[Décryptage du pacte vert européen] Seconde partie, à l’épreuve de la réalité

Présenté le 11 décembre 2019, le pacte vert constitue le fil rouge du programme politique de la Commission nouvellement élue. Pour le mener à bien cette mandature dispose de puissants instruments législatifs et économiques mais devra aussi surmonter certains obstacles.

Des outils de mise en œuvre influents à l’efficience variable

Des règlementations directes et indirectes

Sur le plan législatif, l’Union européenne peut d’une part fixer un cadre européen via des Règlements, règles applicables directement dans l’ensemble de l’Union. Ainsi, les principaux objectifs du pacte vert seront répartis par pays et rendus contraignants par la révision du Règlement sur le partage de l’effort. De même, les mesures de renforcement des normes pour améliorer la qualité environnementale du marché européen et les mesures d’homogénéisation pour favoriser la coopération et accroitre son efficience seront directement mises en œuvre par réexamen des Règlements existants. Dans ce cadre les révisions des Règlement sur les émissions de CO2 par véhicule ou sur les réseaux transeuropéens de transport et d’énergie sont prévues d’ici 2021.

D’autre part, l’Union européenne peut fixer des objectifs par l’adoption de directives que les Etats membres ont obligation de transposer dans leur législation nationale. Suivant le principe de subsidiarité, les directives seront employées pour laisser aux Etats le choix des mesures les plus adaptées pour répondre aux objectifs du pacte vert. Les diverses politiques énergétiques au sein de l’Union devront ainsi s’adapter aux révisions des directives sur l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables et la taxation de l’énergie. De même pour les politiques de transport qui devront prendre des mesures pour répondre efficacement aux objectifs fixés par les révisions des directives de transport combiné et d’infrastructure de carburant alternatif.

Une transcription législative ambitieuse du pacte vert, par sa répercussion à tous les niveaux politiques, pourrait ainsi déclencher une transition écologique de l’Union. Les délais de mise en œuvre et les compromis politiques des processus législatifs aux niveaux européen et nationaux seront toutefois de sérieux freins aux ambitions environnementales de ce pacte.

Les quotas carbone

Établis par la directive 2003/87/CE et pilotés sur les volumes par règlement 1031/2010, le système d’échange de quotas d’émission (SEQE-UE) constitue une pièce maitresse de la politique de réduction des émissions de GES de l’Union européenne.

Ces quotas plafonnent les émissions de GES des industries manufacturières, des producteurs d’électricité et des compagnies aériennes soit environ 45% des émissions. Chaque année, les entreprises de ces secteurs doivent acquérir des quotas aux enchères en prévision de leurs émissions. Dans certains cas elles peuvent aussi bénéficier d’une part de quotas gratuits. En fin d’année, chacune de ces entreprises doit restituer un nombre de quotas équivalent à ses émissions. Les entreprises ne réduisant pas suffisamment leurs émissions peuvent acheter des quotas supplémentaires sur le marché européen du carbone, tandis que les entreprises les plus économes peuvent en vendre ou en conserver.

La quatrième phase (2021-2030) de ce mécanisme sera sans conteste un élément essentiel de la réussite du pacte vert. La réduction de 2,2% par an du nombre de quotas ainsi que la suppression progressive des quotas distribués gratuitement contribueront à augmenter le prix du carbone et à encourager les baisses d’émissions. L’amélioration du ciblage de la fuite du carbone avec notamment le maintien des quotas gratuits pour les secteurs exposés à un risque de délocalisation de la production hors de l’UE doit permettre de garantir une efficacité globale de ce système. En complément les nouveaux fonds pour l’innovation et pour la modernisation soutiendront les entreprises dans la réalisation de cette transition.

Ce mécanisme longuement ajusté et pilotable par règlement pourrait être d’une grande efficacité pour relever les objectifs en termes de réduction des émissions de GES. Il devrait cependant être étendu ou complété par un système de taxation du carbone pour accroitre la part des émissions réduites.

Les fonds européens

Pacte Vert
Répartition des contributions au financement du pacte vert

Pour mettre en œuvre cette politique, les capacités financières de l’Union seront elles aussi mises à contribution à hauteur de 1 000 milliards d’euros sur les dix prochaines années. Un des principaux contributeurs devrait être le budget de l’UE qui y serait consacré à 25% sur dix ans, ce qui représente 503 milliards d’euros. En effet, les règles d’attribution des fonds structurels et assimilés seront revues en faveur des actions et pratiques promues par ce pacte. Par exemple, 30% des fonds de la politique régionale (FEDER et fonds de cohésion soit 108 milliards) et 40% de ceux la politique agricole (FEADER) seront dirigés vers des projets verts. Ces fonds, du fait de leurs montants conséquents et de leur attribution gérée par les régions, permettront une application locale de cette politique.

