Avec l’injection dans le système de transport de gaz local de plus de deux millions de kilowatts-heures d’hydrogène en un an par son unité de production de Falkenhagen en Allemagne, l’énergéticien E.ON a récemment mis en lumière un procédé peu connu du grand public : le « power to gas » (P2G).
Nombre d’entreprises, tant start-up que mastodontes du secteur, investissent aujourd’hui le champ du « power to gas », ambitionnant de produire, stocker et fournir du gaz à partir de l’électricité.
Mais d’ailleurs en quoi consiste le « power to gas » ?
La technologie « power to gas » vise à convertir la surproduction électrique issue des énergies renouvelables en gaz de synthèse combustible au moyen de l’électrolyse. Autrement dit, via ce procédé, on cherche à produire de l’hydrogène (H2) qui sera ensuite injecté dans le réseau gazier. Les experts estiment qu’une telle injection est possible jusqu’à un niveau de 6% environ du volume total de gaz.
Ce n’est pas tout. On peut également ajouter du CO2 à l’hydrogène, procédé que l’on nomme « méthanation », afin d’obtenir du méthane (CH4), lui aussi injectable dans les réseaux gaziers. Ce procédé est particulièrement intéressant, notamment d’un point de vue environnemental quand le CO2 utilisé pour l’électrolyse est issu du captage et/ou du stockage de CO2.
Sur le papier, cette technologie semble donc très prometteuse. Mais existe-t-il un modèle économique viable pour le « power to gas » en France ?
Un modèle économique à préciser
Bien habile celui étant capable de répondre à cette question à l’heure actuelle. Néanmoins on peut apporter certains éléments de réponses.
Premièrement, comme souvent en matière énergétique, le business model du « power to gas » est intimement lié au mix énergétique ainsi qu’aux prix de l’électricité et du gaz de chaque pays. Ainsi, l’avantage principal du « power to gas » réside dans le fait qu’il permet de valoriser les excédents d’électricité renouvelable non consommés en période de basse consommation en les transformant en un gaz stockable. Son développement aura plus de sens dans un pays au mix énergétique faisant la part belle aux énergies renouvelables intermittentes. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il fleurit actuellement davantage de projets utilisant le « power to gas » outre-Rhin.
Deuxièmement, que ce soit en France ou ailleurs dans le monde, peu d’initiatives de grande ampleur permettent aujourd’hui d’appréhender l’exact coût d’un tel procédé. En effet, on peut considérer que le « power to gas » est encore au stade de la recherche appliquée (pilotes, démonstrateurs). Il convient tout de même de souligner une récente accélération des lancements de projets de démonstrateurs sur le terrain, comme à Falkenhagen ou à Dunkerque.
Troisièmement, même s’il est vrai qu’aucun obstacle technologique n’entrave le développement du « power to gas », aucun projet pilote n’a fait la preuve de sa rentabilité financière. Les améliorations techniques à venir, impulsées par le monde de la recherche ne pourront qu’améliorer le modèle économique du « power to gas ». Le CEA travaille ainsi à améliorer le procédé d’électrolyse en développant par exemple l’électrolyse à haute température utilisant des membranes céramiques plus performantes que l’électrolyse à basse température. François Le NAOUR, Responsable du programme Production d’hydrogène au CEA LITEN, précisait également le 11 octobre dernier lors du débat sur les perspectives du « power to gas » que « le CEA travaille sur le « power to méthane » (méthanation) avec l’objectif que le coût du méthane ainsi produit soit identique à celui du gaz naturel ».
La filière « power to gas » dans l’expectative de mesures politiques et juridiques favorables
Enfin, il subsiste un obstacle de taille à lever pour que les systèmes « power to gas » soient rentables en France : le cadre juridique actuel n’encourage pas le développement de cette technologie.
Les acteurs du secteur plaident ainsi pour une exonération des TURPE (tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité) qui ont été créés en 2000 pour rémunérer le transporteur d’électricité RTE et les distributeurs. Pour rappel, les TURPE visent à compenser l’exercice des missions et contrats de service public qu’ils exercent, comme le transport d’électricité et l’équilibrage du réseau.
Pour les mêmes raisons que les exploitants de STEP (stations de transfert d’énergie par pompage), les acteurs du « power to gas » avancent l’argument que l’énergie produite et injectée dans le réseau gazier est d’une aide précieuse pour lisser la courbe de consommation électrique française.
Il va s’en dire qu’une telle exonération rendrait le « power to gas » plus compétitif ; le TURPE représentant environ un tiers du prix de l’électricité pour un consommateur résidentiel au tarif règlementé.
Au-delà de cette exonération, la filière prône la mise en place de mesures permettant une juste rémunération du « service de stockage » que rend le « power to gas » au réseau électrique. Certaines parties-prenantes proposent ainsi de facturer à l’opérateur d’équilibre du réseau électrique le service qu’ils rendent au réseau.
Pour autant, les acteurs du secteur « ne veulent pas être sur des marchés portés par les subventions », comme l’a précisé Pascal Mauberger, président de l’Association française de l’hydrogène et des piles à combustibles (Afhypac) lors du débat organisé par BIP Enerpresse le 11 octobre dernier sur les perspectives du « power to gas ».
Chacun aura compris que la question règlementaire est intimement liée à l’avenir du « power to gas » en France. Reste à savoir quand et comment les pouvoirs publics encourageront cette filière : les évolutions fiscales et règlementaires réclamées par les acteurs de la filière risquent en effet de se faire attendre longtemps.