Curieux d’en apprendre plus sur Bump, acteur émergent de la mobilité électrique, nous avons rencontré François Oudot, son cofondateur et actuel directeur général. Au travers de cet échange, nous avons abordé la genèse de Bump, son actualité, ses enjeux dans les mois et années à venir ainsi que sa vision de la mobilité électrique.
Wavestone : Pour commencer, pouvez-vous vous présenter l’histoire de Bump ?
François Oudot : Cela fait très longtemps que nous nous disons qu’il faut faire quelque chose face à l’enjeu climatique. Les grandes masses sont saisissantes : un Français moyen émet 10T de CO2/an. Pour respecter l’objectif des 1.5°C, nous devons diviser par 5 nos émissions. Avec la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), les émissions de la mobilité doivent même être divisées par 10 : c’est un gros défi. Dans cette réflexion, un élément clé est primordial chez Bump : nous sommes convaincus que le véhicule électrique n’est pas la principale solution: il s’agit de la sobriété, «utiliser ses deux jambes». En effet, le véhicule électrique c’est -50% à -70% d’émission de CO2 alors qu’il faut faire -90%. Néanmoins, les professionnels, notamment les transporteurs de biens et de personnes, ne peuvent pas officier sans véhicule.
Dans cette optique de décarboner la mobilité des professionnels, nous avons lancé Bump avec François Paradis début 2021. Le premier projet que nous avons remporté consistait à recharger l’ensemble des 600 véhicules électriques en autopartage de Zity, filiale de Renault. Zity se rechargeait en voirie : les problèmes rencontrés résidaient dans de la recharge lente, la fiabilité des bornes (1 sur 3 ne fonctionnait pas) ainsi que les voitures ventouses. Pour pallier cela, nous devions construire 5 stations de recharges sur Paris dans un laps de temps très court avec des bornes de recharge qui soient fiables, disponibles et avec une très bonne qualité de service. Zity constitue notre premier marché historique. Actuellement, nous possédons des stations de recharge dans Paris qui font plus de 8 recharges par jour depuis plus d’un an. En comparaison, cela représente 4 fois plus qu’un opérateur classique en B2C.
WS : Pour rentrer un peu plus dans le détail, quels sont les marchés opérés par Bump ?
F.O. : Notre cœur de métier consiste à opérer des bornes de recharge rapides avec un très haut niveau de qualité de services. Nous possédons deux offres :
- Une première à destination des établissements recevant du public au sens large et plus spécifiquement des retailers. Nous mettons à disposition notre expertise, notre connaissance métier en marque blanche en déployant des bornes de recharge sur des parking sans financement. Nous finançons l’ensemble du dispositif et nous rémunérons au kWh consommé. Nos principaux clients sont Intermarché, Campanile, Kyriad et d’autres belles annonces arrivent sous peu. Notre volonté sur ce marché est de mêler nos connaissances d’opérateur de bornes de recharge rapides à l’expertise commerçante des retailers pour construire ensemble la station d’électromobilité de demain.
- Notre second marché cible les entreprises au sens large avec la même offre que dans le retail : une offre clé en main sans aucun coût caché. Tout est géré et pris en charge : les travaux et l’installation, la maintenance préventive, curative ainsi que la casse de machine et même le vandalisme. Pour garantir la rentabilité de nos équipements, nous demandons un minimum de consommation à l’entreprise. Ce modèle séduit de nombreux acteurs du dernier kilomètre, pour qui la recharge est un sujet critique. Nous travaillons notamment avec Stuart, Star Service ou encore Top Chrono.
Par ailleurs, nous sommes convaincus qu’il y a un travail important à faire avec les foncières tertiaires. Nous travaillons avec Prologis, Segro, Mileway, AB Sagax qui possèdent des foncières de parc d’activité, de logistique pour lesquels nous déployons des bornes de recharge sans financement. Nous nous rémunérons auprès de leurs locataires et nous demandons à la foncière tertiaire de s’engager sur un minimum de consommation.
Pour résumer, Bump s’attaque à deux marchés : les établissements recevant du public et les entreprises au sens large dont l’activité implique de la mobilité (transporteurs ou foncières tertiaires), avec une rémunération au kWh. De plus, tout l’aspect logiciel, la gestion et maîtrise des coûts au sens large, et le fait d’aller beaucoup plus loin que de poser une borne sur un parking nous différencie réellement. Nous avons un business model innovant mais cette brique logicielle pour les entreprises, pour les gestionnaires de flotte, est particulièrement différenciante. En effet, la solution Bump combine bornes et vision 360° de son parc, des collaborateurs et de leur consommation, la création d’alertes, etc. C’est quelque chose que personne ne propose sur le marché.
WS : Pour revenir au marché de la mobilité électrique, quels retours faites-vous à la suite des récentes évolutions de réglementation en rapport avec la mobilité électrique ?
F.O. : Premièrement, nous avons vu un vrai déséquilibre de marché en faveur des énergies fossiles. En effet, les transporteurs qui ont basculé à l’électrique ont vu leurs factures exploser alors que le pétrole était de son côté subventionné. Le prix de l’électricité pour les professionnels a atteint des seuils à 60 centimes le kWh, seuil à partir duquel cela revient plus cher de rouler en électrique. Cela s’améliore puisque le bouclier énergétique de l’an prochain prendra en compte la recharge de l’électrique.
