Que sont les Small Modular Reactors (SMR) ? Quels sont les atouts de cette nouvelle forme de réacteurs nucléaires ? Comment s’inscrivent t’ils dans l’écosystème du nucléaire ?
Puissance nucléaire reconnue, la France tient à remettre sur le devant de la scène son rôle de leader en matière de production d’électricité nucléaire devant ses voisins européens. Prônée comme une véritable possibilité pour une transition énergétique bas carbone, cette source d’énergie fait cependant face à de nombreux enjeux de coûts, de sûreté et d’environnement. La construction de structures plus petites et modulables que les centrales nucléaires traditionnelles, mais aussi présentées comme étant plus rapides à construire et plus sûres que ces dernières, est une alternative envisageable. Les Etats-Unis, la Chine, la Russie, le Canada et le Royaume-Uni prototypent depuis quelques années déjà des solutions de « petite puissance » afin de répondre en partie à leur besoin croissant en énergie décarbonée.
C’est dans cette logique que la France a présenté fin 2021 son plan de relance économique France 2030, où le nucléaire est exposé comme étant une technologie à fort potentiel dans les transitions énergétique et écologique, ainsi qu’une opportunité de déploiement à l’export. Emmanuel Macron a indiqué vouloir mobiliser un investissement d’un milliard d’euros dans la filiale nucléaire française, dont 470 millions d’euros lissés sur deux ans consacrés au développement de petits réacteurs nucléaires : les SMR, Small Modular Reactors.
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Le projet Nuward développé par EDF, TechnicAtome, Naval Group et le CEA (Commissariat à l’Energie Atomique) a l’ambition de déployer cette nouvelle technologie en France. Lancée en septembre 2019, cette démarche a récemment pris de l’ampleur à la suite des annonces gouvernementales en faveur du développement de SMR. En effet, le chef de l’Etat voit en ces petits réacteurs modulaires « une technologie de rupture pleine de promesses ». Reste à voir si les SMR permettront de conforter la France dans sa place d’acteur majeur du nucléaire, ou bien si d’autres pays prendront cette place à l’échelle internationale.
Que sont les SMR ?
Caractérisques principales et fonctionnement
Les Small Modular Reactors (SMR), ou réacteurs nucléaires modulaires, sont des centrales nucléaires de petite taille fabriquées sous forme de modules, développées depuis une vingtaine d’années. Cette technologie nucléaire permet une fabrication industrielle en série, moins coûteuse et moins chronophage que celle des centrales traditionnelles, et dont le dispositif est ensuite installé directement sur site.
lanouvellerepublique.fr – energynews.fr – sfen.org
Cette solution nucléaire de dernière génération fonctionne simplement : les SMR peuvent être installés seuls ou assemblés pour former un réacteur, avant d’être enfermés dans une cuve métallique, elle-même immergée dans un bassin d’eau. Le reste du procédé est ensuite similaire à celui d’une centrale : la chaleur dégagée par la fission nucléaire est convertie en vapeur qui entraîne une turbine et la fait tourner comme un alternateur, qui transforme l’énergie mécanique en énergie électrique.
La puissance moyenne d’un SMR est de 150 à 170 MW pour les réacteurs actuellement développés dans le projet Nuward – soit 10x moins qu’une centrale classique, mais équivalente à une centrale à charbon. Leur taille, variant de 25 à 30 mètres de haut et d’environ 4 mètres de diamètre, promet une installation plus simple du dispositif. Ces réacteurs sont ainsi conçus pour produire de l’énergie en moindre quantité, à échelle locale et plus simplement.
La lutte environnementale contre les émissions de gaz à effet de serre devenant intense et se conjuguant avec une demande croissante d’énergie décarbonée, les SMR apparaissent comme une réponse adaptée et compétitive. En effet, ces réacteurs miniatures sont à la fois sources d’électricité et de chaleur, et peuvent apporter diverses solutions :
- En premier lieu, une alimentation énergétique supplémentaire, notamment dans des régions isolées, que ce soient pour des foyers ou des zones industrielles
- Une production d’électricité décarbonée, en quantité suffisante et non sensible aux aléas météorologiques, permettant ainsi de promouvoir un mix fiable et flexible (car elle peut être couplée à une autre source d’énergie)
- Dans une moindre mesure, une source de chaleur nécessaire à la production d’hydrogène utile aux chauffages urbains et industriels ainsi qu’aux usines de dessalement pour la production d’eau douce (ce qui évite de passer par des centrales à charbon ou d’autres sources d’énergie ou de chaleur fossiles)
Un modèle économique qui repose sur trois leviers
Les réacteurs modulaires possèdent des avantages majeurs directement liés à leur conception, et présentent trois leviers économiques : modularité, production en série et standardisation.
