Depuis quelques semaines, l’écotaxe, ou pour être plus précis le « péage de transit des poids lourds » est au cœur d’un débat plus que mouvementé et a fait couler beaucoup d’encre. À l’intersection entre enjeux politiques et écologiques, il est aujourd’hui très difficile de percevoir les réels tenants et aboutissants de cette taxe. Au-delà donc de toutes considérations politiques, que doit-on retenir de l’écotaxe et plus précisément de l’arrêt de cette taxe ?
Une mesure au passé bien compliqué…
Marc Bloch expliquait que « le présent n’est que le point extrême d’un très long passé ». Dans le cas présent de l’écotaxe, cela s’avère être parfaitement vrai. Pour comprendre la situation actuelle, intéressons-nous donc un peu plus en détails à l’« historique » de cette taxe.
Pour trouver les premières traces de l’écotaxe, il faut remonter au Grenelle de l’environnement lancé en avril 2008 par le président de l’époque Nicolas Sarkozy. Le but de cette mesure est alors de faire changer les mentalités en matière de transport et non de trouver de nouvelles sources de revenus pour l’État français. Ce grenelle se concrétise par l’adoption, le 3 août 2009, de la première loi du Grenelle composée de 13 domaines d’actions. Parmi les actions du troisième domaine de cette loi, à savoir le transport, est prévue la « mise en place, à compter de 2011, d’une écotaxe sur les poids lourds pour financer les infrastructures de transport alternatives à la route ».
Débute alors courant 2009-2010 la crise économique majeure que nous traversons toujours actuellement. Dans ce contexte économique difficile et face à l’accumulation de contraintes (pression des lobbyistes du transport routier, complexité juridique et technique du projet, …), le gouvernement décide en 2010, puis en 2011, de repousser la mise en œuvre de cette taxe. En 2012, lors de la prise de pouvoir du nouveau gouvernement suite aux élections, les défenseurs de cette mesure espèrent trouver un second souffle. Il n’en sera rien. Au contraire, après un dernier report de sa mise en œuvre (au 1er janvier 2014), l’écotaxe est suspendue face au soulèvement de certains députés et des « bonnets rouges » bretons, avant d’être finalement remplacée en juin 2014 par le « péage de transit des poids lourds ».
Ce « péage » ou écotaxe nouvelle version prévoit, à partir du 1er janvier 2015, la mise en place d’une taxation des camions de plus de 3,5 tonnes moyennant le système de portiques déjà installés le long des routes et de boîtiers GPS dans les camions. Ce système de péage concerne alors un réseau de 4 000km de routes au lieu de 15 000km initialement prévu et repose sur le partenariat public/privé mise en place dès 2011 entre l’état français et la société Ecomouv’ – société fondée par le groupe italien Autostrade – qui s’occupe de la gestion des péages.
…et dont le glas a sonné jeudi 9 octobre 2014
Toujours dans le viseur des transporteurs routiers, prêt à en découdre avec le gouvernement en place, l’écotaxe nouvelle version voit le jour de son jugement dernier arriver le jeudi 9 octobre. Face à la menace de blocage des transporteurs routiers, Ségolène Royale – ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’Énergie – décide de « suspendre sine die le dispositif d’écotaxe ». Dispositif que la Ministre souhaitait depuis plusieurs mois remettre à plat dénonçant « une écologie punitive » et l’ « évasion fiscale de 40% des flux financiers » (Ecomouv’ étant une société italienne). Malheureusement, la suspension d’un tel dispositif n’est pas sans conséquences.
La première est d’ordre financier. Ainsi, le coût de ce renoncement est évalué aujourd’hui à près de 2 milliards d’Euros, comprenant :
- Le remboursement par l’état des investissements effectués par Ecomouv’ de l’ordre de 800 millions d’euros comme convenu dans le contrat signé en 2011,
- Les divers frais liés à la dégradation et à la destruction des portiques (environ 15 millions d’euros),
- 800 millions d’euros de manque à gagner pour le trésor public.
La seconde conséquence concerne l’investissement des différents projets d’infrastructures locales. En effet, dans le cadre du lancement de l’écotaxe, une sélection de projets visant à développer des infrastructures de transport alternatives (maritimes, ferroviaires,…) avait été effectuée fin 2013. Ces projets devaient être financés par les revenus générés par ce dispositif. La suspension de ladite taxe pose donc la question du financement de ces projets pour lesquels l’État ou les collectivités vont devoir trouver de nouvelles ressources et/ou revoir les projets à la baisse.
Enfin, le bilan social de cette suspension n’est pas à négliger. En effet, ce sont plus de 300 emplois qui sont aujourd’hui menacés par la fin du dispositif :
- 200 embauches à Metz et 50 embauches à Paris effectués par Ecomouv’ dans le cadre de la surveillance et de la gestion des péages,
- 130 douaniers affectés à Metz pour gérer ce dispositif.
Cet impact social est aujourd’hui la priorité pour la Ministre de l’Écologie, qui déclarait ce même jeudi 9 octobre que « si le dispositif menace l’emploi, une décision doit être prise ».
Une première alternative à l’écotaxe de proposée
Pour remplacer ce dispositif et afin de financer les projets d’infrastructures, Ségolène Royale a, dans la foulée de son annonce de la suspension de l’écotaxe, réaffirmé sa volonté de taxer les profits dégagés par les concessionnaires d’autoroutes. Cette mesure, jugée plus juste par la ministre car reposant sur le principe de « pollueur – payeur », laisse cependant déjà entrevoir ses premières limites.
La première, et non des moindres, est contractuelle. Le contrat de concession que possèdent les sociétés gestionnaires d’autoroutes stipule qu’une compensation devra être envisagée en cas de hausse des taxations par l’état de leurs revenus. Cette compensation pourrait prendre plusieurs formes d’après Michel Sapin, actuel Ministre de l’économie :
- l’augmentation du péage qui serait donc à la charge de tous les utilisateurs des autoroutes,
- le prolongement de la durée de concession,
- l’augmentation des subventions.
Dans tous les cas, faire bouger de leurs lignes les sociétés concessionnaires s’annonce, d’ores et déjà, être une tâche plus que difficile pour la ministre de l’écologie.
En plus de cette difficulté inhérente au contrat de concession, la solution de remplacement proposée par Ségolène Royal ne répond pas à un des principaux objectifs de son aînée « écotaxe » à savoir la taxation des transporteurs étrangers. Ainsi, une des priorités lors du lancement de cette taxe en 2009 était de taxer les transporteurs étrangers qui utilisent le parc routier national et qui donc contribuent à son usure. Prélever les sociétés concessionnaires aura donc une portée beaucoup plus limitée…
Le fleurissement du transport routier dans des pays frontaliers tels que l’Allemagne ou encore la Suisse, qui ont pourtant mis en place l’écotaxe, ne fait que confirmer l’impression que la France a, sur ce thème, loupé une marche importante. Après avoir enclenché sa transition énergétique, la France devrait continuer sur sa lancée en s’engageant dans une réelle transition des transports et infrastructures routières, plutôt que de s’affairer à trouver une solution de contournement.
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