De la même manière, les programmes d’appel à projet de l’Union européenne orienteront la recherche et développement publique et privée sur les problématiques du pacte vert. En somme 35 milliards d’euros du programme Horizon Europe, les 5,4 milliards d’euros du programme LIFE et un appel Green Deal de 1 milliard d’euros soutiendront cette ambition.

En complément, les règles de cofinancement par des subventions nationales pour l’attribution de ces fonds permettront de mobiliser 114 milliards d’euros supplémentaires.

Par ailleurs, le financement de la transition écologique par la Banque européenne d’investissement ainsi que les garanties budgétaires de l’UE devraient permettre par effet de levier de lever 279 milliards d’euros d’investissement privés et publics via le programme InvestUE. La réussite de ce programme offrirait un appui considérable à la réalisation de la transition écologique en y associant les investissements privés. Au contraire, la poursuite des investissements privés sur des activités carbonées représente à la fois un obstacle pour cette transition et un risque économique de perte de ces investissements.

Pour réussir une transition écologique solidaire, le mécanisme de transition juste devrait permettre d’apporter le soutien nécessaire à la reconversion des régions les plus touchées par la contraction des activités carbonées. Sur le même modèle que celui du financement de la transition écologique, ce mécanisme repose sur un fonds de 7,5 milliards d’euros pour ces régions qui devra être assorti d’apports nationaux. Ce soutien aux régions est accompagné d’un soutien à l’investissement public par des facilités de prêts par la BEI à hauteur de 25 milliards d’euros, mais aussi par un encouragement à l’investissement privé par un dispositif spécifique au sein de InvestEu pour mobiliser jusqu’à 45 milliards d’euros dans les énergies renouvelables et les transports sur ces régions.

Ainsi, les montants considérés, leur répartition et les effets de levier sur d’autres sources de financements, nationales et privées, octroient à ce projet de société de puissants moyens financiers. Pour garantir le succès et la pérennité de ces investissements deux points seront primordiaux. D’abord l’efficience de l’utilisation de ces moyens ; et ensuite la régulation des marchés pour y inclure les externalités environnementales et ainsi permettre la survie dans le temps des fruits de ces investissements. Le succès politique dépendra lui aussi du bon fonctionnement du mécanisme de transition juste ; faute de quoi émergeront contestations sociales et divisions.

Limites et défis du pacte vert

Un parcours législatif semé d’embûches

Le pacte vert est un projet politique dont la mise en œuvre reste en grande partie à réaliser. Les révisions et nouveaux textes qui le composent s’étendront sur deux ans, 2020 et 2021. Suivant le processus législatif, chacune de ces mesures devra être adoptée par les députés du Parlement européen et par les ministres des gouvernements nationaux du Conseil européen. Si l’objectif de neutralité climatique d’ici 2050 a été adopté en décembre dernier, certains États membres demeurent réticents, la Pologne ayant même refusé de s’engager dans ce sens. Le détail des mesures et modalités de réalisation pourraient donc être âprement négociées. Le récent chantage sur le vote du budget par la Pologne s’opposant à tout lien entre financements européens et respect de l’Etat de droit est un aperçu des tractations politiques auxquelles pourraient ainsi se heurter le projet de la Commission.

Le pari du capitalisme vert

Cette impulsion politique devra aussi être suivie par les acteurs économiques pour aboutir à un verdissement réel de notre société. Tout d’abord au niveau de l’investissement privé, dont la mobilisation sera indispensable pour la réussite de cette transition. Mais aussi pour l’application des mesures du pacte vert lors duquel l’esprit de la loi devra l’emporter sur son contournement. En effet l’exigence de rentabilité à court terme, dont notre système économique est fortement empreint, sera mise à mal par ce nouveau modèle axé sur le long terme et intégrant des critères extra-financiers. Le maintien de la logique de rentabilité à court terme pourrait favoriser le contournement de toute nouvelle contrainte plutôt que la recherche réelle de solutions. L’ajout de la mention « réutilisable » sur des couverts en plastique à usage unique avant leur interdiction constitue un parfait exemple de ce type de contournement. Contre cela, le temps long de la justice risque d’handicaper les Cours de justice nationales et européenne. Le verdict des consommateurs pourrait lui être influencé par la publicité, par la satisfaction personnelle ou la satisfaction à court terme.

Ainsi le salut économique du pacte vert pourrait reposer sur la formation des citoyens aux enjeux environnementaux et à leur prise en compte au sein des entreprises, par exemple via le développement de la RSE.

 

Pour conclure le pacte vert représente un projet de changement de modèle de société. Mais l’Union européenne dispose bien des pouvoirs et des moyens pour relever un tel défi. Ce pacte devra cependant survivre aux compromis politiques et emporter l’adhésion des entreprises. En cas de succès, l’Europe pourrait se positionner en leader sur la qualité environnementale ; dans le cas contraire, l’immobilisme ou la perte de ses investissements lui assèneraient un coup brutal. Quoiqu’il en soit, ce projet constitue au moins une ambition à la hauteur des enjeux.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Back to top