Régulièrement élue « ville la plus intelligente du monde », Tokyo est un territoire d’innovation digitale et d’expérimentation de la ville intelligente. La capitale nippone est le moteur mondial des problématiques de mobilité intelligente et de Smart Grids. Pour autant, la ville est encore très inégalitaire pour ses habitants et très polluée : des efforts restent à faire pour être véritablement Smart…
Tokyo, ville la plus Smart du monde ?
Pour la troisième année consécutive, Tokyo s’illustre en tête du classement 2014 « Cities in Motion Index (ICIM) ». Publié par l’École de Gestion de l’Université de Navarre (IESE), il classe 135 métropoles du monde entier en fonction de 50 indicateurs pour mesurer leur niveau de « Smart ».
La ville intelligente s’appuie sur des infrastructures (eau, électricité, gaz, transports, services d’urgence, services publics, bâtiments, etc.) communicantes et durables. Les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (domotique, capteurs et compteurs intelligents, supports numériques, dispositifs d’information, etc.) sont au cœur de la Smart City. La ville intelligente a pour objectifs de développer de nouveaux systèmes performants dans tous les domaines (transport, énergie, habitat…), de se développer dans le respect de l’environnement et d’être attractive et agréable à vivre. Quelles que soient les études, sept critères d’analyse récurrents sont utilisés pour évaluer une Smart City : la mobilité, le respect de l’environnement, l’économie et l’innovation, la gestion des ressources, la gouvernance et la cohésion sociale.
Véritable laboratoire mondial des grandes entreprises sur la Smart City, la capitale Japonaise se démarque sans surprise par son innovation technologique, ses réseaux d’énergie et de transport, son économie et sa capacité à attirer des talents du monde entier.
Smart Tokyo : laboratoire mondial de l’innovation digital, des Smart Grids et de la mobilité intelligente
Tokyo est l’un des marchés les plus matures d’Asie et son influence s’étend dans toute la région. Terre d’origine des géants technologiques comme Hitachi, Sony, Fujitsu et Panasonic, la capitale héberge plus de 300 incubateurs digitaux. Malgré une culture du risque peu développée au Japon et des coûts d’investissement très élevés, cet environnement a permis l’essor de nouvelles start-ups digitales de poids sur le marché, comme Gree, DeNA et Rakuten.
Le Japon est l’un des pays pionniers sur le terrain des Smart Grids. Il a dû chercher très tôt des solutions locales à sa situation énergétique : L’archipel est très dépendant des importations d’hydrocarbures, qui représentaient en 2010 plus de 60% de son mix énergétique. Ses besoins ont par ailleurs grimpé en flèche à la suite de la catastrophe de Fukushima et de l’arrêt des 54 réacteurs nucléaires du pays. Les Smart Grids proposent d’une part la mise en réseau de micro-pôles de production d’énergie rendant ainsi crédible un recours aux énergies renouvelables. D’autre part, ils optimisent l’adéquation entre consommation et génération d’électricité. Depuis 2013, l’agglomération de Tokyo construit à Yokohama, en banlieue Sud, un laboratoire des Smart Grids. Le projet est mené en collaboration avec les citoyens et avec des entreprises de différents milieux : électricité, transport… L’objectif est d’exporter les technologies expérimentées dans les autres villes Japonaises, puis à l’étranger.
Ce territoire d’expérimentation teste notamment des opérations de modulation de la consommation électrique : au cœur du projet, un système de gestion centrale de l’énergie, conçu par Sumitomo Electric, associe les générateurs d’électricité à gaz existants à des batteries de stockage de l’énergie en cas de surplus et à des panneaux photovoltaïques afin de former un système de gestion optimal. Il permet de contrôler l’ensemble du flux d’énergie des bâtiments et de réaliser des effacements de la consommation d’énergie en fonction des besoins. Plus de 4 000 bâtiments, principalement d’habitation, sont concernés sur une surface de 435,17 km².
Yokohama a également été le territoire d’expérimentation d’une station d’échange de batterie pour taxis électriques, en partenariat avec Nihon Kotsu (ECINK), la principale compagnie de taxis de Tokyo. Cette station comprend trois véhicules électriques. Elle est composée d’un espace de stockage et de chargement des batteries. Elle est également capable de procéder à l’échange de batterie des trois véhicules de manière automatique tout en optimisant leur durée de vie et leurs performances, lesquelles peuvent être suivies en temps réel sur internet. Suite aux résultats satisfaisants de ce projet, des stations sont en cours de déploiement dans toute la capitale. Alors qu’on dénombre 60 000 taxis dans Tokyo, c’est-à-dire plus qu’à Londres, Paris et New-York réunis, cette initiative est un vecteur important de la diffusion de la mobilité électrique auprès du grand public.
