Depuis 2021, avec la crise sanitaire engendrée par la pandémie Covid-19, l’arrivée de la guerre en Ukraine et l’accélération des effets liés au dérèglement climatique, les prix de l’énergie ont connu des fluctuations sans précédent avec d’importantes répercussions sur le pouvoir d’achat des consommateurs et la santé économique de l’Union européenne, convertissant un enjeu sectoriel en une question politique majeure dans tous les Etats membres de l’UE. C’est pourquoi la Commission européenne propose de réformer le marché de l’électricité pour en pérenniser le fonctionnement.
A l’heure actuelle, les positions des Etats divergent encore en matière de solutions proposées, notamment du fait des différences de composition de leur mix énergétique ainsi que de leurs sources d’approvisionnements. A date, aucun consensus n’a été réellement trouvé. Le Conseil européen a cependant incité la Commission européenne à travailler sur une réforme structurelle du marché européen de l’électricité, pour répondre à la volonté d’indépendance de l’Union européenne en matière d’énergie et aux objectifs de neutralité carbone tels que définis dans le plan industriel du Pacte Vert[1].
Annoncé dès septembre 2022 par la Commission Européenne[2], le projet de réforme du marché européen de l’électricité a été présenté le 14 mars dernier par la Commissaire européenne à l’Energie, Kadri Simson. Cette annonce arrive à l’issue d’une phase de consultation publique qui s’est déroulée du 21 janvier au 13 février 2023 et durant laquelle la Commission européenne a demandé aux Etats membres, associations et entreprises du secteur de l’énergie au sein de l’Union européenne, de répondre à la question : « Comment réformer le market design ? »
Crédits photo : Commission européenne
En effet, le marché européen de l’énergie fonctionne aujourd’hui sur le modèle de libre-concurrence sur lequel il a été créé. Lorsque le marché fonctionne de manière efficiente, c’est-à-dire sans déséquilibre notable entre l’offre et la demande d’énergie, ce modèle a pour vocation d’assurer la sécurité d’approvisionnement des pays européens à un coût d’achat minimum. Ce système permet d’expliquer pourquoi la France peut décider d’importer de l’électricité plutôt que de la produire directement, parce que cela lui revient moins cher. A titre d’exemple, il peut être en effet plus rentable d’importer de l’énergie en période d’« heures pleines » et d’en exporter pendant les périodes « d’heures creuses ».
Mais si ce fonctionnement de marché a pu s’avérer efficace pour régir des situations à court terme, il contraint néanmoins très fortement les investissements de long terme, en particulier dans le contexte de hausse des prix que nous connaissons, en soumettant les besoins d’investissements aux aides des Etats membres.
Ce système a également de fortes conséquences sur le type d’énergie produite : la fixation du prix de l’électricité sur le marché européen actuel dépend de celui du gaz. Les énergies renouvelables comme l’éolien sont ainsi vendues à des prix de marché largement supérieurs à leur coût de production comme le présente le schéma ci-dessous :
La réforme du marché européen de l’électricité dont la Commission européenne vient de dévoiler les pistes répond donc à des enjeux multiples : garantir la souveraineté énergétique de l’UE en sécurisant son approvisionnement en électricité, protéger ses consommateurs contre la volatilité excessive des prix et répondre aux objectifs de décarbonation placés au cœur de l’agenda politique européen.
Plus concrètement, l’objectif de cette réforme du fonctionnement du marché européen de l’électricité se décline en deux volets : la réforme vise d’une part à donner une visibilité suffisante à long terme et mieux protéger les consommateurs contre les périodes de prix élevés en favorisant l’électricité décarbonée (produite à partir de sources renouvelables et nucléaire), et d’autre part à rendre les prix de l’électricité moins dépendants de ceux du gaz – sans aller toutefois jusqu’au découplage souhaité par la France[3] ou l’Espagne.
Afin de stabiliser les prix et d’assurer l’approvisionnement en électricité dans l’Union européenne, le projet de réforme propose une série de mesures qui s’appuient sur 3 types de contrats :
- Des contrats sur une durée plus longue (contrats dits « à terme » et de type PPA « Power-Purchase Agreement »[4] ou accords d’achat d’électricité(AAE) en français) pour les entreprises et les fournisseurs d’énergie : ces contrats permettent de diminuer significativement l’exposition des consommateurs aux mouvements à court terme des prix de l’énergie fossile, autrement dit, à protéger les consommateurs contre la volatilité des prix de l’énergie. Dans le cadre de ces contrats, les entreprises sont libres d’organiser leur propre approvisionnement en énergie et peuvent ainsi bénéficier de prix stables pour de l’énergie non-fossile. La réforme impose aux Etats membre la « disponibilité de garanties fondées sur le marché pour les AAE ».[5] Cela doit permettre de répondre aux « risques de crédit pesant sur les acheteurs». 5
- Des « contrats sur la différence » (CfD, « Contract for Differences ») : ces contrats permettent d’obtenir des aides publiques pour les investissements nouveaux dans les énergies éolienne, solaire, géothermique ou encore nucléaire. Concrètement, l’idée est de transférer le risque prix vers les Etats membres. L’objectif de ces contrats, déjà utilisés en France dans le domaine des renouvelables, est d’assurer le financement du renouvellement du parc énergétique français. Dans le projet de réforme tel qu’il a été présenté à la Commission européenne, ce contrat a été rendu obligatoire pour tous les nouveaux projets dans les énergies renouvelables et nucléaires qui impliquent des subventions nationales.
