Visite de l’installation de méthanisation BIOENERGIE de DHUILET à Ormoy-La-Rivière avec M. Matthieu Imbault
La géopolitique actuelle et la guerre en Ukraine ont mis en avant la dépendance des pays européens aux énergies russes, et en particulier au gaz. Dans ce contexte, l’Europe envisage une nouvelle stratégie énergétique afin de sécuriser son approvisionnement en gaz, et favorise le développement de méthodes alternatives de production de gaz tel que la méthanisation
- Elle s’inscrit dans une démarche d’économie circulaire : les déchets sont considérés comme des ressources, ce qui évite les émissions polluantes liées à leur traitement habituel.
- Elle permet de générer un complément de revenu au monde agricole faisant des agriculteurs des acteurs de la transition énergétique.
Afin de découvrir un projet de méthanisation de plus près, nous avons rencontré Matthieu Imbault, agriculteur depuis 2012 et producteur de biométhane depuis 2020, qui nous a fait visiter son unité de méthanisation à Ormoy la Rivière (Essonne) et nous a raconté son expérience.
Le processus de méthanisation
Un ensemble de déchets organiques sont collectés, triés et envoyés dans un grand réservoir hermétique, appelé un méthaniseur. A l’intérieur va se produire une dégradation des déchets par un processus de digestion anaérobie (sans oxygène) par des micro-organismes.
La dégradation des matières produit du biométhane, qui peut être injecté dans le même réseau que le gaz naturel pour ensuite être utilisé pour le chauffage ou dans le transport. Deux produits sont alors obtenus grâce à l’unité de méthanisation :
- Du biogaz, qui est un mélange de gaz (essentiellement 60% de méthane et 40% de CO2). Après purification, le biogaz devient du biométhane, un gaz 100% renouvelable, produit localement, injecté sur le réseau de distribution et consommé de la même manière que le gaz naturel. La vente du biométhane à un fournisseur permet à l’exploitation agricole de bénéficier d’un complément de revenu stable et garanti pendant 15 ans.
- Le digestat, un engrais biologique et naturel, qui peut être épandu sur les surfaces agricoles de l’exploitation, en remplacement de l’engrais minéral. Le digestat apporte les éléments minéraux et la matière organique nécessaire aux cultures.
Les usages du biogaz issu de la méthanisation
Le biogaz issu du processus de méthanisation a de multiples usages qui sont similaires à ceux du gaz naturel d’origine fossile, à savoir :
La production de chaleur et d’électricité
Le biogaz peut être utilisé pour produire simultanément de l’électricité et de la chaleur. Un moteur fonctionnant au biogaz fait tourner une génératrice qui permet de produire de l’électricité : environ 40% de l’énergie entrante est convertie en électricité et 60% en chaleur. C’est ce que l’on appelle la cogénération.
Schéma du principe de fonctionnement de la cogénération
La chaleur obtenue pourra servir pour chauffer des bâtiments ou pourra être utilisée en eau chaude sanitaire. Il est nécessaire que le besoin de chaleur soit situé à proximité de l’unité de méthanisation. L’électricité pourra être directement utilisée ou injectée dans le réseau national.
L’injection dans le réseau de gaz naturel
Le biogaz est épuré et odorisé pour obtenir ce qu’on appelle le biométhane. Il est alors injecté sur le réseau de distribution de gaz. Disposant des mêmes propriétés que le gaz naturel, il a les mêmes applications que celui-ci : chauffage, cuisson, eau chaude sanitaire ou encore mobilité grâce au Gaz Naturel Véhicule.
Selon l’agriculteur-méthaniseur, il s’agit d’un mode de valorisation pertinent. Le biométhane peut être injecté sur le réseau de distribution ou de transport. En France, les opérateurs des réseaux sont GRDF et GRTgaz.
C’est l’usage que l’exploitant a retenu : le site Bio Energie de Dhuilet injecte 150 Nm3/h, soit 13 gigawattheures de biométhane par an sur le réseau GRDF.
Un carburant écologique
Le biogaz injecté dans le réseau de gaz naturel peut alimenter des stations d’avitaillement en GNV et bioGNV.
Le GNV ou gaz naturel pour véhicule, constitué quasi-essentiellement de méthane, est présent naturellement dans certaines roches dans des zones spécifiques à travers le monde. Son extraction nécessitant de lourdes installations de forages, il est considéré comme une énergie fossile.
Le bioGNV est la version renouvelable du GNV car il est issu du processus de fermentation de déchets organiques, mais les deux gaz ont la même composition. De nombreuses collectivités font le choix du GNV/bioGNV pour leur flotte de transport urbain ou pour la collecte de nos déchets.
La création du projet de méthanisation à Ormoy la Rivière (Essonne)
Depuis 2012, Matthieu Imbault gère une ferme familiale de 280 hectares. En 2016, la crise agricole et les mauvaises conditions météorologiques rendent difficile son activité. De plus, il est en tant qu’agriculteur très exposé au marché des matières premières, qui connait des fluctuations importantes.
