Selon l’ONU, les villes1 sont responsables de 50 à 60% du total mondial des émissions de gaz à effet de serre (80% si l’on prend en compte les émissions indirectes des habitants urbains) et consomment près de 75% de l’énergie mondiale. Elles ont par conséquent un rôle central à jouer dans la transition énergétique. Pour atteindre leurs objectifs environnementaux, elles doivent être en mesure d’outiller leurs décisions et de disposer de données environnementales fiables et exploitables. Une flotte de capteurs connectés en réseau couplée à des modèles statistiques prévisionnels, remontant des données quasiment en temps réel, constitue une des solutions. Aujourd’hui, un tel dispositif permet aux villes et aux industriels d’optimiser la gestion de leurs infrastructures (eau, transports, énergie, traitement des déchets, …), en anticipant et géolocalisant des évènements (pannes, surconsommation, etc…). Ainsi, la collectivité réduit ses factures et les industriels améliorent la durée de vie des infrastructures urbaines, ce qui permet d’augmenter la qualité de service aux usagers. Demain, grâce à une compréhension de plus en plus fine des phénomènes atmosphériques en ville, on pourrait imaginer des infrastructures (routes, bâtiments, mobilier urbain, etc…) composées de nouveaux matériaux dont le comportement s’adapterait aux conditions climatiques environnantes.
En France, les projets IoT d’une majorité d’industriels sont encore expérimentaux. Certains d’entre eux, comme Total ou EDF, ont développé leur propre « lab » de manière à expérimenter et prototyper rapidement. Sans être l’unique facteur clé de succès d’un projet IoT, utiliser un lab dédié aux expérimentations IoT est une bonne pratique dans laquelle trop peu d’entreprises ont suffisamment investi. Parallèlement, nos études (cf notre Livre Blanc « L’IoT Industriel, du PoC à l’industrialisation »), ont fait ressortir qu’une majorité d’entreprises ont choisi de collaborer avec des acteurs externes pour mener leurs projets IoT.
Ainsi, pour développer les villes de demain, de nouvelles méthodes de travail et de nouvelles organisations font surface, les lieux dédiés à la recherche et à l’innovation s’hybrident et se transforment. C’est dans cette dynamique qu’un consortium d’acteurs publics piloté par l’IFSTTAR (Institut Français des Sciences et Technologies des Transports, de l’Aménagement et des Réseaux) a lancé le projet Sense-City en 2011, une mini-ville laboratoire ayant pour double-objectif d’accompagner les acteurs industriels de la Ville dans l’expérimentation de leurs capteurs connectés et d’outiller la Recherche française d’un équipement permettant d’accélérer la R&D.
Après 3 ans de travaux, Sense-City était inaugurée le 3 avril 2018. Energy Stream a eu la chance de pouvoir la visiter et vous dévoile les contours du projet.
Qu’est ce que Sense-City ?
On ne perçoit pas sa présence du premier abord, mais à une vingtaine de kilomètres à l’Est de Paris, sur le territoire de Marne-la-Vallée, se développe le Cluster Descartes. Destiné à devenir le poumon scientifique de la Ville Durable Française, il s’anime autour de la Cité Descartes, principal pôle universitaire Français pour la Ville Durable. En pénétrant au cœur de ces lieux, un esprit curieux ne pourra s’empêcher de remarquer la présence d’un grand cube bleu. Cette structure unique au monde, c’est Sense-City, une chambre climatique abritant une mini-ville communicante.
Forte de 400 m² d’emprise au sol et de 10 mètres de hauteur pour un volume utile de 3 200m3, Sense-city présente l’avantage d’être mobile grâce à un système de rails, ce qui lui permet de pouvoir occuper alternativement 2 espaces. Ainsi, il est possible de construire une mini-ville sur l’une des zones, tout en conduisant une expérimentation sur l’autre. A l’intérieur de la Chambre, le réalisme est saisissant : une maison, une route, de la végétation, un feu rouge, un immeuble, des réseaux d’eau potable et d’eaux usées, et de grandes soupapes permettant de modifier les conditions climatiques de la chambre en fonction de scénarii choisis. Grâce à un système de télé pilotage, la température peut y passer de -10° à + 40°C en à peine 24H, il est possible d’y saturer l’air en humidité ou en polluants (Dioxydes de souffre, de carbone ou d’azote), d’y recréer du vent, les cycles du jour et de la nuit ainsi que le rayonnement du soleil. En parallèle, ces mini-villes sont instrumentées à l’aide d’un réseau de capteurs communicants, ce qui permet d’étudier :
- La performance d’aménagements et de matériaux urbains
- Le monitoring de la ville de demain grâce à l’envoi d’informations ad hoc
- La pollution de l’air, de l’eau et des sols
Avant d’être inclue au cœur de la chambre climatique, la mini-ville a d’abord été construite sous la forme d’un démonstrateur, en plein air, afin de commencer la réalisation d’expériences scientifiques. Equipé de 80 capteurs, ce démonstrateur de mini-ville communicante a jusqu’à aujourd’hui accueilli une quinzaine d’expérimentations. L’achèvement de la construction de la chambre va maintenant permettre de conduire des expérimentations grandeur nature, dont nous attendons les premiers résultats avec impatience !
Accélérer et fiabiliser le développement des innovations technologiques urbaines
La valeur ajoutée du projet repose sur deux aspects.
