Lorsqu’il s’agit d’effacement de consommation électrique, un pays est toujours cité comme la référence : les États-Unis. En effet, notre voisin d’outre-Atlantique y a régulièrement recourt, particulièrement durant les vagues de chaleur, quand la charge liée aux installations d’air conditionnée est importante. Mais quel est l’état réel du marché de l’effacement aux US ? C’est ce que nous vous proposons de découvrir dans cet article.
Effacement en France, demand-response aux USA
Le demand-response (DR) est le terme anglais désignant la modulation électrique. La modulation à la hausse (augmentation de la consommation d’un site de soutirage pour absorber le surplus d’énergie sur le réseau) étant encore peu développée, le demand-response fait majoritairement référence à l’effacement (modulation à la baisse). Cela sera aussi le cas dans cet article.
Le demand-response s’est imposé comme une nécessité
Le concept de demand-response remonte aux années 1970 où il fut pour la première fois utilisé aux USA. Toutefois le premier programme formel débuta après la crise Enron de 2001 en Californie et le blackout du Nord-Est en 2003 (panne de courant qui toucha près de 50 millions d’Américains). Le DR devint alors une nécessité pour un réseau électrique dont la fiabilité avait montré ses limites à plusieurs reprises. Depuis 2010, le DR a atteint une certaine maturité dans le marché de l’électricité, notamment grâce à la mise en place de réglementations encourageant et récompensant le DR. Aujourd’hui, l’effacement a l’opportunité d’être en compétition avec la production lors de pointes de consommation. Revers de la médaille, il est par conséquence plus surveillé par les régulateurs et les autres participants au marché.
Le marché du DR aux USA
Sources : GTM Research, FERC, Zpryme
Ces quelques chiffres clés permettent de réaliser l’importance du DR aux USA alors qu’un important potentiel reste inexploité, notamment dans l’effacement diffus. En effet, alors qu’en 2011 les clients résidentiels représentaient 94% du DR en effectif, la majorité de la capacité contractée provient de l’industrie et du secteur commercial (car le DR est alors économiquement et techniquement viable). Cependant, le déploiement des compteurs intelligents devrait permettre la mise en place de nombreux programmes de DR résidentiel.
Afin de valoriser les effacements des clients résidentiels comme industriels, il existe deux principaux leviers présentés dans le tableau suivant :
NB : Depuis peu, les services ancillaires, disponibles sur certains marchés, deviennent un nouveau moyen de valoriser le DR. Ces services, nécessaires pour assurer le fonctionnement sécurisé du réseau, ont traditionnellement étaient fournis par les producteurs.
Aux USA, c’est le marché de capacité qui tire le développement du DR depuis le début des années 2000 mais le DR économique, qui consiste à valoriser les effacements réalisés sur le marché de l’énergie, est en pleine expansion depuis sa mise en place en 2012. L’avenir de ce dernier reste toutefois flou suite à l’incertitude pesant sur l’order 745 de la FERC.
Ces différents moyens de valoriser les effacements permettent aux agrégateurs de déployer deux grands modèles de rémunération : « Time-Based DR » (tarification variable) et « Incentive-Based DR » (compensations financières). Une étude du cabinet de recherche et conseil Zpryme estime qu’en 2013, environ 56% des clients particuliers faisaient le choix des compensations financières au détriment de la tarification variable dont le gain est plus difficilement estimable. De plus, il est à noter que le développement de nouveaux services annexes pour ses clients (par exemple le suivi de consommation) fait aujourd’hui partie des piliers du business plan des agrégateurs au même titre que la rémunération du marché et les incitations publiques.
Exemple d’un marché comparable à la France
Les États-Unis sont divisés en plusieurs marchés de l’énergie, et donc de demand-response. Afin d’avoir une vision plus concrète d’un important marché, nous allons maintenant nous intéresser au marché PJM.
Source : GTM Research
PJM Interconnection LLC (PJM) est un Regional transmission organization (RTO) (comme les Gestionnaires de Réseaux de Transport (GRT) européens tel que RTE, un RTO coordonne, contrôle et surveille un réseau de transmission électrique). Il fait partie du réseau Eastern Interconnection qui exploite le système de transmission électrique fournissant une grosse dizaine d’Etats du nord-est des USA. PJM coordonne actuellement le plus important marché de gros de l’électricité au monde. Plus de 830 entreprises sont membres du PJM, qui dessert 60 millions de clients (+ de 9% de la population des USA) et détient 183 GW de capacité de production. À titre de comparaison, le marché français bénéficiait fin 2012 d’une capacité de production d’environ 129 GW. PJM a connu une pointe de consommation durant l’été 2011 à plus de 165GW. Alors que la pointe d’été est en baisse, PJM a connu, et c’est une nouveauté, un pic de consommation durant l’hiver 2014 à 142 GW de consommation.
Pourquoi parler de ce marché ? Simplement car il représente le plus important marché de DR au monde avec un potentiel de plus de 10 GW de capacité d’effacement. La mise en place d’un marché de capacité a boosté le développement du demand-response. En effet, environ 80% du marché du DR est lié au marché de capacité, contre seulement 20% pour le DR économique. Cela s’expliquant par la jeunesse du DR économique et par les prix de gros trop faibles sur le marché de l’énergie.
Quels enseignements pour la France ?
En comparaison, le réseau français dispose d’une capacité de DR de 1 500MW en 2012-2013 selon RTE (cela ne représenterait que 1,5% du record de consommation de février 2012). Pourtant, l’hexagone est considéré comme l’un des marchés de DR les plus avancés d’Europe par le Smart Energy Demand Coalition (SEDC)[1].
Le potentiel inexploité étant encore important, peut-on s’attendre à un important développement de l’effacement en France ? Impossible de le dire. Toutefois, voici quelques arguments qui semblent plaider en sa faveur.
Tout d’abord, en se basant sur l’exemple américain, la mise en place du marché de capacité est une avancée importante. C’est aussi le cas de la généralisation du mécanisme NEBEF qui va permettre la valorisation des effacements sur le marché de l’énergie. Les clients industriels peuvent en outre désormais participer aux services système dont nous parlait EnergyPool lors de notre entretien. Comme vous pouvez le constater, les mécanismes de valorisation se multiplient afin de permettre aux acteurs de trouver leurs modèles économiques.
De plus, RTE favorise le développement de l’effacement dans un objectif de sécurisation de son réseau. En effet, le déficit de capacité pour l’hiver 2015-2016 est estimé par le GRT français à 900 MW et atteindra 2 000 MW pour l’hiver 2016-2017. En cause, la fermeture de centrales « de pointe » à fioul et charbon, très polluantes. Dans le même temps, la pointe de consommation ne cesse d’augmenter. Une opportunité pour l’effacement ? Certainement ! Toutefois, les capacités mobilisables étant encore trop faibles, l’importation d’électricité (très peu développée chez nos voisins d’outre-Atlantique) sera sans nul doute utilisée par RTE en cas de pointe.
Enfin, si l’effacement industriel devrait continuer son essor et tendre vers la modulation électrique, l’effacement diffus devrait bénéficier du déploiement sur l’ensemble du territoire du compteur Linky afin de se développer à grande échelle.
L’exemple Américain, de par ses spécificités, ne permet pas de prédire le futur de l’effacement dans notre pays. Toutefois, il donne quelques perspectives sur l’évolution de celui-ci. Malgré cela, c’est principalement l’aspect réglementaire et économique (augmentation des prix sur le marché de gros) qui décidera de l’avenir de l’effacement.
[1] Les critères sont les suivants : Ouverture aux consommateurs, conditions des programmes, mesure & vérification, finance & risques