Trois leviers qui permettent d’optimiser le modèle économique des SMR – Infographie Wavestone
Tout d’abord, leur modularité permet un assemblage simplifié et adapté au besoin local : plusieurs SMR peuvent s’accorder pour obtenir une plus grande quantité d’énergie. Leur flexibilité, opérée par une technologie de pointe, simplifie la maintenance et réduit ses coûts. La modularité offre également la possibilité de coupler ce système à une autre source d’énergie (renouvelable par exemple), ce qui peut encourager le développement des énergies vertes dans le mix énergétique français.
La fabrication de ces petits réacteurs nucléaires est réalisée en série, un mode de production plus rapide, fiable et dont la visibilité permet une meilleure maîtrise des coûts et des délais. Ce moyen de fabrication permet d’optimiser de fait toute la chaîne de production, tout en simplifiant le transport (routier ou fluvial) et l’installation des équipements sur site.
Enfin, la standardisation des SMR leur permet d’être utilisés dans plusieurs régions ou pays, ce qui représente une grande opportunité de marché pour les constructeurs. En revanche, avant de pouvoir exporter les SMR, il faudra gagner la course au nucléaire, et s’imposer devant des puissances ayant probablement une longueur d’avance, en proposant un produit performant et fiable.
L’optimisation de ces trois leviers permettrait donc aux SMR d’atteindre un modèle économique viable, à la fois rentable et compétitif.
Les SMR peuvent-ils répondre aux enjeux énergétiques actuels ?
Le secteur de l’énergie doit faire face à de sérieux enjeux, inhérents aux problématiques sociales et environnementales. Ménages et industriels souhaitent voir les prix de l’énergie baisser, l’impact sur l’environnement amoindri et la sûreté nucléaire améliorée. Les SMR sont-ils capables de répondre à ces enjeux pour faire l’unanimité ?
Les coûts de production d’énergie par SMR
Tandis qu’une centrale nucléaire de type EPR nécessite une enveloppe moyenne d’une dizaine de milliards d’euros (comme celle de Flamanville dont le coût à terminaison s’élève à 12,7 milliards d’euros d’après EDF), la construction d’un SMR varie entre 100 millions et 1,5 milliards d’euros (d’après Futura Science), en fonction de la taille et des technologies employées. Il va sans dire que ces petits réacteurs modulaires sont moins onéreux, notamment grâce à leur production en série et leur installation qui nécessite moins de génie civil. Cette réduction de coûts induite par la simplification des procédés a néanmoins été financée par des investissements conséquents en recherche et développement, qui se répercutent sur le prix de vente de l’énergie.
Par ailleurs, dans un article des Echos, Bernard Salha (Directeur R&D d’EDF) explique que « l’histoire du nucléaire a plutôt été d’augmenter la taille des réacteurs pour réduire le coût du kilowattheure, et donc de compenser la taille plus petite en cherchant une conception très modulaire et en maximisant la part qui pourrait être faite en usine ». En termes de coûts, les SMR possèdent des avantages similaires aux EPR. Ils dépendent très peu des prix de l’uranium, matière première qui a une faible part dans la répartition totale des coûts, et ne sont pas touchés par la taxe carbone dont le prix actuel s’envole. Les SMR seraient donc très intéressants, à condition que la promesse du modèle économique soit tenue – sans cela, les coûts augmenteraient fortement, rendant l’énergie plus chère et le modèle de fait déficitaire.
Graphique Wavestone – Source chiffres : ADEME, rte-France, sfen.org, happ-e
Les besoins croissants en énergie
Les prévisions indiquent une forte croissance de la demande d’énergie d’ici 2030, et d’autant plus conséquente dans les décennies suivantes. En 2019, les Français consommaient 470 TWh ; en 2050, ce chiffre bondirait jusqu’à 730-840 TWh, soit une hausse de près de 60%. À l’échelle mondiale, la dynamique est similaire (si ce n’est plus accrue), notamment avec une croissance attendue pour chaque source d’énergie primaire.
