Un plan de déploiement d’hydrogène vert en 3 étapes défini par la Commission Européenne
En juin 2020, le gouvernement allemand annonçait sa stratégie nationale pour l’hydrogène : 7 milliards seront consacrés à la recherche et au développement de la production de 5 GW d’hydrogène « vert » d’ici à 2030, puis 2 milliards supplémentaires seront injectés pour atteindre 10 GW en 2040. L’ambition est claire : l’Allemagne souhaite devenir le leader mondial en matière d’hydrogène décarboné. Un mois après, c’est au tour de la Commission Européenne de dévoiler son plan pour l’hydrogène.
Le 8 Juillet dernier, après cette annonce déjà prometteuse pour une relance verte, la Commission Européenne a dévoilé son plan stratégique de déploiement de l’hydrogène. Celui-ci est prévu en trois temps, avec un premier objectif de capacité de production de 6 GW pour 1 million de tonnes d’hydrogène « vert », d’ici 2024, puis 40 GW pour 10 millions de tonnes en 2030. Enfin, des investissements massifs pouvant atteindre 470 milliards d’euros cumulés devront permettre le développement à grande échelle de l’hydrogène vert d’ici 2050. En exprimant l’objectif de porter l’hydrogène entre 12 et 14% du mix énergétique – alors qu’aujourd’hui sa part est infime – Bruxelles a envoyé un signal fort sur le rôle que devra jouer l’hydrogène « vert » pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. En outre, l’Alliance Européenne pour un Hydrogène Propre (ECH2A), qui réunira des responsables de la Commission, des représentants et dirigeants de la filière, sera mise en place pour assurer le pilotage de cette stratégie et le développement du portefeuille de projets dans la durée.
L’hydrogène dit « vert », car produit à partir d’énergies renouvelables et neutre en carbone, doit à la fois permettre de décarboner l’industrie et les transports, mais aussi devenir un moyen de stocker le surplus d’énergie produit par les ressources intermittentes (éoliennes, solaires, etc.). Sa production à grande échelle est nécessaire pour lever le frein économique au développement que constituent ses coûts de production. En effet, l’hydrogène « vert » coûte en moyenne 3 fois plus cher que l’hydrogène « gris » qui, issu des énergies fossiles, génère du CO2 lors de sa production.
L’électrolyse de l’hydrogène à partir de l’eau, https://methycentre.eu/concept/
Pour la France, l’enjeu est aussi de se positionner en tant que leader sur cette filière émergente
- Depuis 2014, plusieurs projets expérimentaux, en particulier pilotés et lancés par les opérateurs de réseaux de gaz français GRDF et GRTgaz, comme GRHYD à Dunkerque et JUPITER 1000 à Fos-sur-Mer, testent notamment l’injection d’hydrogène « vert » dans le réseau de gaz naturel français. Cependant, après avoir passé le cap des 6% d’injection d’hydrogène dans le réseau de gaz naturel en 2018, correspondant aux spécifications techniques en vigueur, le démonstrateur GRHYD a atteint son objectif maximal en injectant 20% d’hydrogène dans le réseau en 2019.
- Le secteur industriel représente une large part du potentiel que l’hydrogène vert peut contribuer à décarboner. Sur les 70 millions de tonnes d’hydrogène produites par an dans le monde, 1 million de tonnes en France est notamment utilisé dans des processus de raffinage (désulfurisation de carburants) et chimiques (production d’ammoniac et d’engrais). Ainsi, l’hydrogène produit par les leaders de ce marché historique, à l’image d’Air Liquide ou Praxair-Linde, est encore principalement « gris ». Air Liquide a néanmoins investi au Canada dans l’un des plus grands électrolyseurs PEM au monde, d’une capacité de 20 MW, dédié à la production d’hydrogène « vert ».
- La mobilité semble être plus propice au développement à court terme. Parmi les nombreux projets qui témoignent d’un certain dynamisme sur la mobilité hydrogène bas carbone, nous pouvons citer l’ouverture récente des stations de recharge pour véhicule hydrogène au Mans et en Allemagne de Total, via le consortium H2 Mobility ; la création de la filiale Hynamics par EDF, qui propose des solutions bas carbone aux sites industriels et une mobilité « zéro émission » aux territoires; Engie Solutions, qui via sa filiale GNVert a mis en service des bus à hydrogène, ou encore Faurecia (groupe PSA) qui, après avoir créé un centre d’expertise mondial sur les réservoirs à hydrogène – avec pour ambition d’en diminuer les coûts par deux d’ici 2025 et de conquérir 25% des parts de marché des véhicules hydrogène d’ici 2030 – a signé un contrat pour équiper 1 600 poids lourds Hyundai et construit une usine de pile à hydrogène. Celle-ci devrait voir le jour en fin d’année, dans la région de Lyon, via Symbio, entreprise co-fondée avec Michelin. Faurecia espère ainsi pouvoir maîtriser au moins 60% de la chaîne de valeur des véhicules à hydrogène. Enfin, il convient de distinguer le marché des véhicules « légers » à hydrogène pour les particuliers, de la mobilité « lourde », dont l’utilisation se développe aussi progressivement. Dans le secteur ferroviaire, la SNCF prévoit de tester ses premiers TER à hydrogène en 2021 et le premier train de passagers au monde alimenté par une pile à hydrogène d’Alstom (Corodia iLint) a passé des tests avec succès aux Pays-Bas, après avoir reçu plus de 40 commandes en Allemagne.
