre du plan Hydrogène. En effet, l’hydrogène-énergie apparaît comme un moyen pertinent d’intégration des énergies renouvelables intermittentes dans le système de production énergétique. L’hydrogène facilite donc l’augmentation de la part des EnR dans le mix énergétique national, ainsi que leur acceptabilité sociale, en favorisant notamment le stockage et l’autoconsommation. Des projets démonstrateurs comme Jupiter 1000 semblent démontrer ces tendances.
Régionalisation de la stratégie de développement de l’hydrogène en France
A l’échelle nationale, la filière hydrogène semble particulièrement régionalisée, chaque région française définissant sa propre feuille de route selon ses enjeux et en lien avec ses collectivités. Les caractéristiques spécifiques aux territoires et la mobilisation des pouvoirs politiques sont deux éléments clés qui influent sur le développement de la filière hydrogène en France.
La Région Rhône Alpes, avec une stratégie fortement orientée sur la décarbonation de la mobilité (les transports étant responsables de plus de la moitié des émissions d’oxyde d’azote) mène aujourd’hui le projet Zero Emission Valley, en étant actionnaire à 33% de la Joint-Venture Hympulsion (1). De par ses objectifs, c’est-à-dire déployer 1000 véhicules approvisionnés par 20 stations fournissant de l’hydrogène 100% vert, le projet Zero Emission Valley témoigne d’une réelle volonté de passer à l’échelle au niveau de la région. Le projet peut notamment s’appuyer sur un financement européen de 10,1 millions d’euros (2) qui facilite le déploiement des infrastructures de recharge.
Parmi les autres régions impliquées, on retrouve la région Grand Est. Dans une logique de transversalité, avec un positionnement fort sur la mobilité, elle se place en pilote sur les différents projets lancés par les territoires. Avec une approche multimodale, la région Grand Est se focalise sur les projets d’hydrogène vert, en accompagnant les PME / PMI dans leurs initiatives et en investissant dans des projets plus structurants. Par conséquent, Grand Est n’a pas réellement de stratégie régionale unifiée mais plutôt un rôle de chef d’orchestre dans le suivi des feuilles de routes, portées par les collectivités locales, définissant les grands axes de développement de l’hydrogène. La région cherche aujourd’hui à mener des études territoriales, pour évaluer le potentiel de l’hydrogène. L’objectif affiché est de créer de l’emploi en s’appuyant sur un réel écosystème autour de la filière hydrogène.
A contrario, la région Normandie possède aujourd’hui sa feuille de route stratégique à l’échelle régionale, construite sur un diagnostic partagé suite à de nombreux groupes de travail thématiques mobilisant différents acteurs de la région. Un des axes forts de la stratégie est d’assurer une gouvernance efficace, en identifiant les acteurs et les compétences clés pouvant permettre de faciliter le développement de la filière hydrogène ainsi que la mise en place de dispositifs d’accompagnement probants. La formation et la création d’emplois restent des enjeux majeurs pour instaurer une dynamique économique et sociale autour de l’hydrogène. L’objectif est également d’impliquer des acteurs publics sur les projets structurants pour bénéficier de leur vision sur la place de l’hydrogène dans la Transition Energétique. Compte tenu des caractéristiques de la région Normandie, la mobilité, la logistique et l’industrie sont les trois principaux axes qui ont été identifiés pour lancer le développement de l’hydrogène décarboné au sein de la région.
Tout comme la région Normandie, la région Occitanie possède sa propre feuille de route stratégique, définie il y a 4 ans en collaboration avec 7 acteurs industriels prêts à s’engager dans la filière. L’objectif de la région est d’accompagner ces différents acteurs dans le cadrage et la mise en place de projets à l’échelle régionale. En termes de financements, la région bénéficie d’un plan d’investissement de 150 millions d’euros sur 10 ans (3) à injecter dans différents projets mais également d’autres sources de financement françaises et européennes. La majorité des projets est orientée sur la mobilité avec de nombreuses initiatives mobilisant divers territoires mais également des projets plus importants à l’image du projet HyPort. La région s’inspire du scénario REPOS où l’énergie électrique utilisée pour la production d’hydrogène devrait représenter, en 2050, 20% de la production d’électricité éolienne et photovoltaïque, soit environ 6 000 GWh (3).
