Selon l’OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques), les mesures mises en place par le gouvernement français, telles que le bouclier tarifaire destiné aux particuliers et la remise sur le carburant, devraient permettre de limiter la baisse du pouvoir d’achat des Français de 5% à 2% en 2023 par rapport à 2021 [1]. Dans le but de renforcer ces initiatives visant à protéger le pouvoir d’achat des citoyens français, le gouvernement a également pris la décision d’élargir le bouclier tarifaire aux bornes de recharge des véhicules électriques.
Lutter contre la précarité énergétique : le bouclier tarifaire comme rempart
Comprendre le bouclier tarifaire
Le bouclier tarifaire est une mesure réglementaire permettant de plafonner le prix de l’électricité pour les consommateurs en cas de fortes fluctuations des prix de l’énergie. Il a pour objectif d’assurer une certaine stabilité et prévisibilité en matière de tarification énergétique. Il a été mis en place par le gouvernement français à la fin de l’année 2021 et sera reconduit jusqu’au 1er janvier 2025 selon les annonces récentes de Gabriel Attal, qui était alors ministre délégué aux Comptes publics. [2]
Pourquoi mettre en place ce bouclier ?
Le bouclier tarifaire est survenu en raison de la hausse soudaine du prix de l’électricité. Au cours des dernières années, les consommateurs français ont été confrontés à une augmentation constante du prix de l’électricité. De 2011 à 2022, le prix de l’électricité a augmenté de 5% par an en moyenne. Le prix d’un kilowattheure est ainsi passé de 0,1168 € en 2011 à 0,18 € en 2022. En 2023, la France a connu une forte augmentation plaçant le prix d’un kilowattheure à 0,2276 € [3]. Une augmentation de 10% a d’ailleurs été appliquée à partir du 1er août 2023 par le gouvernement français [4]. La hausse soudaine des tarifs de l’électricité s’explique principalement par deux facteurs. D’une part, la majeure partie de l’électricité en France est produite par des centrales nucléaires. Les périodes de sécheresse et le vieillissement des infrastructures ont entraîné une réduction de la production d’électricité, impliquant une hausse des prix. D’autre part, la France dépend d’importations d’électricité provenant d’autres pays européens. Or une proportion importante d’électricité est produite à partir de gaz naturel. Les récents conflits en Ukraine ont entraîné une diminution des importations de gaz de l’Europe, ce qui a également contribué à l’augmentation du prix de l’électricité.
Bien que selon certaines estimations, le bouclier tarifaire a pu limiter cette hausse à 15% au lieu de 99% pour les consommateurs [5], il est important de noter que cette «amortisseur» entraîne un coût significatif pour l’Etat.
L’élargissement du bouclier tarifaire à la mobilité électrique
Le bouclier tarifaire élargi à la mobilité électrique permet de contenir la hausse du coût de recharge des véhicules électriques en proposant des tarifs d’électricité réduits pendant les heures pleines et creuses (périodes de faible demande d’électricité) au niveau des bornes de recharge privées comme publiques. Quant aux bornes de recharge à domicile, celles-ci ont déjà bénéficié du bouclier tarifaire destiné aux particuliers, fixé en décembre 2021 par le gouvernement. Cet élargissement a été annoncé lors du Mondial de l’Automobile en octobre 2022 et a été mis en place par un décret le 3 février 2023 [6]. Dans le panorama des aides attribuées aux automobilistes, le bouclier tarifaire étendu aux bornes de recharge est apparu assez tardivement.
Les impacts du bouclier tarifaire sur les acteurs de la mobilité électrique
Le bouclier tarifaire a été mise en place pour protéger les consommateurs de la hausse des prix de l’électricité. Le fournisseur sollicite d’abord l’aide auprès de l’État, qui est ensuite répercutée sur l’opérateur de recharge, puis sur le consommateur.
Un soutien pour les opérateurs de recharge
Avant la mise en place du bouclier tarifaire, les opérateurs étaient confrontés à une incertitude quant aux revenus générés par leurs infrastructures de recharge en raison de la variabilité des tarifs pratiqués sur le marché. En effet, afin de garantir une certaine rentabilité, plusieurs opérateurs comme Bélib’, Ionity, Electra ou Allego avaient fortement augmenté leurs tarifs (Figure 3).