De nombreux acteurs français sont donc déjà lancés dans la course au leadership sur ces trois segments de marché et exportent même leur savoir-faire dans des pays qui misent sur cette filière, tels que l’Allemagne et les Pays-Bas. Par exemple, le pionner français McPhy (détenu à 22% par EDF) participe à la réalisation de plusieurs projets innovants sur le territoire français, tels que GRHYD, Jupiter 1000, ou encore Zero Emission Valley (ZEV), l’un des plus ambitieux programmes de déploiement de mobilité hydrogène en Europe. En outre, McPhy a récemment inauguré une plateforme de production d’hydrogène zéro-carbone de 2 MW en Allemagne et signé un contrat d’ingénierie à 13 millions d’euros aux Pays-Bas pour accueillir la plus grande unité de production d’hydrogène « vert » d’Europe fonctionnant grâce à l’électrolyse alcaline, d’une puissance de 20 MW.
Horizon pour un développement à l’échelle : 2030-2035 par RTE, https://www.connaissancedesenergies.org/sites/default/files/pdf-actualites/Rapport_hydrogene-pdf.pdf
Conclusion
La France doit désormais décliner ses ambitions en (re)dessinant son propre plan et en définissant son positionnement sur ce vecteur énergétique pour être compétitive au niveau international. A l’annonce de Bruxelles, les entreprises françaises se sont réjouies et en ont profité pour rappeler le rôle qu’elles étaient prêtes à jouer dans le développement de cette filière. Mais comme le souligne Philippe Boucly, Président de l’AFHYPAC, dans un communiqué de presse publié il y a quelques semaines, maintenant que « l’Europe vient de fixer un cap pour l’hydrogène jusqu’en 2050, à la France de s’affirmer avec un Plan National ambitieux et d’y mettre les moyens correspondants ».
Le plan annoncé par Nicolas Hulot en 2018 en faveur de l’hydrogène prévoyait un budget de 100 millions d’euros et ses objectifs ont été intégrés dans la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE), qui fixe la politique énergétique de la France sur dix ans. S’il ne s’agit pas de prendre le plan national allemand pour modèle, la France pourrait s’en inspirer pour ses prochaines décisions, en tenant compte des spécificités des territoires. Dans un premier temps, il a été décidé que l’Allemagne allait se concentrer sur les secteurs difficiles à décarboner tels que l’acier, qui représente un tiers des émissions de CO2 du secteur industriel allemand. De plus, 2 milliards d’euros seront alloués à la coopération internationale, à l’image du récent accord signé entre l’Allemagne et le Maroc pour le développement de la production de l’hydrogène vert.
En France, on constate déjà une certaine compétition entre les régions, chacune y allant de son écosystème local, inspiré des pôles de compétitivité. En particulier, les régions Occitanie, Auvergne Rhône Alpes Auvergne, Provence Alpes Côte d’Azur et Hauts de France, qui comptent de nombreuses installations éoliennes, solaires et hydrauliques, ont investi massivement dans l’hydrogène « vert », dans le but de devenir des modèles en Europe. Cette dimension locale est certes intéressante pour favoriser le déploiement de projets, démonstrateurs et marchés plus ou moins grands, et disposer d’une filière intégrée, de la production à la distribution. Mais elle ne sera sans doute pas suffisante et pourrait même nuire à la capacité à faire émerger des acteurs d’envergure européenne et mondiale. Au-delà des enjeux économiques et environnementaux, l’hydrogène pourra jouer un rôle majeur dans l’indépendance énergétique des pays et continents de demain, et la France dispose d’atouts importants concernant le développement de l’hydrogène « vert ». Dans son discours du 14 Juillet, Emmanuel Macron a d’ailleurs cité à trois reprises l’hydrogène comme source d’énergie d’avenir et propice pour la relance.
Toutefois, pour permettre l’émergence d’une filière structurée et compétitive, pesant dans l’échiquier européen et mondial, il faudra fonctionner de manière intégrée, fédérer les initiatives et flécher le soutien et les moyens vers les applications les plus adaptées.
Sources :
https://mcphy.com/fr/communiques/
http://grhyd.fr/enjeux/technologique/
https://www.engie.fr/actualites/grhyd-objectif-maximal-un-an/
https://www.sncf.com/fr/engagements/enjeux-rse/sncf-accelere-train-a-hydrogene
https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/Plan_deploiement_hydrogene.pdf