- Tester et fiabiliser les capteurs
Sense-City permet de contrôler simultanément un très grand ensemble de variables tout en répétant autant de fois que nécessaire les conditions climatiques voulues, ce qui n’est pas forcément possible en laboratoire, et impossible sur des tests en environnement urbain. Une fois le couple mini-ville/climat défini, ceci permet de tester et calibrer de nouveaux capteurs avec une grande précision. En parallèle, la possibilité de tester ces dispositifs dans le même environnement urbain mais avec des conditions climatiques réelles (hors-chambre), permet de comparer les résultats et de détecter de potentiels problèmes avec une meilleure justesse.
- Tester et fiabiliser les modèles scientifiques
En couplant la possibilité de définir et de répéter un scénario climatique avec celle d’exploiter des données remontées en temps réel par le réseau de capteurs, Sense-City permet de tester et fiabiliser les modèles physiques et mathématiques. Par exemple, les chercheurs peuvent étudier de manière très précise l’évolution de la pollution de l’air en fonction de la température et du vent. Le développement progressif de ces modèles permettra aux industriels d’entrer de plein pied dans l’ère du prédictif. Ils pourront estimer avec une précision de plus en plus accrue la durée de vie de leurs équipements, tout en imaginant, pourquoi pas, de leurs attribuer de nouvelles fonctionnalités.
En se développant tout d’abord sous la forme d’un démonstrateur, le projet a permis d’explorer et de préfigurer les sujets et thématiques pouvant être expérimentés au sein de la future chambre climatique. Le réalisme de la mini-ville et la méthode de conduite du projet ont permis de définir des cas d’usage simples, comme par exemple, la détection d’objets enterrés. En second lieu, ce mode de progression a aidé à organiser graduellement le travail en collaboration des différentes équipes du consortium.
Sense-City aspire à faciliter l’instrumentation, l’étude et le développement de la ville de demain. Loin de promouvoir une approche techno-centrée, le projet vise au contraire à favoriser le développement d’une Cité où la technologie permet de préserver la qualité de l’environnement urbain, tout en s’y s’intégrant harmonieusement. En outre, le milieu d’excellence au sein duquel s’est construit le Cluster Descartes représente pour les acteurs industriels de la Smart City une opportunité de se connecter à l’écosystème Français de recherche et d’innovation sur la Ville Durable.
Le financement du projet
Le projet est un Equipement d’Excellence (ou Equipex) financé dans le cadre du 1er Programme d’Investissements d’Avenir (PIA 1), à hauteur de 9 millions d’euros. Aujourd’hui arrivés à leur 3ème volet, les PIA, issus du rapport Juppé-Rocard de 2009, ont pour objectif de « préparer la France aux défis de demain », en orientant l’investissement public vers des secteurs stratégiques comme l’enseignement supérieur, la recherche, les Villes de demain ou encore l’économie numérique (liste non exhaustive). Le programme « Equipements d’Excellence » est doté d’un fond d’1 milliard d’euros et a pour but d’aider les Universités Françaises à rattraper leur retard dans leurs équipements de taille moyenne.
Désormais opérationnel, le projet Sense-City sera financé dans son fonctionnement par ses partenaires publics et privés.
Sense-City, au-delà du projet
Le capteur constitue le premier des trois maillons de la chaîne de valeur de l’IoT, la transmission et le traitement des données étant respectivement les deux restants. Sense-City permet d’expérimenter de nouvelles solutions de transmissions, mais n’a pas pour objectif direct le développement de plateformes de données. Pour maximiser le potentiel économique et sociétal de ces dernières, la question de la gouvernance des données que récolteront les capteurs développées grâce à Sense-City se pose. Comment seront-elles exploitées ? Doivent-elles devenir des communs numériques, à l’échelle d’une ville via une plateforme de données urbaines, ou d’un consortium d’acteurs privé ? Comment, grâce à quelle organisation, quel business model ?
Sense-City témoigne en réalité d’une tendance passionnante : l’intégration, l’hybridation de plus en plus poussée des systèmes et services urbains. La ville de demain, la « Smart City », c’est entre autre la ville qui aura su transformer cette tendance en modèle économique et sociétal durable, en créant de nouveaux usages et de nouvelles fonctions. Grâce aux capteurs connectés, le regard que l’on porte sur une route, un bâtiment ou même une simple poubelle se transforme. L’impact économique et sociétal de Sense-City sera maximisé si la structure parvient à catalyser et intégrer les efforts de recherche et d’innovation de ses futurs partenaires, qu’ils soient publics ou privés. Au-delà de ses seules dimensions physique et technologique, c’est en cela que Sense-City représente une mini-ville de demain : elle décloisonne, elle innove en co-construction et invite à débrider notre imagination.
Notes:
1 : Par ville, l’ONU entend agglomération, soit un ensemble d’habitations tel qu’aucune ne soit séparée de plus de 200 mètres en Europe, 500 mètres dans les pays en développement.
Bibliographie
Wavestone – J.B BLONDEL, R. POTOCKI, O. AJDOR. (2017). L’IoT Industriel: Du PoC à l’industrialisation[Brochure]. Author. Retrieved from https://www.wavestone.com/fr/insight/iot-industriel-industrialisation/
Fr.unhabitat.org. (2018). Énergie – ONU-Habitat. [online] Available at: https://fr.unhabitat.org/urban-themes/energie/
Présentation du projet. (2018). Sense-City. Retrieved 23 April 2018, from http://sense-city.ifsttar.fr/presentation/
Equipements d’excellence – ESR : enseignementsup-recherche.gouv.fr. (2018). Enseignementsup-recherche.gouv.fr. Retrieved from http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid51361/equipements-d-excellence.html