Ghislain Delabie est spécialisé dans les modèles de l’économie collaborative principalement dans les domaines du transport, de la mobilité, et de manière assez connexe l’énergie. Connecteur « Mobilité » et membre actif de OuiShare, Ghislain anime également le blog Innovation-Mobilité. Il a accepté de répondre à nos questions.
ENERGYSTREAM (ES) : Pouvez-vous nous présenter OuiShare ?
Ghislain Delabie (GD) : OuiShare est à la fois un « Think Tank » et un « Do Tank ». C’est un « Think Tank » dans le sens où OuiShare cherche à faire avancer la réflexion et poser de nouveaux sujets sur la table autour de l’économie collaborative. C’est également un « Do Tank » dans le sens où OuiShare est également dans la logique d’accompagner et d’accélérer les projets correspondant à nos valeurs. Un exemple de cela est l’événement POC21, qui a eu lieu l’été dernier, où pendant un peu plus d’un mois, on a eu des rôles d’incubateur et d’accélérateur de projets ayant un impact environnemental. Ces projets avaient également pour particularité d’être Open Source et facilement réplicables, correspondant à la doctrine de OuiShare. Un autre exemple est le OuiShareFest, dont la durée est de 3 à 4 jours et dont la prochaine édition aura lieu fin mai. Pour cette édition, on met en place un dispositif d’accélération de projets : les 2000 personnes participant à l’événement, experts du monde entier, aideront les startups à améliorer leurs modèles d’affaires et travailler sur leurs produits.
ES : Comment OuiShare a commencé ?
GD : OuiShare était à la base une petite communauté de passionnés ayant des centres d’intérêts communs, se rencontrant et partageant sur les réseaux sociaux. Petit à petit, ces gens se sont rencontrés, et en janvier 2012 ce désir commun d’accélérer la transition vers une société plus collaborative a pris forme sous le nom de OuiShare.
OuiShare promeut de nouveaux modèles de gouvernance ayant un impact positif sur la société et sur l’économie. Elle tente de répondre à la question : comment les modèles collaboratifs peuvent produire des choses positives pour la société à tous les niveaux (politique, organisationnel, individuel …).
ES : Pensez-vous que l’économie collaborative arrivera à s’imposer dans les années à venir ?
GD : Nous avons toujours pensé que l’appellation « économie collaborative », même si c’est un terme qu’on utilise, est un oxymore, ou du moins une contradiction interne. L’expression « économie collaborative » cherche à illustrer volontairement cette tension qui existe entre des mouvements relativement contraires. D’ailleurs, beaucoup de services qui se réclament comme étant de « l’économie collaborative » ne le sont pas toujours.
Aujourd’hui, les modèles qui se sont le plus répandus, sont ceux dit « de plateforme » et non « collaboratifs ». Cela ne veut pas dire que ces modèles sont mauvais. Un « Uber » par exemple, se développe très vite, puisqu’ayant un modèle d’organisation extrêmement efficient. Néanmoins, Uber reste très centralisé : toute la valeur est captée par celui qui gère la plateforme et pas forcément par ceux qui font la plateforme, en l’occurrence les chauffeurs. Uber est une plateforme qui met en relation des prestataires et des clients, mais qui n’est pas dans une logique pair-à-pair. Au contraire, sur BlaBlaCar, vous pouvez jouer alternativement un rôle ou l’autre, conducteur ou passager.
Personnellement, je trouve le modèle de plateforme, bien qu’il ne soit pas dans le domaine de l’économie collaborative, très pertinent. Il dépasse l’état de l’art actuel et la société n’est pas toujours prête à accepter ce nouveau model.
ES : Quelle est votre vision de l’énergie collaborative ?
GD : La notion primordiale à avoir en tête lorsque l’on parle d’énergie collaborative est la « décentralisation ». Plutôt que de dire « énergie collaborative », je préfère parler « d’énergie décentralisée » et « de réseau décentralisé ».