Malgré l’article 121 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique (4) pour la croissance verte, prévoyant le développement d’un plan de stockage des EnR par hydrogène décarboné et le déploiement de stations de distribution, un manque d’uniformisation s’observe dans la manière dont les projets sont menés. En effet, des difficultés sont rencontrées dans la coopération entre les régions qui n’ont pas aujourd’hui une dynamique d’ensemble nationale. Notamment, par ce fonctionnement, on observe que les choix technologiques structurants sont réalisés à l’échelle régionale. En conséquence, certaines installations d’une région (par exemple, les réservoirs de stations à hydrogène) n’ont pas les mêmes caractéristiques (pression du réservoir) que celles de la région voisine, créant ainsi une incompatibilité entre les installations de ces deux régions.
Grands projets exposés
14 trains hydrogènes commandés par quatre régions
Les régions françaises sont les parties prenantes les plus impliquées dans le développement de l’hydrogène sur leur territoire. Ainsi quatre d’entre elles (Grand Est, Bourgogne-France Comté, Auvergne Rhône Alpes, Occitanie) ont passé commande de 14 nouveaux trains à hydrogène.
Le train, déjà parmi les moyens de transport les plus sobres en carbone pourrait bien le devenir encore plus. Ces trains seront de type TER et calqués sur le modèle des trains bi-mode qui roulent aujourd’hui au diesel et à l’électrique. La bi-modalité (hydrogène-électrique) permettra de résoudre une partie des problèmes d’autonomie et de stockage. Le train pourra effectuer 400 km, rien qu’avec sa ressource en hydrogène grâce à un stockage de 160 kg d’hydrogène (5).
Le train français se veut ainsi volontairement plus lourd que le train allemand mono-mode, pour permettre une plus grande autonomie.
La forte consommation d’hydrogène des trains permettra d’amortir les investissements réalisés dans les infrastructures. En effet, la mise en service de trains à hydrogène suppose la construction d’un écosystème composé de systèmes de production, d’infrastructures de recharge et de processus de maintenance.
Le prix de cet écosystème sera payé par les 14 premier trains. Les trains suivants serviront à amortir les investissements initiaux. Le fort coût des trains à hydrogène, entre 30 et 40% plus élevé que celui des trains bi-mode en circulation (5), reste le principal frein à son déploiement. Il pourrait pourtant potentiellement se déployer sur une cinquantaine de lignes.
L’autre problème reste celui de la coordination entre les différents territoires, notamment pour les infrastructures sur les lignes à cheval entre différentes régions.
La production d’hydrogène doit être, selon l’ADEME, la plus propre possible. En effet, en termes de bilan carbone, les trains qui roulent à l’hydrogène obtenu via le reformage du méthane n’offrent pas une performance satisfaisante. En revanche, les trains roulant à l’hydrogène vert permettent jusqu’à 70% de diminution des émissions de CO2 par passager. C’est également le constat que dressent les régions puisqu’elles n’investissent en majorité que dans des projets utilisant de l’hydrogène vert.
La suite de l’agenda concerne l’engagement du contrat avec les régions et auprès des constructeurs pour amorcer la production des trains, les premiers devant être en circulation à horizon 2022.
Hydrogène et énergies renouvelables, une complémentarité au service des territoires
Les énergies renouvelables, tels que les champs éoliens, sont souvent implantées en zones rurales, parfois isolées. L’hydrogène peut être un vecteur de concrétisation pour ses énergies, notamment aux yeux des riverains.
C’est en partant de ce constat que Vent Du Nord a installé à Tupigny, un village de l’Aisne situé à proximité d’un champ éolien, une borne de recharge hydrogène alimentant deux voitures en autopartage, avec un investissement de 300 000 euros. Grâce à l’hydrogène, l’énergie produite par les éoliennes devient directement utile aux quelques 350 habitants. Ce type de dispositif permet non seulement de rendre les éoliennes plus acceptables par les riverains (car plus concrètes) mais également d’utiliser l’énergie en circuit court, dans une logique de consommation locale de l’énergie, voire d’autoconsommation.
Le développement de champs éoliens couplés à l’hydrogène vert est ainsi amené à s’accentuer en s’appuyant sur le Power to gaz qui constitut une solution de stockage et de stabilisation des EnR. Si une partie de ce stockage peut accroitre l’acceptabilité des projets via des initiatives comme celle de la borne partagée, cela permettra leur multiplication et leur pérennité.
La mobilité pour les particuliers largement évoquée
Comme évoqué par différentes régions, de nombreux projets autour de la mobilité (implantation de stations hydrogène, développement des véhicules zéro émission dans le domaine privé, etc.) sont en train d’émerger.
