La pandémie actuelle de Covid-19 a obligé un tiers de la population mondiale à se confiner. Cette situation exceptionnelle a impliqué la fermeture de nombreuses entreprises, le ralentissement de l’activité d’industries clés, et a finalement entraîné une décarbonation avec une baisse des rejets carbone à l’échelle mondiale de 9% par rapport à 2019 (entre le 1er janvier et le 30 avril). Cet effet positif de la pandémie et du confinement a été mis en avant dans de nombreuses publications : la maladie a ralenti l’activité de l’Homme et a agi comme un révélateur de certains de ses effets néfastes sur la nature.
Cependant, la crise du Coronavirus demeure un évènement passager. Il reste ainsi aujourd’hui à décider si elle se révèlera ou non être un déclencheur politique.
Un confinement qui a déclenché une prise de conscience générale sur les enjeux climatiques mondiaux
Les populations confinées ont pris conscience de la modification de leurs environnements de vie, illustrée quotidiennement par des images largement symboliques : les eaux des canaux de Venise sont plus claires et moins agitées, les populations vivant au pied de l’Himalaya peuvent apercevoir les sommets enneigés du toit du monde, les animaux sauvages réapparaissent en ville. Globalement, les publications se multiplient sur l’amélioration de l’état de la planète, apaisée par le ralentissement, voire l’arrêt total de nombre d’activités humaines. Les habitudes changent également : le confinement a mis à l’arrêt quasi-total certains secteurs polluants à l’image du transport aérien , en favorisant parallèlement le recours à de nouvelles solutions de mobilité (vélos, solutions de micro-mobilité…). L’année 2020 devrait profiter d’une diminution significative des émissions de gaz à effet de serre : entre 5% et 15% selon le Haut Conseil pour le climat
Cependant, est-il possible que cette amélioration due au confinement s’inscrive dans la durée ? La crise du coronavirus est circonscrite dans le temps les traitements devraient un jour être trouvés, et le nouvel objectif des gouvernements mondiaux est bel et bien la relance des industries, et de l’économie.
De nombreux acteurs et institutions demandent une relance verte, qui pourrait bénéficier à la lutte contre le changement climatique : c’est le cas en France de la convention citoyenne pour le climat, du collectif « Nous sommes demain », ou encore du Haut Conseil pour le Climat. En effet, la crise climatique entraînant le Coronavirus est d’origine humaine. A titre d’exemple, le collectif « nous sommes demain » a communiqué récemment une liste de propositions visant à faire de cette relance un instrument de transition écologique, sociale et solidaire. La multiplication des zoonoses (maladies infectieuses atteignant les animaux, et qui peuvent être transmises à l’homme), dont fait partie le Covid-19 est directement liée à l’activité humaine qui réduit les habitats naturels des animaux sauvages, rapproche les populations de ces vecteurs de maladies et les met ainsi en danger. La crise du coronavirus ne permet pas uniquement à l’homme de prendre conscience de l’importance de la réduction des émissions des gaz à effet de serre, mais aussi de la lutte plus globale contre le changement climatique qui passe par une protection de la biodiversité, une lutte contre la déforestation, ou encore une interdiction du trafic d’animaux sauvages.
Sortie de crise : le défi de construire un plan de relance économique et écologique
Cette demande pour une relance verte fait écho au souvenir de la relance de 2008. La dernière crise économique et financière que le monde ait affrontée a eu pour effet une baisse des émissions de gaz à effet de serre (-1,4%) qui avait été suivie par un fort effet rebond (+5,9% en 2010). En effet, la relance s’était faite au travers d’investissements massifs dans des industries polluantes, et avait globalement ralenti la mise en place d’une lutte efficace contre le réchauffement climatique. Aujourd’hui, des mesures prises par certains pays annoncent un plan de relance proche de celui de 2008, notamment en ce qui concerne ses effets dévastateurs sur le climat. Aux Etats-Unis, l’Agence Américaine de Protection de l’Environnement (EPA) a ainsi suspendu les lois environnementales sur la pollution pour ses industries dans le cadre de la crise du Covid-19. Au Brésil, le déboisement en Amazonie a connu une augmentation de 30% en mars par rapport à 2019, car la police environnementale a réduit au minimum ses patrouilles. Enfin, en Chine, le gouvernement envisage déjà la construction de nouvelles centrales à charbon pour relancer la machine industrielle. Il faut également noter que la simple relance de la pleine activité du secteur des transports (routier et aérien notamment), premier secteur émetteur de gaz à effet de serre en France pourrait venir rapidement augmenter le taux de ceux-ci, causant un rebond d’émissions.
