A l’occasion du Tesla Battery Day du 22 septembre dernier, et dans un style très similaire aux Keynotes qui ont fait la renommée d’Apple, Elon Musk a dévoilé son projet de nouvelle génération de batteries qui équipera les véhicules de la marque dans les prochaines années.
Quoique décevantes aux yeux de certains observateurs, des évolutions majeures ont été annoncées. Mais outre un travail sur le coût, les performances, et l’impact environnemental des batteries Tesla (remplacement d’une partie du cobalt par du nickel, gains de poids, autonomie augmentée de 16%, travail sur un « silicone » susceptible de remplacer le lithium), ce sont des enjeux d’approvisionnement et de souveraineté sur la fabrication de ses batteries qu’Elon Musk a abordé à demi-mot. En effet, « si à court terme Tesla compte sur ses fournisseurs (entre autres Panasonic, LG ou CATL), l’objectif est bien la production par l’entreprise de ses propres batteries d’ici quelques années. Le projet « Roadrunner » constitue donc un projet ambitieux de long terme dans la feuille de route du constructeur de véhicules américain » Source – article du monde de l‘énergie relayant l‘évènement.
Evolution des ventes mondiales de véhicules électriques et de cellules de batteries lithium-ion à horizon 2040 [2]
Cette volonté d’intégration verticale du géant américain est loin d’être anodine, elle témoigne d’une structure complexe de la chaine de valeur de la batterie. Le contrôle de la production mondiale de batteries est en effet amené à être de plus en plus stratégique, face à une demande en train d’exploser.
Une chaine de valeur que le journaliste français Guillaume Pitron, spécialisé dans les matières premières, va même jusqu’à comparer à un champ de bataille. Dans son best-seller sorti en 2018 La guerre des métaux rares – La face cachée de la transition énergétique et numérique, il insiste particulièrement sur la position dominante de la Chine sur le marché des accumulateurs.
Comment se décompose la chaine de valeur de la batterie ? Quels en sont les acteurs clés ? Peut-on réellement parler d’hégémonie ? Quel rôle pourraient jouer les acteurs européens ?
Qu’est-ce qu’une batterie ? De quoi est-elle constituée ?
Bien que la batterie soit devenue un élément ordinaire du quotidien, dans nos smartphones, appareils électriques, ou encore véhicules, il convient de rappeler son principe de fonctionnement et ses éléments constituants.
Il existe aujourd’hui de nombreux types de batteries d’accumulateurs rechargeables : batteries au plomb, lithium-ion (Li-ion), nickel hydrure métallique (NiMH), nickel-cadmium (NiCd)… Les batteries lithium-ion sont cependant les plus mises en avant, du fait de leurs performances techniques élevées, leur légèreté, leur petite taille, leur durée de vie, et surtout, leur haut potentiel de progrès de réduction des coûts. La batterie lithium-ion est bien partie pour devenir la technologie dominante au cours des prochaines décennies, surtout dans le marché de la mobilité électrique. [1]
Les 6 principaux types d’accumulateurs lithium-ion, la formule chimique de la technologie (qui correspond souvent à la composition de la cathode) et leurs applications sont résumés ci-dessous :
Différentes technologies d’accumulateurs lithium-ion et leurs applications spécifiques (2019) [6]
Ce que l’on appelle communément « batterie » est un assemblage d’accumulateurs électriques ou cellules électrochimiques, reliées les uns aux autres de façon à créer un générateur électrique. Les cellules permettent de stocker de l’énergie électrique sous forme chimique et de la restituer de manière contrôlée. Le fonctionnement électrochimique d’une cellule est expliqué dans le schéma ci-dessous :
Schéma de fonctionnement d’une batterie lithium-ion [1]
Le lithium, le cobalt, le graphite, le manganèse, et le nickel sont des matériaux communément utilisés pour la fabrication des cellules. Ils sont particulièrement sensibles du fait de leur rareté, de leur difficulté d’extraction, ou de raffinage.
Le nombre de cellules assemblées, leur composition, leur taille, la façon dont elles sont agencées, déterminent la tension de la batterie, la capacité, et donc la quantité d’électricité qu’elle est en mesure de stocker en kWh. L’assemblage est supervisé par différents systèmes de refroidissement, de contrôle et de protection comme le BMS (Battery Management System) qui empêche notamment une charge ou une décharge trop profonde et assure l’équilibrage des tensions. Cela permet d’augmenter la longévité des cellules et de garantir la sécurité des utilisateurs. Le « bloc-batterie » peut ensuite être installé dans le produit final, un véhicule électrique par exemple.
A quoi ressemble la chaîne de valeur de la batterie ? Comment se partage-t-elle entre les différents acteurs ?