Opérateurs | ||||
Tarif au kWh (avant crise, 2020-2021) | 0,266 €/min Source : phonandroid | 0,79 €/kWh (350 kW) Source: Phonandroid | 0,44 €/kWh (jusqu’à 300 kW) Source : Frandroid | De 0,32 à 79 €/kWh (entre 11 kW et 50 kW) Source : Phonandroid |
Tarif au kWh (avant le bouclier tarifaire) | 0,50 €/kWh (jusqu’à 50 kW) Source : Mobiwisy | 0,69 €/kWh (350 kW) Source : Frandroid | 0,54 €/kWh (jusqu’à 300 kW) Source : Frandroid | 0,88 €/kWh (50 kW) Source : Automobile Propre |
Tarif au kWh (après le bouclier tarifaire) | 0,38 €/kWh (jusqu’à 50 kW) Source : Mobiwisy | 0,59 €/kWh (350 kW) Source : Frandroid | 0,49 €/kWh (jusqu’à 300 kW) Source : Frandroid | 0,69 €/kWh (50 kW) Source : Automobile Propre |
Figure 3 : Comparatif des tarifs pratiqué par les opérateurs avant et après la mise en place du bouclier tarifaire
Grâce au bouclier tarifaire, les tarifs de recharge sont désormais réglementés, ce qui offre une transparence accrue et une prévisibilité pour les opérateurs. Cela permet aux opérateurs de garantir des tarifs raisonnables pour leurs services de recharge. De plus, le bouclier tarifaire contribue à une plus grande stabilité financière pour les opérateurs de bornes de recharge en réduisant la volatilité du prix de l’électricité. Ainsi les opérateurs peuvent mieux planifier leurs investissements, gérer leurs coûts et maintenir une rentabilité plus prévisible. En accordant cette transparence aux utilisateurs, cela permet de pérenniser la demande de services de recharge.
Soulagement pour les consommateurs
Selon le sondage réalisé en janvier 2023 par la compagnie d’assurance Leocare [7], 83% des Français considèrent désormais que l’augmentation du coût de l’électricité constitue un frein majeur à l’acquisition d’un véhicule électrique. Cette préoccupation est confirmée par la tendance d’évolution des véhicules électriques (100% électriques et hybrides) en France sur l’année 2020, 2021 et 2022 (Figure 4).
En effet, on note une évolution moins marquée des immatriculations au cours des seconds semestres de 2021 à 2022 par rapport à 2020 et 2021. Ce ralentissement pourrait s’expliquer par la hausse générale des tarifs de l’électricité initiée en 2021. En effet, cette hausse a pu dissuader certains consommateurs dans leur décision d’acquisition de véhicule électrique impactant les immatriculations sur l’année 2022 (en raison du décalage de 6 mois entre la commande et l’immatriculation d’un véhicule électrique). Selon Clément Molizon, délégué général de l’Avere, sans l’intervention du bouclier tarifaire, on aurait pu s’attendre à une augmentation de 50% à 100% du tarifs aux bornes de recharge électrique [8], ce qui aurait très certainement eu un impact significatif sur l’intention d’achat d’un véhicule électrique.
Cependant, la mise en place du bouclier tarifaire en février 2023 a permis de rassurer les potentiels acquéreurs en donnant une meilleure visibilité des tarifs aux bornes de recharge. Ce mécanisme a probablement participé à la progression du nombre de véhicule électriques en 2023. En parallèle du bouclier tarifaire, d’autres facteurs ont également favorisé cette croissance, tels que le déploiement accru des infrastructures de recharge, le bonus écologique sans condition lié au prix d’achat des véhicules électriques, les primes pour les Zones à Faibles Émissions (ZFE), ainsi que les incitations à l’achat au niveau régional.
Un marché qui restera dynamique malgré la fin du bouclier tarifaire
Le bouclier tarifaire s’est révélé être un outil essentiel pour atténuer les répercussions de la hausse des prix de l’électricité sur les fournisseurs, les consommateurs et les opérateurs de bornes de recharge. Il a permis d’encourager l’adoption des véhicules électriques tout en assurant une stabilité tarifaire pour les acteurs de la mobilité électrique.
Malgré la fin du bouclier tarifaire prévue en 2025, il est important de noter que le marché de la mobilité électrique continuera à évoluer, soutenu par d’autres incitations et par la demande croissante des consommateurs pour des alternatives plus durables. Le plan d’investissement France 2030 prévoit d’ailleurs d’allouer un budget de 3,6 milliards d’euros pour le développement de la mobilité durable [9], illustrant l’engagement continu envers ce secteur stratégique. De plus, afin de tenir ses objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050, le parlement européen a voté l’interdiction de la vente des véhicules thermiques d’ici 2035. Afin de garantir la bonne mise en œuvre de cette interdiction, il sera essentiel de multiplier les infrastructures de recharge tout en tenant compte des préoccupations des automobilistes [10] : complexité des services de recharge, disponibilité des bornes rapides sur les autoroutes… Enfin, un renforcement significatif du réseau électrique sera nécessaire pour éviter toute interruption sur le réseau.
À la lumière des mesures politiques et des investissements industriels mis en œuvre, l’avenir du marché de la mobilité électrique s’annonce prometteur et participera à décarboner une partie du secteur du transport, qui représente ¼ des émissions de gaz à effet de serre.
Evolution des prix de vente d’électricité, vers la fin du bouclier tarifaire ?
Sources :
[1] : https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2023/OFCEpbrief112.pdf
[6] : https://www.avem.fr/2023/02/15/bouclier-tarifaire-pour-la-recharge-de-vehicules-electriques/
[7] : https://www.datapressepremium.com/rmdiff/2011520/Etude-Electrique3.pdf
[9] : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Dispositifs%20soutien%20%C3%A0%20l%27innovation.pdf
[10] : https://www.lesechos.fr/weekend/planete/le-casse-tete-du-deploiement-des-bornes-de-recharge-1915126