Lors de la conférence environnementale de septembre dernier, François Hollande a relancé l’idée d’une « communauté européenne de l’énergie », soumise par Jacques Delors en 2010. Le Secrétariat Général aux Affaires Européennes de Matignon étudie la question, entouré d’experts tels qu’Anne Lauvergeon, ancienne présidente du directoire d’Areva, Jean Jouzel, climatologue ou encore le président des conseils de surveillance RTE et ERDF, André Merlin.
Lorsqu’on observe les difficultés actuelles auxquelles est confrontée la France pour aboutir à une politique nationale de transition énergétique, ce projet semble pour le moins ambitieux. Pourquoi proposer un tel projet aujourd’hui ? Que disent les traités Européens en matière d’énergie ? Quelles sont les limites de la politique énergétique européenne ? Quelles réponses apporteraient la création d’une communauté européenne de l’énergie ?
L’Europe doit faire face à l’urgence énergétique
Si l’Europe aurait grand besoin d’un nouveau projet fédérateur tel que la création d’une communauté européenne de l’énergie, cette proposition répond avant tout à l’urgence énergétique à laquelle elle est confrontée: pénuries d’énergie, coût des matières premières, concurrence internationale, changement climatique, …
L’Union Européenne est de plus en plus dépendante des importations d’énergie. En 2000, l’Europe produisait 25% de sa consommation, aujourd’hui elle en produit uniquement 13%. En 2050, elle devrait importer 90% de ses besoins énergétiques, selon la ministre française de l’énergie.
En parallèle, nous sommes confrontés à une crise environnementale qui implique un changement radical de nos modes de production et de consommation d’énergie.
Les divers débats nationaux liés à la transition énergétique, aux sources alternatives d’énergies ou encore les expérimentations liées à l’effacement diffus témoignent de cette urgence climatique.
Pour relever ces défis énergétiques, l’Europe doit se doter au plus vite d’une politique énergétique commune. L’intégration et la solidarité énergétique à l’échelle européenne vont rapidement devenir deux éléments indispensables à la souveraineté de l’Europe.
Une Europe construite autour de l’énergie…
L’énergie a toujours été au cœur de l’intégration européenne. Initialement prétexte au rapprochement entre la France et l’Allemagne, l’énergie est présente dès les premiers traités fondateurs d’une idée européenne commune. Tel est le cas de la CECA (1951) et de l’Euratom (1957), qui dotent l’Europe d’outils spécifiques à l’énergie.
En 1967, la guerre de Six Jours et la fermeture du Canal de Suez conduisent l’Europe à prendre conscience de sa vulnérabilité énergétique. Ces évènements ont d’abord donné naissance à l’Agence internationale de l’énergie, AIE, créée par l’OCDE en 1974 avec un objectif de préservation des stocks, puis à l’adoption de directives encadrant la création des marchés intérieurs du gaz et de l’électricité en 1990.
Pourtant, parmi les traités ultérieurs, de la CEE au traité de Nice, aucune règlementation structurante en matière d’énergie n’est mise en place.
Le traité de Lisbonne (2007), quant à lui, définit les compétences partagées de l’Union tout en préservant la souveraineté nationale en matière de ressources et de fiscalité.
Ce n’est qu’entre 2008 et 2009 que l’Europe adopte enfin un cadre règlementaire relatif au marché intérieur de l’énergie et s’accorde sur l’objectif des « 20-20-20 », visant à faire de l’UE l’économie moderne la plus respectueuse de l’environnement à horizon 2020.
…sans politique énergétique commune
Malgré ces différentes initiatives destinées à mettre en place un marché européen de l’énergie, l’Union n’est pas parvenue à mettre en place une politique énergétique commune.
La principale difficulté à laquelle est confrontée l’Europe porte sur la dimension extérieure du marché de l’énergie qui fait toujours défaut à la politique énergétique européenne et ne permet pas à l’Europe de s’imposer sur la scène internationale.