Si on reprend l’histoire de l’énergie, tous les industriels produisaient leur propre électricité … Puis au bout d’un moment on s’est rendu compte que des économies pouvaient être réalisées en centralisant la consommation et en créant des réseaux de distribution tout aussi centralisés. Le gain en efficience était très important. C’est pour cela qu’au 20ème siècle, l’énergie s’est développée de manière extrêmement centralisée, avec des monopoles d’état sur la production et sur le réseau. En France on est peut-être encore un des réseaux les plus centralisés au monde. Bien qu’il n’y ait plus de monopoles à proprement parlé, les énergéticiens ont un mode de production qui reste centralisé. En ce qui concerne les réseaux de distribution et de transport, ils sont exploités en leur quasi-intégralité par ERDF et RTE.
Aujourd’hui, les nouvelles formes d’énergies, renouvelables, sont toutes décentralisées par leur nature. En Allemagne, entre 70 et 80 % des nouvelles puissances installées en solaire sont du fait d’individus ou de petites collaboratives et non pas de gros énergéticiens créant des centrales solaires. Ainsi, de plus en plus de pays dans le monde commencent à voir leur production énergétique décentralisée, challengeant la partie « réseau » qui a été conçue pour une production centralisée.
Le modèle actuel de gestion du réseau n’est donc pas optimal et sera, de fait, amené à changer de par l’intermittence des énergies nouvelles.
À New York, une coopérative a créé, grâce à la technologie Blockchain, un réseau d’électricité local qui combine énergie renouvelable et économie du partage, permettant des échanges décentralisés et sécurisés entre particuliers. À partir de ce système, on peut être capable de gérer ce que chacun injecte comme production énergétique dans le réseau, ce que chacun consomme, et directement mettre en place un système de paiement sécurisé.
Je ne dis pas qu’il faille faire disparaître ERDF ou EDF, mais on peut gérer les choses de manière bien différente. Au vu des moyens investis dans les nouveaux compteurs Linky, la tendance en France n’est clairement pas de tester ces nouveaux systèmes décentralisés. Dans d’autres pays, c’est l’inverse qui se produit. La possibilité de voir apparaître directement ces modèles, dans les pays en voie de développement n’ayant pas encore de réseau centralisé mature par exemple, est tout à fait possible.
ES : Pouvez-vous nous donner un exemple de projet que OuiShare a aidé à grandir ?
GD : Pendant la résidence d’innovation POC21 dont je vous ai parlé précédemment, plusieurs projets ont été réalisés. L’un d’eux est le projet « 30 wind turbine » qui a pour objectif d’apprendre à réaliser une éolienne à bas coût. Pour 30 $ seulement, il est possible de générer 80W sous un vent de 25 km/h, et jusqu’à 1000W sous un vent de 60 km/h. Cette éolienne peut être entièrement fabriquée à partir de matériaux de récupération et de pièces standards. Elle a été conçue et pensée par un spécialiste en technologie open source.
Un autre projet, Sunzilla, est un générateur solaire open source, portable et simple d’utilisation pour donner accès à l’électricité dans des zones reculées, conçu pour une utilisation « plug-and-play ».
Pour plus d’informations, n’hésitez pas à consulter le site internet du POC21.
ES : Pour conclure, quel est, à votre avis, l’avenir de l’énergie collaborative en France ? Va-t-on vers une « ubérisation » de l’énergie ?
GD : « L’ubérisation » de l’énergie, qui, on le rappelle, est différente de l’économie collaborative, n’aura de sens que dans des contextes de forte décentralisation avec des plateformes qui joueront les intermédiaires. Le fait d’introduire le numérique dans le réseau avec les compteurs intelligents Linky, ouvre forcément la porte à de nouveaux acteurs.
En ce qui concerne l’autoproduction et le partage à petite échelle, cela prend de l’ampleur dans les pays où le réseau n’est pas très développé. En France, les choses bougent plus lentement car on n’a pas réellement besoin de décentraliser l’énergie. Pour l’instant ce n’est clairement pas une tendance de la société française.