« Je ne peux pas accepter que les États-Unis soient devenus, du point de vue de l’énergie, indépendants grâce au gaz de schiste et que la France ne puisse pas profiter de cette nouvelle énergie alors que le chômage ravage tant de nos territoires et tant de nos familles, c’est inacceptable ». Il n’en fallait pas moins à Nicolas Sarkozy pour relancer la polémique sur l’exploitation du gaz de schiste en France. Pourtant, c’est sous le quinquennat de l’ancien chef de l’État que le Parlement avait voté une proposition de loi de Christian Jacob (UMP) interdisant le recours à la fracturation hydraulique pour exploiter le gaz de schiste.
La réponse du gouvernement ne s’est pas faite attendre : « Tant que je serai ministre de l’Écologie, il n’y aura pas de gaz de schiste et pas d’investigation sur le gaz de schiste en France », ripostait Ségolène Royal. Pourtant, c’est bien elle qui, en 2011, avait jugé « nécessaire de poursuivre la recherche sur les procédés d’extraction propres à long terme »… ou qui déclarait encore au Parisien en mai dernier : « Je ne suis pas dogmatique et si de nouvelles technologies non dangereuses apparaissent, pourquoi pas ? ».
Alors affichage ou conviction, on laissera au lecteur le soin de choisir… Quoi qu’il en soit, si le gaz de schiste agite la classe politique, parfois au sein du même camp, le sujet peine à faire l’objet d’un tel débat au Parlement.
Un projet de loi bien silencieux sur le sujet
L’actuel projet de loi sur la transition énergétique qui vient d’être adopté par l’Assemblée Nationale semble faire l’impasse sur le sujet. Parmi les objectifs affichés : réduire le poids du nucléaire dans la production électrique de 75% aujourd’hui à 50% en 2025, réduire la consommation d’énergie de 50% d’ici à 2050, réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% entre 1990 et 2030 ou encore porter la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique à 32% d’ici à 2030… Mais pas un mot sur le gaz de schiste ! Un choix qu’assume pleinement François Brottes, député socialiste et président de la commission des affaires économiques : « Le sujet du gaz de schiste n’est pas ouvert dans ce texte, tout simplement parce que ce n’est pas là qu’il faut mettre des moyens ».
Une impasse qui mécontente bien entendu les partisans de l’exploitation du gaz de schiste qui souhaitent l’abrogation de la loi Jacob ou tout du moins la poursuite des recherches sur des techniques alternatives à la fracturation hydraulique.
Mais ce manque de clarification inquiète également les opposants au gaz de schiste. Un peu partout en France des collectifs dénoncent la volonté de certains industriels d’obtenir des permis de recherche qui pourraient, selon eux, déboucher sur une exploration d’hydrocarbures « non conventionnels ». Si Ségolène Royal a annoncé publiquement qu’elle refuserait la demande d’attribution du permis couvrant le parc naturel régional du Luberon, ce n’est pas le cas pour d’autres permis, actuellement en cours d’examen, concernant l’Aisne, les Bouches-du-Rhône, les Landes, la Marne, la Meurthe-et-Moselle ou l’Yonne.
Les pro gaz de schiste ne désarment pas
Malgré les déclarations du gouvernement, rien n’est donc vraiment tranché. D’ailleurs, la réglementation européenne ne ferme pas non plus la porte à l’exploitation du gaz de schiste. Le cadre réglementaire présenté par la Commission Européenne en janvier dernier se limite à certaines recommandations aux États membres. C’est donc pour l’instant à chaque pays d’autoriser ou non l’exploitation du gaz de schiste.
La bataille se poursuit donc… Et l’opposition n’est pas la seule à remettre le sujet sur la table. Les lobbyistes industriels multiplient les initiatives pour influer sur le vote des parlementaires nationaux ou européens. Les industriels français ne sont pas non plus en reste : d’après le JDD, une quinzaine d’entre eux dont Total, Vallourec ou GDF Suez plancheraient depuis plusieurs mois sur la création d’un centre d’information et de documentation sur le gaz de schiste. « Cet observatoire devrait voir le jour à la fin de l’année 2014 ou au début de l’année 2015 pour continuer à peser dans le débat. Il regroupera des industriels, des économistes, des sociologues et des scientifiques pour traiter des questions sur l’exploration, l’exploitation, la technique de fracturation hydraulique ». Autrement dit, le débat est loin d’être clos.
Des questions qui restent sans réponse
Si l’avenir du gaz de schiste n’est pas écrit, l’évolution du contexte économique et géopolitique incite de plus en plus les dirigeants français à s’interroger sur la pertinence de son exploitation. Est-il vraiment possible de limiter les risques aujourd’hui avérés pour les nappes phréatiques et la population locale ? Faut-il encourager la recherche européenne pour une extraction à faible impact environnemental et en accepter les risques éventuels sur le long terme ? Quelles sont les réserves réelles de gaz de schiste du territoire français ? Ces ressources peuvent-elles favoriser l’indépendance énergétique vis-à-vis des producteurs d’hydrocarbures et notamment de gaz naturel ? Leur exploitation représente-t-elle vraiment une des solutions face au chômage de masse et aux exigences toujours plus fortes de réduction des déficits ? Quelle rentabilité peut-on attendre d’une telle filière ? Jusqu’où pousser le principe de précaution sans qu’il devienne stérilisant ?
Autant de questions qui, au lieu d’être ignorées, méritent un vrai débat de fond. Ne pas tenter d’y répondre est pour le moins dommage. Surtout pour un projet de loi considéré par ailleurs comme un « nouveau chapitre de l’histoire énergétique ». Mais il paraît qu’en politique, mieux vaut ne pas poser de question si vous n’avez pas déjà la réponse.
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