Par ailleurs, pour accélérer l’électrification des véhicules, la chaîne de logistique occupe un rôle primordial. Je suis ainsi largement favorable à la fin de vente des véhicules thermiques en 2035. Néanmoins, ce qui me surprend, c’est que les acteurs de la chaîne de fabrication automobile ne se mettent pas en branle. Depuis la sortie de la Renault Zoé en 2012 qui était novatrice, nous avons pris beaucoup de retard. Tous nos projets de bornes sont retardés du fait que les constructeurs automobiles n’arrivent actuellement pas à produire assez de véhicules électriques, avec notamment des retards entre 6 et 12 mois sur les commandes.
WS : Dans la continuité, quels sont les freins au développement de la mobilité électrique et les grands défis auxquels le marché va devoir répondre ?
F.O. : Il faut déployer des bornes pour qu’elles soient utilisées : le réseau de bornes sert au marché du véhicule électrique. Il y aussi un enjeu de réassurance général et de conduite du changement. On dénombre énormément de “fakes news”, notamment sur l’hydrogène dont le taux de rendement n’est que de 30% par rapport à 80% pour l’électrique, ce qui constitue un frein important. Un autre problème majeur réside dans le coût de la recharge en voirie publique. Pour illustrer ce sujet, nous avons un client dont 2/3 de la flotte ne pouvait pas se recharger à l’entrepôt (où le prix est maîtrisé à 0,25€-0,30€/kWh). Nous avons donc fourni une carte de mobilité qui donne accès à 50 000 points de charge pour qu’ils puissent se recharger en voirie publique. Au bout d’un mois, le processus a été arrêté car les factures étaient exorbitantes. Au bout de 2 mois, ils se sont rendu compte que tous leurs chauffeurs qui se rechargeaient en voirie étaient en moyenne 5 à 10 fois plus chers que le thermique. Les 30 camionnettes électriques étaient donc stockées au garage du fait des surcoûts.
WS : Quels sont les moyens de lever ces freins au déploiement de la mobilité électrique ?
F.O. : En réponse à cela, nous avons développé une application mobile pour accompagner les chauffeurs dans le choix des bornes publiques. L’application permet de voir les bornes les moins chères ainsi que de générer des alertes si la recharge coûte plus d’un certain seuil au kWh. Notre outil permet au gestionnaire de flotte de visualiser l’ensemble des collaborateurs via une interface. C’est un test que nous faisons depuis 1 mois avec cette entreprise. Ils ont remis 15 véhicules sur les 30 en circulation.
De manière générale, nous passons à une nouvelle ère de déploiement massif des bornes. C’est une démarche plus complexe d’un point de vue travaux et plus coûteuse :il va falloir intégrer le contrôle et la maîtrise des coûts pour les flottes professionnelles. Nous avons eu une première version de l’électrification avec des bornes non pilotables. La seconde version réside dans des bornes communicantes qui peuvent gérer différentes sessions de recharge, différents profils d’utilisateurs, etc. Concernant les particuliers, les foncières tertiaires doivent s’emparer de la recharge au travail : en effet, dans les pays les plus matures, environ 40% de la recharge a lieu sur le lieu de travail. Cette transition passe par de l’éducation.
WS : Avez-vous des retours d’expérience de vos clients, des success story à nous partager ?
F.O. : Star Service est un très bon exemple : ce sont des pionniers, avec l’installation en 2014 de bornes de recharge. Ils ont rapidement rencontré de nombreux problèmes : un grand niveau d’indisponibilité des bornes à cause de pannes, l’installateur qui met 3 jours à se déplacer, la pièce de rechange non disponible, etc. Ils ont été très réceptifs à notre offre où tout est inclus, y compris les stocks de pièces de rechange. La qualité de service qui est dans notre ADN a des grosses implications opérationnelles sur notre manière de délivrer le service et de se structurer.
Enfin, nous avons également toutes les foncières tertiaires que nous avons réussi à convaincre. Nous arrivons à faire fonctionner un business model où personne n’a l’impression de payer le service : tout le monde est gagnant !
WS : Vous avez récemment levé des fonds : comment aller vous la faire fructifier ?
F.O. : L’objectif de cette levée de fonds (180M d’euros) est de continuer à accélérer la réduction des émissions de GES dans la mobilité : c’est ce qui nous anime. Nous nous sommes fixé un objectif de déployer 25 000 points de charge d’ici 2030. Nous souhaitons un chiffre d’affaires bien équilibré entre nos deux marchés retail et entreprises transporteurs/foncières tertiaires. Pour y parvenir, cela signifie prendre une position de leader sur ces deux marchés en France, aller adresser d’autres marchés en Europe et continuer à développer notre produit digital pour aider les entreprises à électrifier leurs flottes. Et évidemment tout ce qui va avec une entreprise en croissance : embaucher des fonctions sales, support, déploiement, etc.
WS : Pour conclure, quelles sont les prochaines étapes pour Bump ?
F.O. : Le prochain challenge est de grossir tout en gardant la même qualité de service, garder cette qualité opérationnelle. Il s’agit de transformation fondamentale : ce sont des méthodes, des process et une culture d’entreprise. Et après évidemment, il y a encore beaucoup de choses à construire, par exemple le poids lourd, qui correspond à environ ¼ des émissions de GES de la mobilité.
Pour aller plus loin : Bornes de recharge pour voitures électriques (bump-charge.com)