Par ailleurs, les outils de contrôle dont est dotée l’Union sont insuffisants : peu contraignants, ils ne portent pas sur l’ensemble des domaines liés à l’énergie. Ainsi, l’UE n’a pas compétence à établir des directives concernant la recherche, le développement ou encore l’investissement dans les réseaux.
De plus, les objectifs européens en matière d’énergie manquent d’ambition. A l’heure actuelle, ils prévoient principalement :
• D’inciter les Etats membres à adopter une démarche durable en matière d’énergie
• De fournir aux citoyens et aux entreprises des services énergétiques compétitifs et performants
• De fiabiliser l’approvisionnement en favorisant une tarification abordable et compétitive.
En outre, il n’existe à ce jour aucun accord sur le mix énergétiques entre les états membres. L’application du cadre règlementaire qui définit notamment la libéralisation progressive du marché de l’énergie et le système des échanges de quotas d’émission est limitée par des intérêts nationaux, souvent contradictoires.
Ces divergences de points de vue limitent la cohérence entre les politiques énergétiques nationales des Etats membres et freinent également la mise en place de cadre règlementaire pérenne.
Les premiers acteurs à subir les effets du cadre législatif mouvant sont les entreprises et associations européennes dont les investissements sont tributaires des subventions européennes.
Enjeux d’une communauté européenne de l’énergie
L’ Europe doit s’accorder sur une vision à long terme permettant aux différents acteurs de l’énergie de réaliser des investissements favorisant l’intégration européenne et le développement des énergies renouvelables.
Il est également essentiel que les impacts des politiques énergétiques nationaux soient évalués et discutés à l’échelle européenne.
Selon une proposition soumise par le think tank « Notre Europe » et portée par Jacques Delors en 2010, la communauté européenne de énergie devrait remplir les objectifs suivants :
• mettre en commun des ressources d’énergie afin de stabiliser les prix et l’accès à l’énergie ;
• préserver la compétitivité de l’industrie européenne ;
• assurer une transition vers un développement durable ;
• garantir l’approvisionnement en énergie.
Ces objectifs pourraient se traduire par des mesures telles que :
• l’optimisation du marché intérieur de l’énergie pour aboutir à un marché fiable, sécurisé et compétitif ;
• la mise en place d’un réseau intégré et intelligent en ligne avec les objectifs de développement durable. Nous pouvons imaginer que cette intégration passe notamment par la mise en place d’un gestionnaire du réseau de transport électrique européen, l’équivalent de RTE en France ;
• la mise en œuvre de mesures de stabilisation des prix qui atténueraient les fluctuations du marché lorsque celles-ci ont un impact social ou compétitif ;
• l’adoption d’un portefeuille énergétique commun et diversifié favorisant les recours aux énergies renouvelables ;
• la mise en place d’une fiscalité européenne de l’énergie permettant de financer une partie du budget européen de l’énergie ;
• la mise en place des réserves stratégiques supérieures aux réserves actuelles pouvant être réparties à l’ensemble de la population européenne ;
• une représentation commune des intérêts de l’UE en dehors de ses frontières.
La route sera longue avant la mise en place d’une communauté européenne de l’énergie ; aujourd’hui encore, certains pays ne transposent pas dans la législation nationale les directives européennes en matière d’énergie. Il semble néanmoins indispensable que l’Europe s’accorde enfin sur une vision commune qui permettra de relever le défi énergétique.
Afin d’élaborer une proposition concrète, le Secrétariat Général aux Affaires Européennes devra apporter des réponses à des sujets sensibles tels que la portée de cette nouvelle communauté.
Ce projet doit-il intégrer les 27 états membres ou uniquement les quelques membres favorables à l’adoption d’une vision commune de l’énergie ?
Une question clé qui nous rappelle pourquoi l’Europe est encore trop souvent qualifiée d’ « Europe à plusieurs vitesses »…
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