En 2014, Energystream publiait un grand dossier sur les énergies renouvelables motrices d’une décentralisation énergétique.
Nous constations alors que la décentralisation des moyens de production était en marche. Nous percevions que les progrès technologiques et l’ouverture des marchés allaient rapprocher les sites de production des consommateurs. Aujourd’hui, non seulement la production se décentralise, mais l’ensemble du système énergétique évolue : Comment cette décentralisation s’opère-t-elle ? Quels en sont les leviers et les freins ? A quelle maille s’organisent production, distribution, consommation ? Quel avenir pour les acteurs historiques ? les nouveaux entrants ? les collectivités ? Quels nouveaux modèles économiques à inventer ? Afin de mieux comprendre ce mouvement et de nous représenter le monde de demain, nous sommes allés à la rencontre d’acteurs, privés et publics, historiques et émergents. Nous publions leurs points de vue personnels (ils parlent librement, en leur nom). Nous tenons à les verser au pot de la réflexion citoyenne.
Cette semaine : Jean-Claude BAUDRAIS, Maire de Pénestin et l’équipe projet Partagélec.
Pouvez-vous nous présenter succinctement le projet Partagélec ? Quel en est le périmètre et les objectifs de l’expérimentation ? Et pourquoi avoir choisi la commune de Pénestin ?
Partagélec est une expérimentation de l’autoconsommation collective d’électricité photovoltaïque qui s’étend sur la Zone d’Activité du Closo à Pénestin, commune du Morbihan. La production photovoltaïque est assurée par 240 m2[1] de panneaux installés sur la toiture des ateliers municipaux. La priorité est donnée aux artisans de la zone d’activité et aux particuliers à proximité immédiate. Actuellement 10 consomm’acteurs ont manifesté leur intérêt avec une mise en place progressive qui pourrait toucher à terme les 76 clients raccordés au réseau.
L’expérimentation Partagélec, retenue dans le cadre d’un appel à projets[2] national lancé par ENEDIS et homologuée SMILE[3] a pour objectif principal de valider la production et l’utilisation en circuit court d’électricité partagée. ENEDIS et les partenaires du projet vont mettre à l’épreuve les technologies installées dont le compteur Linky, mais aussi tester le modèle économique en circuit court, la maîtrise de l’énergie locale en complément d’un réseau national ou encore la pérennité des montages juridiques et tarifaires.
Pénestin est depuis longtemps engagée dans la transition énergétique aux côtés de son intercommunalité, Cap Atlantiques et de son syndicat d’énergie, Morbihan énergies. Les acteurs ont rapidement accepté d’explorer cette voie innovante issue de la loi relative à la transition énergétique.
Après une étude de faisabilité, Partagélec entame maintenant sa phase de mise en place opérationnelle avec une inauguration le samedi 31 mars 2018.
Quelles ont été les principales difficultés rencontrées pour mettre en place le projet ?
Le projet a nécessairement dû faire face à des inconnues propres au fait que c’est une expérimentation.
L’autoconsommation individuelle est aujourd’hui maitrisée. La difficulté dans une installation collective comme la nôtre, réside dans la mise en adéquation de la production à des consommations foisonnées auxquels il faut appliquer des coefficients de répartition.
À propos du cadre réglementaire, nous avons des éléments de cadrage avec Enedis, mais beaucoup reste encore à faire, notamment pour le cadre tarifaire définit par la CRE. Des ajustements seront nécessaires dans la gestion avec les fournisseurs pour le complément ou encore dans la relation producteur / PMO[4] / consomm’acteurs.
Comment est associée la population à l’expérimentation ?
Les artisans ont été très tôt associés au projet. Pour eux, le principal levier n’est pas forcément de payer moins cher l’électricité, mais de ne pas payer plus cher tout en consommant « local ». Pour cela, nous devrons aller chercher une ingénierie financière adaptée sur l’énergie livrée, mais aussi sur des efforts de Maitrise de la Demande en Energie (MDE).
Le cycle est en tout cas vertueux et adapté à des chefs d’entreprise pour qui l’énergie n’est pas la préoccupation essentielle. L’expérience nous a montré que la transparence est de rigueur, de pair avec du pragmatisme. Les consomm’acteurs n’auront pas d’investissement à faire et le prix de l’électricité sera maintenu pendant 20 ans. Ils ont accepté aujourd’hui d’activer la mesure de leurs courbes de charge et sont dans l’attente d’une proposition ferme de la part de la personne morale avant de s’engager officiellement. Mais ils sont déjà dans l’aventure Partagélec !
Le compteur Linky est-il installé à Pénestin ? Si oui, comment va-t-il servir l’expérimentation ?
Le compteur Linky est déployé depuis le mois d’avril 2017. Sans lui, l’opération n’aurait pas pu se faire, car il permet de collecter les courbes de charges de la production et de la consommation d’électricité de chaque participant. C’est un outil qui va servir à Enedis à calculer et transmettre à la PMO, la quote-part de production à affecter à chaque participant. Les modalités de cette répartition sont fixées dans la convention d’autoconsommation. Cette dernière dimensionne la part d’autoconsommation, et d’alloconsommation pour chaque participant.