Ces taxis électriques sont l’une des illustrations du leadership mondial de Tokyo sur les marchés des véhicules connectés et autonomes, en termes de R&D et d’industrialisation. Comme tout le Japon, Tokyo est pris d’une véritable fièvre pour la mobilité intelligente. Constructeurs, opérateurs télécom, équipementiers, sociétés informatiques et spécialistes de la navigation se coordonnent pour tirer profit de la généralisation des systèmes de télématique dans les véhicules. Pour évoluer, la télématique a en effet besoin d’infrastructures télécoms et informatiques aptes à capter et à traiter d’énormes quantités de données utilisables immédiatement grâce à une grande réactivité. Par exemple, Toyota a initié en 2013 l’expérimentation d’un service info-trafic « Big Data ». Il repose sur un maximum d’informations récoltées en temps réel via des services télématiques – emplacement des voitures sur une route donnée, vitesse de chacune d’elles, densité du trafic, travaux, accidents- et la collaboration d’usagers reliés à la plate-forme par une tablette, un PC ou un Smartphone. Ces informations sont utilisées pour planifier des itinéraires, régler le flux ou le rythme des feux de manière plus affinée, et pour guider les services de secours. La maturité de Tokyo s’exprime aussi à travers les systèmes d’autopartage de véhicules électriques, dont le Twizy, le véhicule électrique à deux places de Nissan.
Depuis 2013, treize compagnies de métro, trains et bus partagent publiquement leurs données informatiques de trafic générées grâce à des capteurs et autres équipements installés à bord, le long des voies ou encore sur les quais. Créée en association avec des laboratoires de R&D informatique, l’objectif est de favoriser la création par les start-ups et les citoyens de nouveaux services. Par exemple, une nouvelle application utilise ces données pour géolocaliser en temps réel les trains et les problèmes de trafic, ainsi qu’identifier leur cause. Cela permet aux voyageurs de prendre d’adapter leurs trajets en connaissance de cause.
Des progrès à faire sur la gouvernance, l’environnement et la cohésion sociale pour devenir véritablement Smart
Tokyo est bien une mégalopole leader sur les questions de mobilité, d’économie et d’innovation, et de gestion des infrastructures. Sur ce dernier critère, des projets sont également menés pour une gestion intelligente des déchets, de l’éclairage public et des réseaux d’eau. Mais les autres dimensions de la Smart City sont inégalement adressées.
En dehors de l’initiative privée d’Open Data pour la mobilité intelligente présentée ci-dessus, la mégalopole japonaise semble plutôt à la traîne en matière de gouvernance intelligente de la ville : les données citoyennes ne sont pas accessibles en Open Data et aucune initiative de e-gouvernance ne semble avoir été développée pour le moment.
Par ailleurs, en termes d’environnement, Tokyo est connue pour être l’une des villes les plus polluées au monde. Des lois anti-pollutions instaurées dès les années 1970 ont obligé à prendre en compte l’impact environnemental pour construire de nouvelles infrastructures et pour développer de nouvelles activités économiques. Le Plan Tokyo 2020 vise ainsi à diminuer de 30 % la consommation d’eau dans les maisons, promouvoir la biodiversité des espaces verts qui agrémenteront la cité, et garantir 20% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique d’ici 2020. Grâce à ces incitations, le taux de pollution atmosphérique a diminué de 55% au cours des 10 dernières années, même s’il atteint parfois des pics inquiétants à cause de nuages arrivant du continent.
Enfin, la cohésion sociale est le point faible de Tokyo : les témoignages de personnes étrangères témoignent de la difficulté des immigrés à s’intégrer dans la société japonaise en général, Tokyo connaît l’un des taux de suicide les plus élevés au monde, la capitale est la 6ème ville la plus chère au monde pour le coût de la vie… Les auteurs du rapport « Cities in Motion Index » souligne que les catastrophes environnementales de ces dernières années (tsunamis, tremblements de terre, centrale de Fukushima) ont eu un impact très négatif sur la cohésion sociale. Tokyo ne pourra pas être une ville réellement intelligente tant que cette dimension n’aura pas progressé.
En dehors de la cohésion sociale qui doit indéniablement être améliorée, Tokyo est un vrai moteur des Smart Cities à l’échelle internationale. Les nombreuses initiatives digitales et les ambitions fortes pour le déploiement des Smart Grids et des solutions de mobilité électrique en font le laboratoire mondial de la ville intelligente. Ce profil précurseur lui permet d’être particulièrement attractive à la fois pour les entreprises, pour les chercheurs et les têtes pensantes du monde entier et pour les touristes.
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