Le schéma ci-dessus montre sans surprise que l’Asie, et plus particulièrement la Chine, détient une grande partie des capacités mondiales de production en amont (extraction, raffinage, etc.) de la chaine de valeur. Les ressources sont pourtant réparties en plusieurs régions du monde, et la Chine ne semble pas posséder de monopole en dehors du graphite. Les entreprises asiatiques ont donc développé une vraie stratégie de mainmise sur la partie amont de la chaine valeur. Les industries européennes, bien que présentes dans la plupart des chainons, ne permettent pas à l’Europe de s’auto-suffire en production de batteries pour véhicules électriques, et restent dépendantes des entreprises asiatiques.
En revanche, la majorité des constructeurs automobiles choisissent de concevoir et produire le bloc-batterie en interne afin de contrôler au mieux les performances et de maximiser le profit. Les déclarations du Battery Day 2020 ont laissé transparaitre la volonté de Tesla d’aller plus loin en limitant sa dépendance à la partie amont de la chaine de valeur.
L’Europe et les batteries : quelles sont les contre-attaques envisagées ?
Dans le rapport de la commission au parlement européen d’avril 2019 – Mise en œuvre du plan d’action stratégique sur les batteries : créer une chaîne de valeur stratégique des batteries en Europe – la dépendance de la filière européenne de la batterie à des acteurs extra-européens est clairement identifiée. S’intéressant particulièrement à la filière de l’automobile, stratégique pour les industries de plusieurs pays membres (en particulier l’Allemagne et la France), cette publication plaide pour la création rapide d’une filière européenne, capable d’adresser un marché continental qui pourrait s’élever jusqu’à 250 000 000 000 EUR chaque année à partir de 2025.
C’est ainsi que pour conserver l’accès à son marché intérieur, et tenter de contrer l’hégémonie asiatique, a été créée L’Alliance Européenne pour les Batteries (ou European Battery Alliance (EBA)) en 2017, dotée de 3,2 milliards d’euros d’aides publiques. Souvent surnommée “l’Airbus des batteries”, cette initiative a débouché en France sur la naissance d’une société commune entre PSA, Total (via sa filiale Saft), BASF, Solvay, Renault, avec pour objectif à moyen terme la création de plusieurs « gigafactories ». Par ailleurs l’activité de l’EBA englobera l’ensemble du cycle de vie des batteries, jusqu’à leur recyclage. Ainsi, la société Grenobloise Verkor ambitionne elle aussi la création d’une gigafactory française, avec le soutien des grands industriels de la région (Schneider Electric, EIT InnoEnergy, et le groupe IDEC).
Certains, comme Guillaume Pitron, appellent même de leurs vœux une réouverture des infrastructures minières françaises et européennes, afin d’assurer un meilleur contrôle de l’extraction des matériaux de fabrication de batteries :
« Je formule donc une proposition provocatrice mais sérieuse : pourquoi ne pas relancer l’extraction minière en Europe et dans le monde occidental afin de maîtriser nos approvisionnements, garantir une exploitation écologiquement et socialement responsable de ces minerais, et développer une filière de recyclage ? Un règlement européen va entrer en vigueur en 2021 pour obliger les industriels européens à mieux contrôler leurs chaînes d’approvisionnement. »
Reste à savoir s’il n’est pas déjà trop tard, compte-tenu du retard accumulé sur les parties amont de la chaine de valeur. L’Europe pourra malgré tout miser sur le dynamisme et l’excellence de sa filière R&D, à laquelle iront certains financements de l’EBA. Ainsi, la batterie du futur fait l’objet de recherches prometteuses, avec de nombreux acteurs travaillant sur de nouvelles générations et technologies de batteries (lithium-zinc, redox-flow, batterie solide …). L’objectif à moyen et long terme : des batteries plus durables, plus performantes et plus … européennes.
Quoi qu’il en soit, les acteurs européens sont amenés à jouer un rôle important dans l’intégration des technologies de batteries au paysage industriel mondial. Que ce soit dans la mobilité ou le stockage stationnaire (intégration des productions renouvelables intermittentes, gestion des réseaux, autoconsommation), ces équipements nécessiteront la création d’une filière dédiée à leur exploitation, la gestion de leur cycle de vie, leur recyclage … et ce à très court terme. En effet, ces aspects représentent des enjeux économiques et écologiques considérables, qui ne sont pour le moment que faiblement adressés par les fabricants.
La chaine de valeur de la batterie présentée ici est donc loin d’être figée !
Sources des schémas :
[1] https://unctad.org/system/files/official-document/ditccom2019d5_en.pdf
[3] https://ec.europa.eu/jrc/sites/jrcsh/files/jrc105010_161214_li-ion_battery_value_chain_jrc105010.pdf
[4] https://pro.largus.fr/actualites/voitures-electriques-les-chiffres-cles-dans-le-monde-10398397.html
[5] https://www.connaissancedesenergies.org/sites/default/files/pdf-actualites/globalevoutlook2018.pdf
[6] https://batteryuniversity.com/learn/article/types_of_lithium_ion