L’Europe n’est pas épargnée par la lutte entre les deux demandes de relance : une relance verte, et une autre, demandant une suspension des mesures de lutte contre le changement climatique pour permettre des investissements plus importants dans les industries, notamment polluantes. Le gouvernement polonais a ainsi demandé à l’Union Européenne de suspendre le marché des quotas de CO2 dès le 1er Janvier 2021 au nom de la « reconstruction post-crise sanitaire ». Le défi de la relance est donc double : il faut trouver une solution nationale pour la reprise de l’économie, tout en garantissant une poursuite de la lutte contre le changement climatique, qui ne peut se faire qu’à l’échelle mondiale. Ce paradoxe a été souligné par plusieurs chercheurs, dont François Gemenne, chercheur en sciences politiques, spécialiste en géopolitique de l’environnement, qui met en opposition le temps court de la crise et le temps long de la transformation, ne nécessitant pas les mêmes efforts.
L’espoir de la mise en place d’une relance verte à la suite de cette crise du Coronavirus, et favorisant une transformation en vue de la lutte contre le changement climatique est fort. La Corée du Sud avait déjà donné l’exemple en 2009, en allouant 80% de ses investissements de relance à des mesures vertes (transports et infrastructures durables, investissements dans les panneaux solaires, etc.). Aujourd’hui, elle prépare à nouveau un plan de relance vert, orienté vers la sortie des énergies fossiles.
La France et l’Europe mobilisées pour mettre en place une relance verte
La France a également témoigné via son ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire de sa volonté de mettre en place une relance verte. En effet, ce dernier a indiqué devant l’Assemblée que les 20 milliards d’euros d’aides aux grandes entreprises inscrits dans le projet de loi de finance rectificative seront versés à des entreprises pouvant notamment justifier « une politique environnementale ambitieuse ». Cependant, un amendement qui demandait une justification de ces engagements au-travers d’« une stratégie interne de réduction [des] émissions de gaz à effet de serre » a été rejeté le 16 avril en Commission. Ainsi, en France, aucune mesure contraignante n’a été intégrée dans le projet de loi de finance rectificative ; cependant d’autres initiatives pourraient venir confirmer la volonté gouvernementale de favoriser la relance verte. Une partie de cette relance française pourrait notamment passer par une modification durable des habitudes de mobilité de la population. En effet, la distanciation sociale imposée par la crise du Coronavirus associée à la nécessité du confinement, ont fait émerger de nouvelles solutions de mobilité plus respectueuses de l’environnement. L’achat et l’utilisation de vélos, notamment électriques, a ainsi connu une véritable renaissance avant le déconfinement. L’Etat et les élus agissent d’ailleurs en faveur de ces solutions de mobilité qui contribueront à la réduction de l’empreinte carbone : la maire de Paris a annoncé la fermeture de certaines rues à la circulation (notamment la rue de Rivoli), le projet de RER V (pour les vélos) pourrait rapidement se concrétiser, un chèque de 50 euros sera versé à toute personne faisant réparer son vélo afin de l’utiliser en période de confinement…
La France pourrait de plus profiter d’une relance verte à l’échelle européenne. Elle a en effet été signataire de l’appel formulé par dix-sept ministres européens de l’environnement au début du confinement. Celui-ci plaide pour que les plans de relance prennent en compte les questions liées à l’environnement et plus globalement à la lutte contre le changement climatique, notamment au travers du Green Deal. En Europe, des voix s’élèvent pour demander la mise en place d’un New Deal, qui permettrait de repenser le système, comme après la Grande dépression de 1929. Le Green Deal de l’Union Européenne, qui s’inspire du Green New Deal américain, est porté par la nouvelle Commission Européenne comme un axe phare d’actions (en favorisant l’économie circulaire, améliorant l’efficacité énergétique des bâtiments, investissant dans les technologies respectueuses de l’environnement ou encore en employant des moyens de transport privé et public plus propres, plus abordables et plus sains).
Malgré le danger de repli national, la crise actuelle semble pouvoir rapprocher l’Union Européenne de ses Etats membres dans le cadre de la préparation de la relance sur certains sujets, et notamment celui des transports. Ainsi, Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’Etat chargé des transports, a indiqué que la crise du Coronavirus devait servir de « catalyseur de la décarbonation du secteur des transports », grâce à des mesures intégrées dans le Green Deal Européen, accompagnées de mesures nationales (soutien aux acteurs portuaires, renforcement du fret ferroviaire, revue de la trajectoire financière de la SNCF, investissements dans le sauvetage potentiel de groupes aériens, etc.). Le secteur des transports publics pourrait également bénéficier d’aides complémentaires européennes (et sans doute également nationales) pour faire face à une baisse prévue de la fréquentation. Dans ce cadre, l’UITP Europe, l’IRU, CER, Polis et Eurocities ont adressé une lettre ouverte à la Présidente de la Commission Européenne, au président du Conseil et au président du Parlement afin de demander une garantie de la continuité du service des transports publics en Europe. Cette aide, si elle se réalise, pourrait permettre un maintien de ces transports, mais aussi un renforcement et une mutation durable de l’organisation de villes qui rassembleront la majorité des populations.