Il se diversifie alors dès 2017 avec l’installation de panneaux photovoltaïques. En parallèle il lance son projet de méthanisation agricole pour valoriser les déchets de l’exploitation.
Les caractéristiques de l’installation
Environ 10 500 tonnes de déchets sont valorisées chaque année par l’unité de méthanisation (l’équivalent d’un camion par jour). L’unité de méthanisation a une capacité de 150 Nm3/h de biométhane, produisant chaque année 13 GWh : c’est l’équivalent de 2 200 logements ou de 50 bus roulant au bioGNV.
Le gaz produit est injecté dans le réseau de distribution de gaz, opéré par GRDF et consommé notamment par l’agglomération d’Etampes (environ 35 000 habitants). La consommation du biométhane est une réalité grâce au renforcement du réseau de distribution entre Ormoy-la-Rivière et Etampes.
Les intrants du méthaniseur
Les intrants valorisés sur le site sont d’origines diverses : résidus de l’exploitation agricole et coproduits de l’industrie agroalimentaire.
- 35% des intrants sont des cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) ;
- 20% de pulpes de betteraves ;
- 20% d’issues de céréales (sous-produits de l’exploitation, constituant l’enveloppe des graines) ;
- 20% de pates végétales provenant de l’industrie agroalimentaire ;
- 5% d’écarts de tri.
M. Imbault nous explique que les biodéchets (déchets de table des ménages, des marchés, des grandes surfaces ou de la restauration) peuvent également être méthanisés, après une étape réglementaire d’hygiénisation (constitution d’une soupe de biodéchets chauffée à 70°C pendant 1 heure) pour des raisons sanitaires. Il insiste sur le fait que tous les sous-produits doivent être hygiénisé avant d’être utilisés en intrant.
La sécurité de l’installation
La sécurité des biens et des personnes étant un point crucial pour les producteurs, M. Imbault réalise une vérification quotidienne de ses installations et un suivi permanent de la pression des dômes.
La pression à l’intérieur d’un dôme est de l’ordre de 2 mbar (l’équivalent d’un ballon de baudruche) mais peut augmenter. La bâche qui recouvre le méthaniseur est dimensionnée pour soutenir une pression de 15 mbar, et des soupapes de sécurité permettent de réguler la pression en cas de risque. Une astreinte a également été mis en place, conformément à la réglementation.
Financement d’une installation
M.Imbault a investi plusieurs millions d’euros pour le développement et la construction de l’unité de méthanisation :
- Travaux de terrassement et de génie civile,
- Digesteur et post-digesteur nécessaires à la transformation de la matière organique en biogaz et digestat,
- Unité d’épuration.
Les investissements portent également sur le raccordement de l’unité de méthanisation au réseau de distribution existant, situé à 2km, et encadré par le contrat de raccordement signé avec GRDF.
L’exploitant a bénéficié d’une aide de la part de la Région Ile-de-France et de l’ADEME Ile-de-France. En contrepartie, M. Imbault s’est engagé à embaucher un stagiaire et à respecter un cahier des charges précis (production de rapports d’investissement entre autres). Il a également embauché un exploitant pour le suivi quotidien de l’installation et pour gérer l’alimentation du digesteur.
Plus globalement, de plus en plus d’acteurs en France, soutiennent ou accompagnent les projets de méthanisation. Au-delà de l’ADEME et GRDF, il y a aussi :
- L’Association des Agriculteurs Méthaniseurs de France (AAMF) qui accompagne les porteurs de projets, propose des référents techniques de la filière pour des formation et soutient des unités en fonctionnement.
- Les énergies vertes franciliennes qui représente et accompagne les producteurs de gaz renouvelable dans leur projet.
- Le Comité National Biogaz : réunit plusieurs acteurs de la filière qui échangent leurs retours d’expériences et leurs besoins, dans l’objectif de mieux cibler les évolutions d’actions de l’Etat pour l’essor de la filière.
La trajectoire de développement des projets de méthanisation en France
Depuis ces dernières années le nombre d’unités de méthanisation augmente peu à peu en France, et des objectifs politiques ambitieux sont fixés :
- La LTECV (la loi de la transition énergétique pour la croissance verte) fixe l’objectif d’une part de 10% de gaz renouvelable dans la consommation de gaz française pour 2030, contre un pourcentage actuel très faible de 2%.
- La PPE (la programmation pluriannuelle de l’énergie) fixe un objectif de production annuelle de biogaz de 24 à 32 TWh en 2028, contre un résultat de plus de 4,3 TWh en 2021.
Graphique de l’évolution annuelle du nombre d’unités en service en France par type de valorisation
La nécessité d’atteindre l’indépendance énergétique française en termes de production de gaz se présente alors comme une opportunité d’accélération du développement de la filière. Cela pourrait permettre de valoriser et d’accélérer le déploiement d’unités de méthanisation et ainsi d’atteindre les objectifs fixés pour la transition énergétique.