- Des contrats entre les fournisseurs et l’État qui établissent une fourchette de prix avec des niveaux minimum et maximum avec le mécanisme suivant : si les prix de l’électricité tombent en-dessous du minimum fixé par la fourchette, l’État compense la différence. En revanche, si le prix dépasse le niveau maximum de la fourchette prévue par le contrat, l’État est en droit de capter les revenus excédentaires. Par ailleurs, si les prix du gaz montent en flèche et entraînent des bénéfices exceptionnels pour les producteurs à faible émission de carbone, comme ce fut le cas en 2022, les gouvernements de l’UE seront légalement tenus de réorienter ces gains supplémentaires pour soutenir les ménages et les entreprises.
Bien que le recours à ces trois types de contrats soit déjà possible au sein de l’UE, leur utilisation demeure très limitée et extrêmement variable d’un État membre à un autre. Le projet réforme vise ainsi à rendre ces contrats plus systématiques, voire obligatoires dans le cas des contrats sur la différence (2).
Ces contrats sur la différence (Cfd) pourraient offrir aux gouvernements de nouvelles sources de revenus, mais seulement en période de prix extrêmes. La Commission propose un nouveau mécanisme : instaurer un statut de crise, pour déclarer une crise à l’échelle de l’UE lorsque les prix de l’électricité subissent des augmentations drastiques.
Si cette crise à l’échelle de l’UE est déclarée, les États membres de l’UE seront autorisés à réglementer les tarifs de détail pour les ménages et les PME – une carte blanche efficace pour l’intervention de l’État. Des prix réglementés pourront être proposés par les Etats aux ménages et PME « en cas de crise ». Selon la réforme, les États membres devront également obligatoirement établir des fournisseurs en dernier ressort afin qu’aucun consommateur ne se retrouve privé d’électricité.
Enfin, d’autres mesures visent à favoriser le partage de la production solaire ou éolienne à ses voisins via des dispositifs de partage d’énergie mais également le renforcement de l’information des consommateurs, le durcissement des sanctions pour infraction à la concurrence ou manipulations de marché, et une meilleure protection des clients vulnérables – qui ne pourraient plus être privés d’électricité en cas de retard de paiements.
Cette proposition de réforme devra ensuite être revue et approuvée par le Parlement européen et le Conseil européen, avant de pouvoir entrer en vigueur. Elle devrait aboutir d’ici la fin de l’année.
Sources :
- Questions et réponses sur la révision de l’organisation du marché intérieur de l’électricité dans l’UE
- Une réforme du marché de l’électricité de l’UE afin de développer les énergies renouvelables, mieux protéger les consommateurs et renforcer la compétitivité industrielle
- Une réforme du marché de l’électricité de l’UE afin de développer les énergies renouvelables, mieux protéger les consommateurs et renforcer la compétitivité industrielle (europa.eu)
- La Commission européenne propose une réforme ciblée du marché de l’électricité
- Une réforme du marché de l’électricité de l’UE afin de développer les énergies renouvelables, mieux protéger les consommateurs et renforcer la compétitivité industrielle (europa.eu)
[1] Pacte vert pour l’Europe – Consilium (europa.eu)
[2] Discours sur l’état de l’Union de la présidente Ursula Von der Leyen, 2022
[3] « Il y a une urgence absolue à découpler le prix de l’électricité du prix du gaz », déclarait en août 2022 le ministre français de l’Economie Bruno Le Maire.
[4] La directive 2018/2001 définit le « contrat d’achat d’électricité renouvelable » (PPA) comme « un contrat par lequel une personne physique ou morale accepte d’acheter de l’électricité renouvelable directement auprès d’un producteur d’électricité ». Ils appartiennent à la catégorie des contrats dit de gré à gré.
[5] La Commission propose une réforme de l’organisation du marché de l’électricité de l’UE afin de développer les énergies renouvelables, de mieux protéger les consommateurs et de renforcer la compétitivité industrielle, Strasbourg, le 14 mars 2023