Autour d’une table ronde, quelques entreprises de renom ont donné leur vision sur le futur proche de l’hydrogène dans la mobilité.
Parmi elles :
- Symbio, PME qui a séduit Michelin et Faurecia, créateur de kits hydrogène placés sur les Renault Kangoo électrique afin de prolonger leurs autonomies ;
- Plastic Omnium, leader équipementier français dans les systèmes à carburant et dépollution orienté notamment sur les solutions pour la voiture du futur ;
- PFA (Plateforme Automobile en France) qui définit et met en œuvre la stratégie de filière en innovation, de compétitivité, d’emploi et compétence au nom de ses partenaires de la mobilité.
Jean-Luc BOSSARD, directeur R&D chez PFA a amorcé le sujet avec la question des coûts : « nous devons diminuer le coût du stockage par cinq pour qu’il soit compétitif ». En effet, les techniques de stockages actuelles sont exigeantes que l’hydrogène soit sous forme de gaz à haute pression (technologies dangereuses et contraignantes) ou sous forme liquide (technologies de pointe et coûteuses).
Julien Etienne, Directeur senior chez Plastic Omnium, a lui mis en avant les dimensions internationales et locales dans le développement de l’hydrogène. Le premier axe de la stratégie à adopter, selon Julien Etienne, est d’être international et en mesure d’utiliser les multiples technologies développées dans le monde. La Chine apparait aujourd’hui comme « un immense terrain de jeu » sur lequel la France doit jouer pour être leader sur le marché et tirer profit des expertises développées. Le Directeur senior de Plastic Omnium ajoute que « la seconde partie repose sur un marché de l’hydrogène local, qui est très important pour tester les différentes stratégies et business model. C’est ce que font les Coréens et Japonais actuellement par exemple ».
Et ce dernier point est déjà concrètement appliqué par certaines régions en France comme en témoigne la région Rhône Alpes avec le projet Zéro Emission Valley. Le chef de projet et directeur général de HYmpulsion, Jean Sébastien Bisch, a confirmé cet état d’esprit : « le projet Zéro Emission Valley, en plus de rendre possible la mobilité hydrogène sur la région (avec notamment l’implémentation d’une vingtaine de stations H2 décarbonée), sert aussi d’exemple et de levier d’impulsion concret pour les autres collectivités et régions qui souhaitent migrer vers cette énergie du futur. Le but in-fine étant de créer un maillage inter-régions afin de rendre possible la mobilité H2 à l’ordre national ».
Comme mot de la fin, les acteurs et industriels présents étaient tous d’accord : « Nous avons tous les acteurs nécessaires sur toute la chaîne de valeur pour développer la mobilité H2, reste à poser un environnement stable via une communication efficace pour préparer sa venue ».
Conclusion
Avec de nombreux temps forts et pas moins de 2 161 visiteurs (6), cette nouvelle édition du salon Hyvolution témoigne d’une réelle mobilisation autour de la filière hydrogène. Malgré une réticence encore présente des gouvernements à investir massivement dans l’hydrogène, les régions françaises s’organisent autour de projets structurants pour lancer une dynamique autour de ce nouveau vecteur énergétique.
Les acteurs intervenant sur les projets hydrogène se multiplient et mettent à profit leurs compétences et expertises pour répondre aux défis techniques et économiques associés au développement de la filière. Cette mobilisation sur les différents échelons de la chaîne de valeur de l’hydrogène nécessite des dispositifs d’accompagnement et de financement adaptés qui sont aujourd’hui à la main des régions. L’Hydrogène doit s’appuyer sur un véritable écosystème, capable de gérer des projets de bout en bout à vocation industrialisable. Dans cette logique de foisonnement d’initiatives, il est d’autant plus nécessaire de mettre en place des processus permettant d’assurer la montée en puissance du capital humain. En effet, la formation aux nouveaux métiers en lien avec l’Hydrogène est devenue une pierre angulaire de son développement pour préparer l’avenir de la filière et se prémunir contre une pénurie de compétences.
Sources :
(4) https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000031044385&categorieLien=id
(5) Conférence « Les contours du futur train à hydrogène » (Vincent DELCOURT, Directeur de projets trains hydrogène – SNCF/INNOVATION & RECHERCHE et Ariane ROZO, ingénieure service Transport et Mobilité – ADEME), Hyvolution 2020
(6) https://www.hyvolution-event.com/fr/evenement/bilan/2020