Linky est une technologie essentielle, mais qui devra demain s’accompagner d’autres capteurs si l’on souhaite pousser la MDE et les flexibilités à un stade plus avancé. Nous rappelons que l’ensemble des données qui seront échangées se feront avec le consentement des consomm’acteurs et des producteurs, dans le cadre d’un protocole approuvé par la CNIL.
Le projet Partagélec a-t-il recours à un système de stockage de l’électricité ?
Le choix a été fait de ne pas avoir recours au stockage d’électricité sur Partagélec. L’étude a démontré qu’avant de solliciter un tel usage, il est préférable de foisonner les consommations et d’introduire de la flexibilité, avant même de considérer du stockage. Ainsi, la zone accueille des véhicules électriques et des chariots électriques, lesquels demain pourront être adaptés au profil de consommation.
Selon un rapport récent de l’ADEME sur l’autoconsommation collective, la rentabilité d’un projet d’installation d’autoconsommation repose sur le juste dimensionnement de l’installation PV. Elle ajoute que la rentabilité sans aide publique d’une installation en autoconsommation est déjà atteinte dans le sud de la France Comment comptez-vous atteindre l’équilibre production / consommation ? Quelle est la rentabilité attendue pour le projet Partagélec ?
Nous avons limité l’installation à une puissance de 40 kWc avec un raccordement en 36 kVA afin de limiter les coûts liés au raccordement. L’équilibre entre la production et la consommation est assuré par l’études de courbes de charges que nous délivre le compteur Linky à un pas de temps de 30 min. L’expérience nous permettra de monitorer dans le temps l’atteinte d’une autoconsommation à 100% en local, objectif court terme sur lequel nous sommes confiants. Nous avons cependant fait appel à Enercoop afin d’assurer la responsabilité d’équilibre (via Alterna) et également la prise en charge d’un surplus dans les premiers mois de l’opération.
Concernant la rentabilité, Il faut distinguer la rentabilité de l’installation PV de celle de l’opération d’autoconsommation collective. Nous atteignons sur Partagélec un coût de production du kWh particulièrement compétitif du fait des efforts combinés des maîtres d’ouvrage. Ce facteur clé du succès avait pour objectif d’atteindre une parité réseau, mais pas une parité marché (située à 53 €/MWh HTVA pour les clients de la zone). Cette parité réseau entend cependant des changements dans la construction tarifaire des participants ; il est donc trop tôt encore pour affirmer que nous atteindrons la parité réseau, mais nous ferons tout pour y arriver sur de futures opérations !
La CRE[5] a récemment publié 15 recommandations sur l’autoconsommation (15/02) dont certaines concernent l’autoconsommation collective :
- Ne pas étendre le périmètre au-delà du niveau de la « poche réseau » (même poste HTA/BT)
- Ne pas étendre l’exonération de CSPE[6] et des TCFE[7] aux opérations d’autoconsommation collective.
- Il invite les acteurs de l’énergie à s’exprimer sur « la façon de refléter dans les tarifs les coûts évités sur les réseaux par la production locale d’électricité ».
Quel est votre avis sur ces recommandations ?
Le fait de ne pas avoir d’exonération est un point dur du modèle économique. De plus, sur la consultation en cours sur le TURPE[8], nos premiers modèles montrent que sans Maîtrise de la Demande en Energie (MDE), les consomm’acteurs seront perdants. Même si la logique et le fond visent clairement à la sobriété et à l’efficience, c’est le bâton sans carotte qui est complexe à prendre en compte dans notre modèle actuel.
Comment comptez-vous passer de la phase expérimentale à la phase à plus large échelle ?
Comme évoqué précédemment, il y a bien entendu des contraintes techniques qu’il faudra lever, mais avant tout, il reste un levier économique à déclencher. Quand la production locale atteindra la parité marché, nous pourrons alors entrer pleinement dans une complémentarité locale / nationale, avec à la fois de l’approvisionnement en circuit court (autoproduction) et une solidarité nationale (alloproduction). N’oublions pas qu’en Bretagne nous dépendons à 85% des imports pour notre consommation d’énergie.
Nous remercions l’équipe projet Partagélec et plus particulièrement Mr BAUDRAIS, Maire de la Commune de Pénestin et Mr BERTIN, AMOA, pour leur disponibilité.
[1] Cela représente une puissance de 40 kW crête
[2] Les trois autres projets se situent à Bordeaux, perpignan (Digisol) et Forcalquier.
[3] Réseau électrique intelligent de la région Bretagne (Smart Ideas to Link Energies) déployé sur 4 départements entre 2017 et 2020.
[4] Personne Morale Organisatrice
[5] Commission de Régulation de l’Energie
[6] Contribution au Service Public de l’Electricité
[7] Taxe sur la Consommation Finale d’Electricité
[8] Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité