Dans le cadre de cette interview, nous sommes partis à la rencontre de Jean-François Le Romancer. Fort de plus de 25 ans d’expérience en recherche, innovation et financement dans le domaine de l’énergie, il est le créateur de STOLECT en 2019, entreprise qui ambitionne de réinventer le modèle du stockage d’électricité. Accompagné par Gauthier Preux, responsable en recherche et développement et José Da Silva, directeur commercial, Jean-François a accepté de nous présenter la technologie singulière de stockage utilisée par STOLECT.
Quels sont les enjeux actuels du stockage de l’électricité ?
Dans un contexte économique tendu menant à la hausse des prix de l’électricité, l’enjeu de son stockage devient critique. Les technologies de stockage d’électricité deviendront indispensables pour la transition énergétique. En effet, dans son rapport sur les Futurs énergétiques 2050, RTE estime que la réduction d’émissions du système électrique français sera d’au moins 40% d’ici 2050. Il est évident que les solutions de stockage contribueront à cette baisse d’émissions.
Comment stocke-t-on l’énergie de nos jours ? La solution la plus répandue reste l’utilisation de stations de transfert d’énergie par pompage (STEP). Si elles offrent une bonne capacité de stockage, l’utilisation des STEP présente de fortes contraintes de mise en place. L’utilisation de batteries électrochimiques, le recours à l’hydrogène ou encore le stockage d’énergie par air comprimé (CAES) sont également des méthodes employées, qui présentent néanmoins de grandes limites. Utilisation de matériaux polluants, rendement global faible et fortes contraintes techniques sont les principaux écueils rencontrés par ces solutions de stockage.
La notion d’échelle du stockage, en termes de temporalité ou de capacité, est également cruciale et il faut distinguer les technologies en fonction du service qu’ils rendent au réseau. De leur côté les STEP offrent un stockage de très grande capacité, adapté donc aux grands systèmes électriques. De plus, les sites d’implantation de ce type de solution sont limités, car ils nécessitent une topologie et une géologie particulières, contrainte d’autant plus importante que les sites plus favorables sont déjà utilisés. De l’autre côté, les batteries électrochimiques offrent une solution de stockage à court terme, avec une puissance importante mais une capacité en énergie relativement faible. Elles sont adaptées à un cyclage journalier, voire infra-journalier et peuvent avoir des délais de réponse très courts.
Comment fonctionne la technologie proposée par STOLECT ?
L’innovation introduite par STOLECT repose sur le principe de la batterie de Carnot. Ce type de stockage utilise la conversion d’électricité en chaleur grâce à l’utilisation d’un compresseur. La chaleur est alors stockée dans des enceintes brevetées par STOLECT constituées de matériaux dits réfractaires, capables d’absorber et conserver la chaleur pendant une longue période. Lors du processus de déstockage, on utilise une turbine afin de reconvertir la chaleur en électricité.
Le principe de la batterie de Carnot utilisé par STOLECT est plus durable que la batterie au lithium mais légèrement moins réactive : la technologie STOLECT se place à mi-chemin entre un modèle de stockage journalier et hebdomadaire. En comparaison avec une STEP, l’installation STOLECT nécessite une emprise au sol 300 fois inférieure et n’est soumise à aucune contrainte géographique.
Voici un schéma expliquant le principe de fonctionnement du dispositif imaginé par STOLECT avec son aperçu :
Fonctionnement et aperçu du dispositif STOLECT, source : La technologie (stolect.com)
La solution de stockage proposée par STOLECT mise avant tout sur la sécurité, la durabilité et de faibles coûts d’entretien. Les installations ne sont pas classées ICPE (Installation Classée pour la Protection de l’Environnement) car elles ne présentent aucun danger majeur et ne nécessitent pas le recours à des scénarios critiques.
De plus, les matériaux réfractaires utilisés pour la conception des enceintes sont recyclables ou réutilisables, disponibles en grande quantité partout dans le monde et à faible impact écologique. Un matériau réfractaire est un matériau qui a une forte résistance à un facteur susceptible de le dégrader, le plus souvent la chaleur. Par exemple, un four à bois peut être fait de briques réfractaires. En plus d’être résistant, il est souvent un très bon isolant. En l’occurrence, les enceintes de stockages sont composées, entres autres, de basalte, une roche volcanique reconnue pour ses propriétés isolantes et présente un peu partout sur Terre.
Schéma Wavestone
Le rendement des installations est très compétitif comparé aux méthodes de stockage à l’aide de batteries électrochimiques par exemple. Il est estimé que pour une injection d’1MWh d’électricité, 0,7MWh sont récupérés lors du déstockage. Contrairement à ce que l’on pourrait penser et grâce à la conception des enceintes STOLECT, les déperditions de chaleur sont infimes : il faudrait 3 ans pour qu’une enceinte perde la moitié de son énergie ! Grâce à une durée de vie estimée à 30 ans au minimum sans rétrofit (remplacement de pièces) et des coûts de maintenance raisonnables, le coût de l’électricité restituée et la période d’amortissement de l’installation sont deux fois moins importants que pour l’exploitation de batteries au lithium. STOLECT offre également une solution flexible : les installations sont pilotables et peuvent varier en taille afin de s’adapter aux besoins des clients. Il n’en reste néanmoins pas exclu que cette solution, bien qu’innovante, a un rendement inférieur aux batteries classiques ainsi qu’une réactivité moindre.
A qui s’adresse STOLECT ?
STOLECT vise trois principaux segments de marché :
- Les gestionnaires d’électricité en zones isolées afin d’accroître l’utilisation des énergies renouvelables et de moins dépendre de leur production thermique pilotable.
- Les producteurs d’énergies renouvelables dans le but de mieux appréhender l’intermittence de leur production.
- Les sites industriels électro-intensifs dans une optique d’anticipation de pics de consommation et de lissage du coût de l’électricité.
ZOOM : Le technicentre SNCF de Rennes, incubateur de la première installation STOLECT.
En 2020, STOLECT a signé une convention avec la SNCF pour accueillir son premier démonstrateur sur le site du technicentre de Rennes. Doté d’une puissance d’1 MW et d’une capacité de stockage de 5MWh, le dispositif actuel est doté de deux enceintes de conception brevetées de 5 mètres de diamètre et de 6 mètres de haut, embarquant 150 tonnes de matériaux réfractaires. STOLECT permet ainsi au technicentre SNCF de Rennes d’optimiser le coût de son électricité, qui a drastiquement augmenté ces 6 derniers mois, tout en anticipant les pics de consommation quotidiens, qui ont généralement lieu pendant 2 heures le matin et 2 heures le soir.
Soutenu par des partenaires de confiance tels que le FEDER Bretagne, Bpifrance, la Banque Populaire et la Caisse d’Epargne, STOLECT a bénéficié d’une importante levée de fonds de 4 millions d’euros en ce mois de mai 2022. Les principaux acteurs de cette levée de fonds sont des entrepreneurs et industriels spécialisés dans l’énergie, le numérique et la finance verte qui viendront apporter leur expertise à l’entreprise. STOLECT prévoit également d’acter une deuxième levée de fonds pour répondre à ses objectifs de développement à plus long terme. Ces financements vont notamment permettre à l’entreprise d’assouvir sa volonté d’internationalisation en partant à la conquête de marchés en Afrique du Nord et en Asie. En parallèle, STOLECT souhaite augmenter graduellement la capacité de ses installations de stockage d’énergie à l’horizon 2030 dans le but de s’adapter au mieux à ses futurs clients. En 2023, l’entreprise prévoit la mise en service de ses installations d’une capacité de 0,7 MW/3,5 MWh avant de commercialiser des batteries allant jusqu’à 2 MW/20 MWh en 2025. En 2030, STOLECT ambitionne la création de complexes dotés d’une capacité de stockage supérieure à 50 MWh.
Grâce à son concept innovant, STOLECT pourrait prochainement devenir un acteur majeur du stockage d’électricité en France et l’international. « Lorsque que l’on observe les industriels électro-intensifs de taille moyenne, on voit bien que la plupart d’entre eux cherchent des solutions pour réduire leur facture d’électricité, lisser leur consommation, consommer dans des heures creuses et aussi réduire leur impact carbone. Notre solution permet de répondre aux besoins de beaucoup d’industriels en France. » affirme Jean-François Le Romancer.