La proportion du renouvelable devrait grimper, faisant chuter la part du pétrole et du charbon, mais sans pour autant déstabiliser les autres types d’énergie – dont le nucléaire. Des perspectives encourageantes pour le développement des SMR ont été publiées par l’Agence de l’énergie nucléaire de l’OCDE, qui précise que leur marché potentiel atteindrait les 20 GW à l’horizon 2035 – de quoi confirmer la pertinence énergétique et économique de ces réacteurs.
Précisons d’une part que ces chiffres évoluent différemment en fonction des pays. Les pays membres de l’OCDE connaitront selon les prévisions une moindre croissance de leur consommation d’énergie, tandis que les pays non-membres auront des besoins plus accrus. Notons d’autre part que la proportion d’énergie nucléaire tend à se stabiliser dans les pays membres de l’OCDE et à croitre dans les pays non-membres. Il y a de fait une carte à jouer dans la course au nucléaire, tout particulièrement à l’export dans les pays en voie de développement.
connaissancedesenergies.org
La construction en grande série des SMR leur permettrait d’atteindre jusqu’à 10% de la part d’énergie nucléaire produite dans le monde, selon l’ Il convient donc de poser les SMR comme un complément de l’énergie déjà produite pour l’instant, en admettant qu’ils ne pourront pas remplacer les centrales du parc nucléaire actuel.
La sécurité et la sûreté du nucléaire
Par leur structure hermétique, les SMR présentent des avancées significatives en termes de sûreté. Ils excluent tout risque de fusion du cœur, et donc de rejet de produit radioactif à l’extérieur. « Avec le réacteur et le refroidissement dans une même enceinte hermétique, les SMR seraient insensibles aux aléas climatiques et pourraient fonctionner avec un minimum de pilotage », d’après un article de L’Usine Nouvelle.
Les volets sûreté et sécurité de la technologie nucléaire sont très sensibles, du fait d’une certaine réticence des populations à vivre à proximité d’un réacteur. Cela s’est déjà présenté à la suite d’accidents nucléaires qui rendent les ménages bien moins complaisants à l’installation de cette solution près de chez eux. Leur acceptation est primordiale car le gouvernement a d’ores et déjà fait part de velléités d’implanter ces SMR à de multiples endroits – sur d’anciens sites de centrales par exemple.
Quel coût environnemental ?
Le coût environnemental : quelle empreinte carbone ?
L’impact environnemental du nucléaire est fortement valorisable, car les solutions actuelles et envisagées émettent beaucoup moins de gaz à effet de serre que d’autres modes de production d’énergie. Aujourd’hui, les investissements en faveur du nucléaire en France permettraient aux acteurs-clés de développer ces technologies et de se poser en vecteur d’une transition énergétique décarbonée.
Bien que l’énergie nucléaire présente d’indiscutables atouts écologiques, il est nécessaire d’apporter quelques nuances pour en comprendre pleinement les enjeux sur le volet environnemental. L’énergie nucléaire est certes décarbonée, mais n’est pas encore considérée par tous comme verte. En effet, l’extraction d’uranium et la gestion des déchets nucléaires restent des aspects qui font débat aujourd’hui.
Quid des déchets nucléaires des SMR ?
Pour l’instant, il n’existe pas de réponse claire à la question pourtant centrale des déchets nucléaires. Ceux des SMR seraient a priori destinés à être enfouis parmi les déchets déjà existants des autres centrales, et sont pour l’heure difficiles à quantifier. Nous pourrions supposer que l’impact des déchets des SMR est environnementalement moins coûteux que celui des centrales, du fait de leur moindre quantité d’éléments à enfouir – ce qui n’est pas vérifié pour le moment.
Bien qu’il ne soit pas à prendre à la légère, le coût environnemental des déchets nucléaires est toutefois à relativiser. En 2016, il s’établissait à 2kg de déchets par Français par an. En comparaison, notons que chaque citoyen produisait la même année en moyenne 354kg de déchets ménagers. Aussi, l’ADEME a montré qu’en 2016, 96% des combustibles nucléaires utilisés étaient recyclables, laissant alors une mince part de déchets ultimes.
Les start-ups françaises sur le coup
Les investissements promis par le gouvernement en matière de nucléaire pourraient également servir à soutenir de jeunes entreprises françaises, qui cherchent à développer des projets de SMR (ou solutions similaires). Des start-ups comme Naarea visent en effet à installer des systèmes encore plus innovants et propres, notamment grâce aux sels fondus, une technologie nucléaire de rupture et de pointe, aussi dite de « quatrième génération ». Naarea compte alimenter son réacteur avec du thorium, déchet inutilisé issu des mines, et des combustibles usagés des centrales nucléaires classiques. Un brevet a été déposé début 2021.
Les SMR, une bonne idée ?
Finalement, les SMR présentent l’avantage d’être plus simples et rapides à construire que les centrales traditionnelles, mais aussi plus flexibles, donc moins chers à produire et installer sur site. Leur technologie, bien que similaire, est considérée comme plus sûre que celle des EPR, notamment par son insensibilité aux aléas climatiques. Par ailleurs, son modèle standardisé les rend aisément exportables, créant de fait une nouvelle source de revenus liés à l’énergie nucléaire en France. En plus de garantir une source d’alimentation énergétique supplémentaire, les SMR présentent de nombreuses opportunités annexes. Enfin, ces réacteurs modulaires offrent une certaine indépendance énergétique à la France et une opportunité supplémentaire de faire briller l’industrie nucléaire française.
En revanche, il faut relativiser la quantité d’énergie produite, qui pose les SMR davantage comme une solution d’appoint que comme un modèle nucléaire révolutionnaire. Cette solution innovante n’en reste pas moins coûteuse, il faut ainsi prendre garde à rentabiliser les investissements, d’autant plus que la technologie des SMR est pour l’instant moins maîtrisée en France qu’en Amérique ou en Asie. Il ne faut pas non plus perdre de vue la population parfois réfractaire à l’installation de structure nucléaire à proximité de leur foyer, ajoutant une limite à l’implantation des SMR. D’autres questions d’ordre écologique demeurent, comme celle de l’extraction d’uranium ou celle de la gestion des déchets qui n’est pas encore résolue, ni pour les centrales existantes, ni pour celles de nouvelle génération.
Pour garantir le succès des SMR selon le plan gouvernemental et les acteurs-clés du secteur de l’énergie, il faut compter sur les forces de cette solution énergétique et surmonter les obstacles posés. Il s’agirait alors d’implanter des SMR en France en complément des centrales actuelles et d’en exporter à l’international afin d’atteindre l’équilibre du modèle économique souhaité.
Sources
Que sont les SMR, ces mini-centrales nucléaires qu’Emmanuel Macron veut développer d’ici à 2030 ?
https://www.ouest-france.fr/environnement/nucleaire/que-sont-les-smr-ces-mini-centrales-nucleaires-qu-emmanuel-macron-s-appreterait-a-annoncer-917c45a6-24fd-11ec-8e9f-c33cd54931fd
Ouest France, Gaëlle FLEITOUR, 12/10/2021
Les mini-réacteurs nucléaires SMR vont-ils conquérir le monde ?
https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/energie-mini-reacteurs-nucleaires-smr-vont-ils-conquerir-monde-94111/
Futura Sciences, Céline Deluzarche 14/10/2021
SMR : la longue route des petits réacteurs
https://www.lesechos.fr/2018/05/nucleaire-la-longue-route-des-petits-reacteurs-989836
Les Echos, Véronique LE BILLON, 03/05/2018
Le petit réacteur atomique SMR fait rêver les nucléaristes
https://reporterre.net/Le-petit-reacteur-atomique-SMR-fait-rever-les-nuclearistes
Reporterre, Emilie MASSEMIN, 05/05/2021
Tout comprendre aux SMR, ces petits réacteurs nucléaires modulaires prisés par Emmanuel Macron (07/10/2021)
https://www.usinenouvelle.com/editorial/reperes-tout-comprendre-aux-smr-ces-petits-reacteurs-nucleaires-modulaires-prises-par-emmanuel-macron.N1147777
Comment la start-up française Naarea compte faire fonctionner son SMR recycleur de déchets nucléaires (03/12/2021)
https://www.usinenouvelle.com/editorial/l-instant-tech-comment-la-start-up-francaise-naarea-compte-faire-fonctionner-son-smr-recycleur-de-dechets-nucleaires.N1165892
Usine nouvelle, Aurélie BARBEAUX